Réformer la France
Parution le 26 avril 2023
286 pages
22,90 €
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Thème
Jean Peyrelevade, qui a occupé de très hautes fonctions dans l’appareil d’Etat et à la tête de grandes banques et compagnies d’assurances, est resté un réformiste de raison. Rappelons que le réformisme est en général une social-démocratie, plus rarement une droite modérée, dont l’objectif est l’adaptation du capitalisme dans un sens social sans mettre en cause son efficacité économique.
L’ouvrage est divisé en trois parties, un panorama historique de 1789 à 1981 pendant lequel le réformisme est généralement en échec, le gouvernement de Pierre Mauroy, un véritable réformiste selon l’auteur, de 1981 à 1984, et la période qui suit jusqu’à aujourd’hui avec la présentation de l’esquisse d’un programme réformiste tel que le conçoit Jean Peyrelevade.
La première partie historique offre des angles originaux bien argumentés. L’auteur est très élogieux pour Napoléon III qu’il considère comme un exceptionnel réformateur économique et social. Il est très sévère pour la IIIème République qui n’a rien produit en matière économique et sociale et a déjà recours à la facilité de l’endettement. Ainsi pour payer en 1871 l’énorme indemnité de 5 milliards de francs or à l’Allemagne, représentant plus de 20 % du Produit Intérieur Brut (PIB) de l’époque, l’emprunt est déjà privilégié. De ce fait l’endettement de la France est passé de 55 % du PIB avant la défaite à 80 % après celle-ci et à 110 % en 1890. Les dirigeants de la gauche sont tous des radicaux extrémistes à l’inculture économique abyssale, y compris Jaurès et Blum qui demeurent néanmoins des démocrates. Malgré cela l’auteur qualifie le gouvernement Blum du Front Populaire de seul gouvernement réformiste de la IIIème République.
La deuxième partie est consacrée au gouvernement Mauroy. Jean Peyrelevade présente Pierre Mauroy qu’il connaissait de longue date avant de devenir son directeur de cabinet adjoint en charge des questions économiques, comme un authentique social-démocrate réformiste, à la personnalité chaleureuse. Il décrit les batailles internes homériques où Mauroy, seul contre tous avec Delors, défend la rigueur lors des dévaluations de juin 1982 et mars 1983, conditions indispensables à leur succès. Mauroy a fait preuve d’un grand courage, en particulier en mars 1983, en mettant sa démission dans la balance, lorsque tous les partisans de la lâcheté de la sortie du Système Monétaire Européen aux parités fixes et ajustables murmuraient à l’oreille de Mitterrand. Le désastre a été évité de peu qui aurait amené la France au FMI en quelques mois. Peyrelevade est particulièrement sévère à l’égard des Fabius, Bérégovoy, Chevènement, Defferre, Jospin et même Rocard. Il confirme que Delors devait succéder à Mauroy en mars 1983. L’exigence légitime de Delors de pouvoir cumuler l’Economie et les Finances avec le poste de Premier Ministre comme Barre en 1978 lui a fermé la porte de Matignon. Delors ne pouvait accepter de se retrouver flanqué de Fabius aux Finances et de Bérégovoy aux Affaires Sociales, qui auraient saboté systématiquement son autorité et sa politique.
La troisième partie déroule jusqu’à aujourd’hui la succession des gouvernements de gauche et de droite après le départ de Mauroy en 1984 et celui de Delors pour 10 ans à Bruxelles en 1985. La seule constante, pour l’auteur, est le déni de réalité face aux problèmes de l’économie française. Le pire à ses yeux est Jospin et ses 35h, avec ses vieux réflexes trotskistes, menant une politique pire que celle de Mitterrand, réussissant à gâcher les opportunités de réforme qu’offrait une croissance annuelle exceptionnelle de 4%. Après avoir constaté que les Français ne travaillent pas assez et que les inégalités de revenus primaires sont trop importantes avant la redistribution massive la plus importante du monde qui fait de la France un des pays les moins inégalitaires, Jean Peyrelevade esquisse en fin d’ouvrage un programme de réforme.
