Les rêves d’un Européen au XXIème siècle
Traduit du néerlandais par Guillaume Deneufbourg
Parution le 17 novembre 2022
606 pages
33 €
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Thème
Le livre a été publié aux Pays-Bas en 2019. La traduction française a été publiée en novembre 2022 avec l’ajout d’un épilogue 2020-2022 qui permet de couvrir le COVID et le début de l’agression de l’Ukraine par la Russie. Ce livre est la suite d’un magnifique livre précédent, Voyage d’un Européen à travers le XXème siècle, publié aux Pays-Bas en 2004 et traduit en français en 2007 en 1045 pages pour Gallimard. L’auteur poursuit la formule qui lui a si bien réussi d’une sorte de journal de ses rencontres avec les Européens d’en bas à travers l’Europe pour essayer d’en tirer des leçons de portée générale. L’auteur a voyagé partout en Europe de l’Islande aux Balkans et nous livre le fruit de ses rencontres et de ses conversations avec ses amis. A partir d’un ensemble d’anecdotes, il en tire un fil directeur préétabli sur l’étroitesse d’esprit des institutions de l’Union Européenne et sur leur caractère supposé non démocratique.
Points forts
Quelques passages sont bien venus, comme la description de la crise financière de 2008 que l’auteur a vécu au sein de la grande banque belgo-néerlandaise HSBC où il occupait un poste important. Il en est de même de la crise grecque en 2015 qui est bien rendue avec la folie provocante du ministre grec des finances, Varoufakis, et la stratégie suicidaire et incohérente du gouvernement Tsipras.
Quelques réserves
Visiblement le succès mérité de l’admirable livre précédent de l’auteur lui est monté à la tête. Ce n’est plus un livre sur l’Europe. C’est un livre sur les pensées « profondes » du « génial » Geert Mak. Aucun poncif ne nous est épargné. L’auteur ne comprend à peu près rien au fonctionnement des institutions de l’UE. Contrairement à ce que raconte l’auteur, le Président de la Commission Européenne n’est pas nommé, mais élu en trois étapes, d’abord proposé par le Conseil Européen à la majorité qualifiée (55 % des Etats et 65 % de la population) des Chefs d’Etat et de Gouvernement, puis élu par la majorité absolue des membres du Parlement Européen, puis une deuxième fois dans les mêmes conditions avec l’ensemble des commissaires après une audition individuelle très serrée de chacun d’entre eux par la commission compétente du Parlement Européen. En outre l’auteur fait de Jacques Delors un fédéraliste, ce qu’il n’était pas. Il était en faveur d’une Fédération d’Etats Nations.
La crise ukrainienne de 2014 aurait été due au manque de générosité de l’UE et à un complot américain. L’auteur de cette chronique qui a vécu cette période comme le plus haut fonctionnaire de la Commission Européenne responsable de ce dossier confirme l’inanité de cette accusation qui n’est que le relai de la propagande poutinienne. Affirmation encore plus ridicule, le Brexit aurait été causé par le manque de démocratie de l’UE. Les 60 % d’électeurs britanniques aujourd’hui opposés au Brexit apprécieront.
L’auteur regrette que le hijab soit interdit dans les écoles françaises et prétend à tort que le burkini serait interdit sur les plages françaises. Il regrette également que certaines traditions discutables, comme les montreurs gitans d’ours en Bulgarie, ne soient plus autorisées.
Aucun succès n’est porté au crédit de l’UE, que ce soit le sauvetage de l’EURO en 2015 qui était loin d’être acquis, ou la lutte contre le COVID et la mutualisation de l’achat des vaccins. A cet égard l’auteur ignore que l’UE avait mis gratuitement à disposition des pays en voie de développement des centaines de millions de doses de vaccins. Il prétend même le contraire.
Enfin il n’a interviewé aucun responsable des institutions de l’UE sinon un obscur rédacteur de discours de Barroso qui n’a jamais joué le moindre rôle. On a du mal à comprendre comment ce livre a pu être présélectionné pour le prix du livre européen.
Encore un mot...
On est en face du syndrome malheureusement classique de certains journalistes aveuglés par leur passion partisane qui assènent des contre-vérités justifiant leur à priori. Ils se croient investis d’une mission auprès de l’opinion publique. La France est particulièrement riche de ce genre de cas.
L’exemple le plus typique est la qualification de la Commission Européenne d’institution bureaucratique non élue par une grande partie des médias français. Or la Commission Européenne est élue plus démocratiquement que le Gouvernement de la France. Elle est désignée par la majorité des Chefs d’Etat et de Gouvernement, eux-mêmes élus par leurs citoyens, comme le Premier Ministre est nommé par le Président de la République.
Par contre il n’y a pas de vote de confiance obligatoire du Gouvernement par le Parlement, à la différence de l’élection de la Commission Européenne par le Parlement Européen dont les membres sont élus directement par les citoyens européens, ni d’audition préalable des ministres à la différence des commissaires. Comme le Gouvernement, la Commission Européenne peut être renversée par une motion de censure. C’est arrivé une fois avec la Commission Santer en 1999 qui a démissionné avant le vote et avec le Gouvernement Pompidou en 1962.
Une autre contre-vérité courante est l’attribution à la Commission Européenne de la responsabilité de l’absence de la mention des racines chrétiennes de l’Europe dans le Traité de Lisbonne de 2009 dérivé du projet de Constitution de Giscard de 2005. En réalité, cette absence est due à une demande explicite et insistante de Chirac à Giscard.
Une phrase
- « L’union monétaire forgée pendant et après l’unification allemande n’était pas un projet allemand visant à dominer l’Europe, mais bien un projet européen destiné à tenir l’Allemagne en bride. » page 49
- « Au début de ce siècle, le penseur politique Dominique Moisi a écrit que le monde n’était plus confronté à un choc des civilisations, mais à un choc des émotions : une culture de l’espoir en Chine et dans le reste de l’Asie, une culture de l’humiliation dans le monde arabe et musulman, une culture de la peur en Occident. » page 528
- « Parfois nos élus arrivent à s’élever au-dessus d’eux-mêmes, à s’affranchir des éternels schémas de pensée, à sortir des sentiers battus. La création de la Communauté Européenne du charbon et de l’acier en 1952 est l’un des exemples de ces moments de grâce, et ce petit cercle de pionniers en avait bien conscience. L’approfondissement de ce projet, qui a conduit, par le Traité de Maastricht, à la création de l’Union Européenne, est un autre modèle du genre, piloté et mis en œuvre par des diplomates et des hommes d’Etat de haut rang, visionnaires et souvent courageux. Reste à savoir si de telles prouesses seront possibles dans les années à venir. » page 529
L'auteur
Geert Mak est un journaliste et historien néerlandais très populaire dans son pays. Il a écrit une trentaine de livres sur son pays et l’Europe dont certains ont été primés. Son livre Voyage d’un européen à travers le XXème siècle a été un énorme succès
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