L’or de la guerre froide
Parution en mai 2022
207 pages
18 €
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Thème
De la conférence de Bretton Woods en juillet 1944 à la fin de la convertibilité du dollar en or décidée unilatéralement par Richard Nixon, le 15 août 1971, l’or a joué un rôle politique et géopolitique considérable. L’auteur, directeur des archives de la Banque de France, présente un tableau saisissant d’une période définitivement révolue. Il nous fait découvrir des épisodes inconnus, négligés ou oubliés au cœur des politiques économiques nationales et des relations internationales de l’époque.
Tout part de la création du nouveau système monétaire international à Bretton Woods dans le New Jersey. Le dollar est au centre du système. Il est la seule monnaie définie par rapport à l’or au taux de 35 $ l’once, inchangé jusqu’à 1971. Les autres monnaies sont définies par des parités fixes, mais ajustables par rapport au dollar. Cette consécration de la puissance américaine s’est avérée être une faiblesse avec le temps. Les gouvernements et les banques centrales des pays tiers pouvaient librement demander aux Etats-Unis de changer en or leurs avoirs en dollars sans que la réciproque soit vraie pour leur propre monnaie, au gré des variations de leur politique à l’égard des Etats-Unis.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis détenaient 18.000 t d’or, tandis que le stock britannique avait été réduit à néant. Curieusement la France qui avait protégé son stock hors de France disposait encore de 2.000 t d’or malgré l’effondrement du franc. La situation s’est inversée rapidement. Le Royaume Uni avait reconstitué son stock dès 1947 tandis que celui de la France s’effondrait.
Le livre décrit dans le détail les diverses manipulations sordides des banques centrales pendant les années 1950, avec la fabrication de vrais-faux napoléons par la France, compte tenu de l’énorme prime dont ceux-ci bénéficiaient et bénéficient encore aujourd’hui. La Suisse, le Royaume Uni firent de même avec leurs propres pièces tandis que l’URSS fabriquait également de faux napoléons. De son côté, l'Arabie Saoudite exigeait le paiement de son pétrole en souverains britanniques, vrais et vrais-faux américains, pour s’empresser de les fondre pour les revendre à Bombay au double du taux officiel.
Le cœur du livre est constitué par les différents épisodes du rôle politique de l’or. Le premier épisode fut le refus des Etats-Unis en 1956 d’accorder au Royaume Uni un prêt du Fonds Monétaire International pour forcer les Britanniques à se retirer du canal de Suez. Le maître du jeu politique de l’or fut incontestablement le Général de Gaulle. Tout d’abord il fut très déçu du refus des Etats-Unis, fin 1958, de former un triumvirat avec le Royaume Uni et la France en matière stratégique et nucléaire. La situation fut loin de s’améliorer avec les Présidents Kennedy et Johnson qui ont fait tout leur possible pour gêner le développement d’une force nucléaire française indépendante.
Le point culminant fut atteint en 1965. Fort de ses succès économiques, avec sa très efficace réforme libérale de fin 1958, la seule véritable à ce jour, et sa très bonne gestion du pays et de ses finances, le Général de Gaulle avait placé la France dans une situation qui lui permettait de peser sur les affaires du monde. Exaspéré par les différents refus américains de coopération, notamment de réformer le système monétaire international et de corriger le déficit structurel de leur balance des paiements, le Général de Gaulle déclencha la guerre de l’or, lors d’une célèbre conférence de presse du 4 février 1965, en prônant le retour à l’étalon or. A partir de ce jour, il n’eut de cesse de demander la conversion en or des excédents de dollars de la France. La France devenait en 1967 le deuxième détenteur d’or du monde avec 4600 t derrière les Etats-Unis avec 10.000t, en diminution constante de 1.000 t par an.
La fin était proche. Ce fut d’abord, en 1968, l’élimination du taux de couverture des émissions de dollars par 25% d’or, puis, en 1971, la suppression de la convertibilité du dollar en or. C’était la fin du système de Bretton Woods. Dans l’intervalle les évènements de 1968 affaiblirent la France économiquement et politiquement.
