Repenser la croissance
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La leçon inaugurale de Philippe Aghion au Collège de France, le 1er octobre 2015, a été suivie par un auditoire complet, composé de deux prix Nobel, d'anciens ministres comme H. Vedrine, de maires de grandes villes, etc. Cet aréopage attendait les arguments censés amocher la thèse de son rival, Thomas Piketty, exposée dans son livre, "Le Capital au XXIème siècle".
L'originalité de la pensée de Philippe Aghion à propos la nouvelle croissance est fondée sur des allers-retours entre la modélisation théorique et l'analyse empirique. Ainsi, il contrebat, en premier lieu, la théorie de Robert Solow formulée en 1956 et couronnée par le prix Nobel en 1987. Celle-ci affirme que c'est la croissance du stock de capital qui fait croitre le Produit Intérieur Brut. L'augmentation du Capital est financée d'une manière récurrente par l'épargne des ménages et un cycle vertueux s'enclencherait même en l'absence de progrès technique. Or, dans la réalité, les rendements deviennent décroissant et l'augmentation du stock du capital (machine) ne se traduit plus par une augmentation du PIB : c'est la stagnation.
Philippe Aghion transpose les analyses de Joseph Schumpeter, qui disaitt trois choses : la croissance à long terme résulte de l'innovation; celle-ci résulte elle-même d'efforts d'investissements en Recherche Développement; et les nouvelles innovations rendent les innovations antérieures obsolètes, ce qui provoque une "destruction créatrice".
Progressivement, la concurrence sur les produits réduirait les marges des entreprises et donc l'incitation à innover. Philippe Aghion démontre le contraire : certaines firmes fouettées par la concurrence vont chercher à innover alors que d'autres, "en rattrapage", vont être découragées. Au total, c'est l'innovation dans un marché concurrentiel qui va doper la croissance, à l'inversé de ce qui s'est passé en Argentine et au Japon au XIXème siècle.
La seconde thèse de Ph Aghion, va à l'encontre des positions défendues par Thomas Piketty, qui stigmatise l'accroissement des inégalités sociales, le fameux "1%" voyant sa part du gâteau augmenter. En réalité, une telle augmentation ne résulte pas seulement des rentes foncières et spéculatives, mais surtout de l'innovation. Cela a trois conséquences vertueuses : les rentes de l'innovation diminuent lorsque d'autres innovations les supplantent (destruction créatrice), la mobilité sociale se développe grâce à l'arrivée de nouveaux talents qui se traduit, entre autres, par le nombre de brevets déposés. La politique économique doit donc favoriser l'innovation par la fiscalité et l'élimination des lourdeurs administratives.
Notre époque est favorable à l'innovation grâce à la révolution des Technologies de l'Information et de la Communication (les TiC) et à la mondialisation qui a pour conséquence la fertilisation croisée des cerveaux à une échelle mondiale.
Sur un plan plus opérationnel, Philippe Aghion explique, d'une part, que, dans une économie de l'innovation, il faut favoriser la libre entrée sur le marché et la fermeture d'activités devenues non-rentables. Ceci à l'encontre d'une politique Colbertiste. L'Etat doit donc concentrer ses efforts sur les écoles, les universités, la recherche et les soutiens aux PME. D'autre part, en cas de récession, il convient de ne plus favoriser la relance par les déficits publics mas de mettre en œuvre des réformes structurelles : souplesse du marché du travail, et concurrence plus fluide dans le domaine des biens et des services. D'ailleurs, ces deux éléments favorisent la mobilité sociale.
Points forts
La "politique de rupture" préconisée par Philippe Aghion n'est ni de gauche, ni de droite. Elle est fondée sur une théorie économique vérifiée dans les faits. C'est une telle politique qui a été mise en œuvre dans les pays européens pour sortir de la crise financière de 2008.
En France, Macron et Lemaire sont sur la même ligne. D'ailleurs dans les interviews donnés par Ph Aghion, il se désole que ni Sarkozy, ayant pourtant en main le rapport Attali, ni Hollande qu'il avait vainement cherché à "évangéliser" n'aient entamé cette rupture salvatrice.
Les perspectives d'action tracées par Philippe Aghion sont déterminantes pour un éventuel redressement de la France. Il vient d’ailleurs de dessiner un plan d’action dans un article des Échos intitulé « La France est réformable ».
Quelques réserves
Il n'y a aucun éclairage sur l'accélération des "destructions" provoquée par les innovations considérables résultant de la révolution numérique. La mobilité sociale consistera certes en la montée au firmament de la notoriété et de la richesse des nouveaux talents (GAFA) mais surtout, elle va se traduire par la destruction massive d'emplois. Le rôle de l'Etat deviendra alors crucial sur le plan de la solidarité sociale, de la formation continue et de la reconversion.
Curieusement, la démonstration de Philippe Aghion n'est comprise que si l'on rassemble des éléments épars du livre. Les tableaux ne sont pas toujours compréhensibles, même pour un lecteur pas totalement ignare...
Encore un mot...
Un ouvrage crucial, d'un abord certes laborieux, mais qui donne une assise théorique aux mesures difficiles à prendre d'urgence pour sortir notre pays de l'enlisement.
Une phrase
Qui seront deux:
- Philippe Aghion: "Comprendre ces processus fera avancer non seulement la science, mais également la société dans son ensemble, car on a moins peur de ce qu'on comprend mieux" p 69
- Tocqueville: "Je ne puis m'empêcher de craindre que les hommes n'arrivent à ce point de regarder toute théorie nouvelle comme un péril, toute innovation comme un trouble fâcheux...".
L'auteur
Philippe Aghion est âgé de 59 ans. Après un doctorat de 3ème cycle en économie mathématique et un doctorat en économie à Harvard en 1987, il a été chargé de recherche au CNRS. Mais sa carrière s'est orientée nettement vers les universités anglo-saxonnes : MIT à Boston, Oxford, University College London, enfin Harvard. En 2015, Il a été nommé professeur au Collège de France (dans la chaire "Economie des institutions, de l'innovation et de la croissance").
Il a aussi publié, avec des co-auteurs, "Repenser l'Etat" (2011) puis "Changer de modèle" (2014). Il a également participé aux travaux de la commission Attali, en 2008, et a été un éphémère conseiller de François Hollande au début du quinquennat.
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