Au plan institutionnel, il propose de revenir sur le mandat de 5 ans du Président de la République et de faire élire le Premier Ministre par l’Assemblée, se prononçant contre la cohabitation. Il souhaite remplacer le capitalisme actionnarial par le capitalisme de codécision, comme au Nord de l’Europe. Il faut améliorer le taux d’emploi, 10 points en dessous de celui de l’Allemagne, ce qui réduira mécaniquement les inégalités de revenus primaires avant redistribution, les déficits publics et de la balance commerciale. S’il faut faire travailler davantage les Français, la réforme des retraites étant insuffisante, il faudra également demander davantage aux couches favorisées. La transition énergétique coûtera au moins 2 à 3% de PIB supplémentaire d’investissements. Peyrelevade propose de les couvrir par 1 point de PIB de plus de taxes environnementales, 1 point supplémentaire du taux de TVA normal, une augmentation de 10 % de l’impôt progressif sur le revenu et un impôt modéré de 0,1 à 0,2% sur les actifs des 50 % des Français les plus riches. Par ailleurs, il faudra redistribuer en faveur des plus faibles revenus qui seront le plus négativement affectés par la transition énergétique. Bien entendu, il ne néglige ni l’éducation, ni la formation professionnelle.
Points forts
Peyrelevade fait un constat sans concession des problèmes de la France du déni de réalité, telle qu’il la qualifie à juste titre. Il propose un programme cohérent et équilibré de réformes. Il est toutefois conscient de la difficulté à trouver une majorité politique pour le mettre en œuvre.
La dimension historique de l’ouvrage est passionnante. L’hommage à I’Empereur Napoléon III est intéressant, sans être complètement nouveau depuis une vingtaine d’années. La critique forte de la IIIème République est moins courante.
La partie la plus riche et la plus documentée est l’hommage à Pierre Mauroy, un homme courageux et attachant, à l’opposé de la courtisanerie qui régnait à l’Elysée, dénué de l’arrogance qui caractérise trop souvent les ministres et leurs conseillers. Peyrelevade démontre de manière convaincante que Mauroy aidé de Delors a sauvé l’économie française grâce aux mesures de rigueur accompagnant les dévaluations de juin 1982 et mars 1983 (chapitres 4,5 et 6 de la deuxième partie). Grâce à eux l’endettement de la France n’était que de 40 % du PIB à la fin du premier septennat de Mitterrand contre 115 % aujourd’hui. La seule annexe du livre reproduit une note du 5 juin 1982 de Mauroy à Mitterrand, particulièrement courageuse.
La description des autres poids lourds du gouvernement, qui ont tout fait pour compliquer la tâche de Mauroy, n’est pas à leur avantage. Selon l’auteur, Fabius était peu courageux ; Bérégovoy faisait varier sa loyauté et ses convictions au gré de ses intérêts politiques personnels ; Rocard voulait toujours montrer qu’il était le plus intelligent et, tout en ayant peu en commun avec Chevènement qui prônait l’endettement systématique, partageait pourtant avec lui son goût pour les fortes dévaluations laxistes sans mesures de rigueur ; Jospin était dogmatique, imprégné par son héritage trotskiste et responsable de l’énorme erreur des 35h. D’autres défauts supplémentaires, parfois plus graves, sont décrits par l’auteur dans des citations reprises dans la partie « Une phrase »
Le jugement élogieux de Peyrelevade sur Mauroy et Delors et sévère sur les autres ministres est bien documenté. Il pourrait également être confirmé par un certain nombre d’acteurs et témoins de cette période, aujourd’hui septuagénaires et octogénaires.
Quelques réserves
Les réserves nécessairement marginales sur un livre aussi magistral peuvent être mentionnées en passant. Les éloges au gouvernement Blum sont excessifs. Alfred Sauvy a démontré avec brio que le passage aux 40h fut une grave erreur, de même nature que les 35h de Jospin en 1999. La présentation de la période gaulliste est caricaturale. D’une part le train des réformes économiques brillantes et efficaces de 1958 n’est évoqué que fugitivement, d’autre part l’ignorance de la question sociale est présentée de manière exagérée. Enfin la sous-évaluation par l’auteur, à l’époque, des effets négatifs de l’introduction de la retraite à 60 ans est à son débit.