Le livre rappelle le coût inégal du financement de la guerre froide de 1950 à 1970 entre les grands pays : 10% du PIB pour les Etats-Unis, 8% pour le Royaume Uni, 6% pour la France, 4% pour l’Allemagne et seulement 1% pour le Japon. Il démontre également le rôle négligeable des déficits de la balance des paiements des Etats-Unis dans ce financement, contrairement aux idées reçues souvent défendues en France.
Points forts
L’auteur revisite de manière convaincante la période du paroxysme de la guerre froide entre 1950 et 1970, avec le rôle majeur de l’or prédéterminé largement par la construction de Bretton Woods. Les grandes évolutions géostratégiques à l’intérieur du monde libre sont bien mises en évidence : la dynamique du déséquilibre générée par Bretton Woods ; l’effort économique énorme et disproportionné des Etats-Unis pour gagner la guerre froide, mais aussi les occasions manquées de mieux coopérer avec la France du Général de Gaulle ; le mélange exceptionnel de vision stratégique et de cynisme du Général de Gaulle au service d’un projet, très cohérent avec le recul du temps, qui se fracasse sur les évènements de 1968.
De nombreuses anecdotes, souvent savoureuses, rendent le livre très vivant. Le hold up de la gare de Neuvic en juillet 1944 permit à la Résistance de récupérer un trésor de guerre de 400 millions d’euros d’aujourd’hui que le parti communiste réussit à convertir intégralement et légalement en juin 1945 par l’intermédiaire de milliers de militants fidèles. Les coups tordus entre services secrets « amis » sont impressionnants : écoute des ambassades de France à Washington et à Londres (connaissance inestimable du contenu des dépêches chiffrées), écoute, sur ordre du Général de Gaulle lui-même, de la chambre du sous-secrétaire américain George Ball, de passage à Paris, et photo de ses papiers personnels pendant son sommeil. Qui sait aujourd’hui que la détention d’or par les Américains a été interdite de 1933 à 1974. Il en a été largement de même au Royaume Uni. Enfin le surnom de Gaullefinger, dont la presse américaine a affublé le Général en 1965, au moment de la sortie sur les écrans du James Bond éponyme, ne manque pas d’humour.
Quelques réserves
Il est difficile d’émettre la moindre réserve sur ce livre passionnant qui renouvelle le sujet. Tout au plus pourra-t-on regretter le manque d’articulation avec la période qui a suivi et la nouvelle guerre froide d’aujourd’hui.
Encore un mot...
Ce livre démontre que la France n’a jamais pesé autant dans les affaires mondiales que lorsque son économie était dynamique et ses finances en ordre. A cet égard la période 1958/1967, largement couverte par l’auteur, est un cas d’école à méditer par tous nos gouvernants depuis quarante ans d’égarements économiques, selon la formule du livre de Jacques de Larosière.
Une phrase
- « Au-delà des vrais, des vrais-faux, des faux vrais-faux, le napoléon joua un rôle primordial dans l’après-guerre. Il constituait l’une des premières formes d’épargne populaire en France. » page 49
- « Selon son proche conseiller Rostow, Kennedy ressassait sans cesse le sujet, obsédé par l’idée d’un de Gaulle le narguant de façon insolente sur son petit tas d’or. » page 96
- « La guerre froide ne s’est pas arrêtée avec la fin du système de Bretton Woods, mais l’or a perdu sa place centrale et le pétrole est devenu la matière première par excellence. » page 199
L'auteur
Arnaud Manas est un multi diplomé, comme on en rencontre rarement : Ecole nationale supérieure d’informatique et de mathématiques appliquées de Grenoble, ESCP option finance, Sciences Po Paris, Docteur en histoire et en économie. Il dirige le service du Patrimoine et des Archives de la Banque de France, ce qui a dû faciliter ses recherches de documents inédits.
Par ailleurs, il a déjà écrit un livre du même type en 2016 L’or de Vichy aux Editions du Vendémiaire.
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