L’invention du travail
Parution en octobre 2023
298 pages
20 €
Infos & réservation
Thème
Le livre est divisé en trois parties d’importance équivalente : les temps anciens, de la Bible au XVIIIème siècle, du XIXème siècle à aujourd’hui.
L’auteur tord le cou à la légende de la vie idyllique des chasseurs cueilleurs soi-disant en harmonie avec la nature par rapport à l’invention de l’agriculture, présumée source de tous les maux, aliénation par le travail, esclavage, guerre. En réalité, il est démontré que les situations étaient proches. Des Sumériens à Hésiode le travail est l’instrument du lien entre les hommes et les dieux. Les Anciens au sens des Grecs et des Romains avaient un rapport ambivalent au travail, mépris du travail pour le compte d’autrui, mais aussi de l’oisiveté, et dégradation de l’image du travail au fur et à mesure du développement de l’esclavage.
Dans la Bible, le travail est un instrument au service de Dieu, mais aussi des semblables, et non une malédiction comme pourrait le suggérer une mauvaise lecture de la Genèse. Le Moyen Age recycle au contraire le concept de malédiction divine. Le travail est assuré par le peuple au bénéfice du clergé et des guerriers. Les Temps Modernes du XVIème au XVIIIème siècle voient l’individualisation du travail et sa déprise progressive du religieux. Le travail devient un instrument de la réussite individuelle, mise en cause par la philosophie utopique de Jean-Jacques Rousseau.
Adam Smith introduit les notions de division du travail et les catégories de travail productif et improductif, liés au mécanisme de l’échange. A sa suite les socialistes utopiques font du travail le moyen de dépasser le conflit social. Taylor soumet le travail à la machine. Marx part du travail aliénant pour le dépasser par le contrôle des moyens de production par les travailleurs. Proudhon défend l’égalité des moyens et non des résultats. Les débats actuels sur la fin du travail et sa réduction progressive sont abordés avec scepticisme en fin d’ouvrage.
Points forts
Olivier Grenouilleau fait preuve d’une érudition exceptionnelle et profonde en ayant à peu près tout lu et assimilé sur le sujet de l’Antiquité à nos jours. C’est probablement la somme la plus complète en français sur l’évolution du concept de travail au cours de l’histoire. Les dimensions religieuse, philosophique et sociale sont particulièrement bien couvertes. L’auteur remet en cause de manière argumentée beaucoup d’idées reçues sur le néolithique, la Bible, l’interprétation de la pensée des économistes classiques et même de Max Weber.
Le choix de la couverture est d’une grande pertinence avec la reproduction du magnifique tableau de Fernand Léger « Les constructeurs ». Ce tableau rend hommage au travail manuel en 1950 dans le contexte de la reconstruction de la France de l’après-guerre.
Quelques réserves
Le didactisme, positif s’agissant du niveau universitaire du livre, le rend probablement un peu difficile pour le lecteur moyen. En outre, la dimension économique aurait pu être approfondie davantage. Il est vrai que ce n’est pas la spécialité de l’auteur qui a néanmoins assez de bon sens pour mettre en doute le concept de revenu universel. Enfin la période contemporaine, avec les concepts fumeux de fin du travail et de réduction sans fin du temps de travail, est peu abordée.
Encore un mot...
Le tableau de Fernand Léger est particulièrement intéressant en ce qu’il incarne la joie et la solidarité au travail. De ce point de vue, il avait été particulièrement mal accueilli à l’époque par ceux auxquels il s’adressait. Le Parti Communiste - dont pourtant Fernand Léger était membre - et la CGT, très puissants à l’époque, ont été très critiques. Cela renvoie aux débats hexagonaux actuels dans lesquels la valeur travail, au cœur du livre, est couramment niée, même par les plus modérés. Le déni de réalité, un des défauts français classiques allant de pair avec le goût des idéologies, annonce ses funestes conséquences.
Une phrase
- « Différent est le discours d’Hésiode…Conséquence de son inconduite (de l’homme), le travail est de ce fait susceptible d’être l’outil de sa rédemption » page 56.
- « Qu’ils soient aristocrates, rentiers ou sages, Grecs ou Romains, tous tendent à dévaloriser le travail et les loisirs collectifs. » page 88.
- « Fortement présent, le travail est abordé sous une forme particulière semblant subsumer toutes les autres : il est service rendu à Dieu et aux hommes. » page 104.
- « Calvin le dit aussi : du travail, plus que des aumônes. » page 174.
- « Fondée sur des arguments historiquement en partie vrais, mais globalement et massivement simplistes ou erronés, l’idée d’un retour, à un âge d’or délivré des contraintes du travail semble donc illusoire…Financer le non travail des uns par un prélèvement sur le travail des autres ne paraît guère tenable. » pages 256 et 260.
- " Avec Hésiode le travail de la terre revêt valeur de rite. La Bible l’érige en œuvre, tout comme le font, à leur manière, la Réforme protestante, Smith, Marx, Proudhon et bien d’autres. Parce qu’il permet à l’individu de maîtriser la nature, à l’homme de créer du lien social et à l’humanité de s’accomplir. » page 272.
L'auteur
Olivier Grenouilleau, agrégé d’histoire et professeur des universités, est actuellement inspecteur général de l’éducation, tout en continuant son activité de recherche au sein du centre Roland Mousnier de la Sorbonne. Issu d’un milieu très modeste, il est un pur produit de la méritocratie républicaine. Il est un spécialiste reconnu de l’histoire de l’esclavage.
Son livre le plus célèbre, Les Traites négrières, publié chez Gallimard en 2004, récompensé par le Sénat et le prix Chateaubriand en 2005, est remarquable. Il a été l’objet d’une polémique scandaleuse soutenue par Christiane Taubira et Claude Ribbe, qui a probablement gêné la carrière universitaire d’Olivier Grenouilleau, objectif affiché de ses contempteurs.
Olivier Grenouilleau, sans mettre aucunement en cause l’abomination de l’esclavage, avait démontré qu’il n’avait pas un caractère génocidaire. En outre, dans son livre, il avait estimé que les chiffres de la traite arabe et de la traite interafricaine, exclus de la définition de crime contre l’humanité de la traite transatlantique par la loi Taubira de 2001, étaient comparables, voire plus élevés, mais sur une période plus longue. C’est un cas d’école, chez les intellectuels français de droite et de gauche, où la passion et l’idéologie l’emportent sur les faits.
Ajouter un commentaire