Encore un mot...
La recherche du bien commun est le fil conducteur de ce livre. Le programme de réforme de Peyrelevade sera difficile à mettre en œuvre, mais il est indispensable. Le compromis de base pourrait être réalisé entre l’ensemble des Français qui accepteraient de travailler davantage et les Français les plus aisés qui accepteraient de contribuer fiscalement davantage. C’est loin d’être gagné d’avance.
La réhabilitation d’un homme politique autant sous-évalué que Pierre Mauroy mérite le respect. Si on juge aussi les dirigeants à la qualité des conseillers qu’ils choisissent et à la confiance qu’ils leur donnent, Pierre Mauroy doit être classé très haut. Quand Peyrelevade a quitté Matignon pour prendre la direction de Suez en mars 1983, Pierre Mauroy a choisi Pascal Lamy pour le remplacer comme directeur adjoint de cabinet. Il deviendra un exceptionnel directeur de cabinet de Delors pendant 9 ans à Bruxelles, puis Commissaire au Commerce Extérieur et enfin Directeur Général de l’Organisation Mondiale du Commerce. Jacques Delors, lui aussi sous-estimé lorsqu’il formait un formidable couple exécutif avec Mauroy à Paris, n’a pas besoin d’être réhabilité après ses trois exceptionnels mandats de Président de la Commission Européenne de 1985 à 1995.
Une phrase
- « La vocation de Pierre Bérégovoy était d’être au plus près du pouvoir donc toujours dans la majorité » page 87
- « Une dévaluation, qui traduit dans les faits avec une perte de pouvoir d’achat au niveau international de la monnaie concernée, n’a de sens que si elle est assortie d’un ensemble de mesures rigoureuses qui entérinent au plan interne cette constatation. » pages 111 et 112
- « Le narcissisme assez développé de Michel Rocard lui interdisait d’envisager d’autres hypothèses et, contrairement à Pierre Mauroy, écoutait peu qui n’était pas de son avis…Avec le temps il me devint de plus en plus insupportable. » page 94
- « Les ministres, dans la coulisse, plaidaient pour une flexibilité totale des taux de change : Laurent Fabius par opportunisme politique. » page 159
- « Chevènement n’a jamais eu la moindre compréhension de ce qu’est la conduite sérieuse d’un pays. » page 183
- « Le même Pierre Bérégovoy, nationalisateur dissimulé, précipita le capitalisme français dans le marché financier de façon explicite. » page 193
- « Lionel Jospin, continuateur du laxisme, peut à juste titre se vanter d’avoir mis fin à la rigueur du moment social-démocrate de 1982-1983. » page 196
- « La France, son peuple, ses dirigeants sont de plus en plus atteints d’une maladie grave : le déni de réalité. » page 210
- « A nouveau l’arrogance protestataire l’emporte sur l’esprit d’analyse et l’outrance sur la mesure. » page 211
- « Or l’interminable débat sur les retraites a caché un fait majeur : les Français sont paresseux, du moins par comparaison, n’en déplaise à certains observateurs approximatifs. » page 249
L'auteur
Jean Peyrelevade, polytechnicien, économiste de talent, a conservé une énergie intacte à 84 ans. Il a été Directeur adjoint du cabinet de Pierre Mauroy, en charge des questions économiques de 1981 à 1983. Par ses conseils, il a évité le pire en 1982/1983.
Il a dirigé successivement la Compagnie Financière de Suez, la Banque Stern, les Assurances UAP et le Crédit Lyonnais qu’il a redressé après la gestion calamiteuse de son prédécesseur.
Il présente l’alliance rare du conseiller avisé, de l’économiste de talent et du patron chevronné. Il a publié une dizaine de livres sur les questions économiques.
Commentaires
Excellente analyse d’un livre indispensable, qui met le doigt sur la longue litanie d’errements des gouvernements successifs tout en esquissant des voies de sorties du marasme actuel.
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