L’accélération de l’histoire. Les noeuds stratégiques d’un monde hors de contrôle
Parution le 11 Janvier 2024
176 pages
18,50 €
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Thème
L’auteur décrit le basculement fondamental du monde au travers de trois nœuds géostratégiques : Taïwan, le détroit d’Ormuz et le Bosphore.
La Chine a de facto annexé la Mer de Chine du Sud du Japon et de la Corée, en passant par l’Ouest des Philippines jusqu’au sud du Vietnam aux confins de la Malaisie. Cette annexion a été réalisée par la prise de contrôle d’îles, d'îlots et même de simples rochers sur lesquels les pays mentionnés ont des droits historiques. Ainsi les Philippines ont gagné devant un tribunal arbitral international dont la Chine a refusé de reconnaître l’arrêt. L’objectif de la Chine est incontestablement militaire dans la mesure où la Mer de Chine Méridionale accueille les principales bases chinoises de sous-marins. La prise de contrôle de Taïwan et de ses 50 % de la production mondiale de semi-conducteurs est l’objectif ultime. Les pays voisins, en particulier le Japon, la Corée et les Philippines, comptent sur les Etats-Unis qui continuent de faire patrouiller leur VIIème flotte dans la zone. L’alliance de la Chine avec la Russie depuis la guerre en Ukraine et désormais avec la Corée du Nord nucléarisée est angoissante pour les pays riverains. Derrière tout cela, il y a la bataille pour le leadership technologique entre les Etats-Unis et la Chine. L’auteur questionne la crédibilité de la position indépendante de la France qui n’a pas nécessairement les moyens de sa politique.
Le détroit d’Ormuz entre les émirats et l’Iran est redevenu un élément essentiel de la sécurité énergétique de l’Europe avec la fin de son approvisionnement en pétrole et en gaz russe après le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les atrocités du 7 octobre 2023 commises par le Hamas et l’entrée de l’armée israélienne à Gaza. Le Moyen-Orient que les accords d’Abraham, une des rares réussites de Trump, donnaient l’impression d’avoir stabilisé, est redevenu plus que jamais une poudrière.
Le Bosphore est devenu un axe crucial de l’alimentation du monde en blé du monde. La Russie et l’Ukraine sont passés du début des années 2000 aux années 2010 de 10 à 30 % des exportations mondiales de blé.
L’auteur conclut à la nécessaire prise de conscience des Européens du changement fondamental du monde et des conséquences à en tirer en matière de politique de défense, mais pas seulement. Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est loin d’être assuré.
Points forts
Thomas Gomart maîtrise son sujet de manière impressionnante. Il est capable de rendre compte de la complexité de ces trois nœuds stratégiques, particulièrement bien choisis, de façon claire et synthétique. Thomas Gomart a beaucoup voyagé, y compris sur des navires de la Marine Nationale. Il est tout le contraire de certains de ses confrères, géo stratèges en chambre biaisés idéologiquement en faveur de pays qu’ils n’ont souvent même pas visités. Ce livre devrait être en permanence sur le bureau de tous les dirigeants européens afin de les aider dans leur réflexion stratégique, du moins quand ils en ont une. Les trois cartes sont particulièrement éclairantes dans un grand esprit de synthèse. En un mot c’est un livre qui fera date, encore meilleur que le précédent, pourtant déjà excellent, sur les ambitions inavouées des grandes puissances.
Quelques réserves
Il n’y en a aucune si ce n’est un clin d’œil. Comment se fait-il que Thomas Gomart s’obstine dans tous ses livres à ne jamais citer le livre fondamental de Samuel Huntington The Clash of Civilisations publié en 1996 déjà théorisé dans un article en 1993, longtemps considéré comme politiquement incorrect en Europe, malgré sa clairvoyance rétrospective par opposition au diagnostic erroné de Francis Fukuyama dans The End of History and the Last Man publié en 1992 qui a longtemps eu les faveurs des dirigeants occidentaux. Ce choix a certainement nourri les nombreuses erreurs stratégiques occidentales à l’égard de la Chine, de la Russie et du Moyen Orient.
Encore un mot...
Ce livre devrait figurer au programme de tous les lycées et de toutes les universités en sciences politiques et en histoire. C’est probablement un peu optimiste dans notre pays, une des cibles préférées de la désinformation poutinienne, où ses agents d’influence, rémunérés ou pas, sont très présents, comme le démontrent certaines révélations très récentes concernant des journalistes prestigieux insoupçonnables des années soixante aux années quatre-vingt-dix.
Une phrase
« Tout aussi remarquable à noter, la capacité des Etats-Unis à conserver leur place unique sur la scène internationale… : en 1980, ils représentaient 25% du PIB mondial ; encore 25% 15 ans plus tard au pic de leur moment unipolaire ; toujours 25% en 2023. » page 12
« L’objectif [des Etats-Unis] n’est pas de rompre les échanges économiques et financiers avec la Chine, mais de protéger, bec et ongles, toutes les technologies duales, susceptibles de modifier l’équilibre stratégique global. » page 52
« En entretenant une illusion de surplomb, la France n’est-elle pas en train de reproduire vis-à-vis de la Chine la lecture qui avait été la sienne à l’égard de la Russie… » page 59
« Autrement dit, [les pays européens] sont doublement dépendants des Etats-Unis : pour les importations directes [d’énergie] et pour la sécurisation de celles en provenance du Moyen-Orient. » page 88
« Ce qui me frappe rétrospectivement, c’est la vitesse à laquelle [la Russie] s’est transformé[e] contre l’Occident. » page 127
« C’est pourquoi il est nécessaire pour les Européens de sortir, le plus rapidement possible, de leur isolement mental car il devient politique. » page 134
L'auteur
Thomas Gomart est directeur depuis 2015 de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI) où il a effectué l’essentiel de sa carrière. Fondé par Thierry de Montbrial en 1979, qui en assure encore la présidence, l’IFRI est considéré dans son domaine comme un des tous meilleurs think tanks mondiaux.
A l’origine spécialiste des relations franco-soviétiques, Thomas Gomart a obtenu en 2003 le prix Jean-Baptiste Duroselle pour sa thèse de doctorat d’Etat sur les relations franco-soviétiques de 1958 à 1964. Depuis cette époque il est devenu un spécialiste reconnu de la géopolitique. Il a notamment publié trois autres livres géopolitiques remarqués chez Tallandier : en 2019 L’affolement du monde : 10 enjeux géopolitiques, en 2021 Guerres invisibles : nos prochains défis géopolitiques, en 2023 Les ambitions inavouées : ce que préparent les grandes puissances.
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