La Turquie au XXème siècle
Parution le 3 février 2022
319 pages
21 €
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Thème
Le livre fait partie de la collection « Guide des Civilisations » avec une quarantaine de titres publiés comprenant la quasi intégralité des civilisations à l’exception notable et curieuse de l’Egypte et de l’Afrique. L’auteur a déjà couvert la civilisation ottomane du XVème au XIXème siècle dans deux ouvrages précédents.
Le livre dresse un panorama très riche de la Turquie au XXème siècle dans ses dimensions politique, constitutionnelle, économique, sociale, culturelle, religieuse, sportive et même architecturale. Si la période Kemaliste de l’Entre-deux-guerres mondiales bénéficie déjà d’une abondante historiographie, le livre présente l’avantage de décrire l’évolution de la société turque dans la deuxième moitié du XXème siècle sur laquelle il existe peu de documentation.
La Turquie du XXème siècle est caractérisée par son nationalisme complétée par la montée de l’islam politique à partir de la deuxième moitié des années 1970, les deux éléments se nourrissant l’un l’autre, à la différence du Kemalisme. Finalement les héritiers de gauche de Kemal n’ont que peu gouverné, avec Ecevit comme Premier Ministre de 1973 à 1975, de 1977 à 1980 et de 1999 à 2002. Cette période s’est achevée par la plus grande crise économique qu’ait connu la Turquie qui a amené Erdogan au pouvoir. Les héritiers de droite du Kemalisme sont en réalité les militaires qui ont effectué avec succès trois coups d'État en 1960, 1971 et 1980 et un quatrième virtuel en 1997.
Le livre décrit la fin de la domination du Kemalisme étatiste et autoritaire qui s’est achevée par la perte du pouvoir en 1950 par Inönü, le dauphin de Kemal décédé en 1938, au profit d’une nouvelle génération de libéraux conservateurs, généralement musulmans pieux. Ainsi Menderes, exécuté par les militaires en 1961, Demirel, le premier à avoir reconnu la réalité kurde, et Özal ont plutôt bien géré le pays, de manière plus compétente et modérée que Erdogan, avec une forte croissance économique.
Le livre est décliné en chapitres indépendants qui permettent au lecteur d’approfondir un élément particulier sans lire la totalité de l’ouvrage d’une seule traite. Toutes les questions sont couvertes comme une mini encyclopédie. On notera en particulier la qualité des chapitres sur les minorités ethniques (Kurdes, Grecs, Arméniens) et religieuses (Soufis, Alévis, Orthodoxes, Chrétiens d’Orient, Juifs) et les relations avec l’Union Européenne.
Points forts
La connaissance en profondeur de la Turquie, sous tous ses aspects, par l’auteur est impressionnante. Sa maîtrise de la langue turque est certainement un atout. Le mélange entre modernité, tradition et nationalisme est bien rendu. Des éclairages inattendus sont offerts.
L’ambigüité de la relation entre le Kemalisme et l’islam après la Seconde Guerre mondiale est peu connu. Le mariage surprenant entre libéralisme économique et islam chez les politiciens conservateurs turcs a pu donner l’illusion que des partis équivalents aux démocrates chrétiens européens allaient se développer en Turquie. La deuxième constitution de la Turquie, adoptée en 1961 sous l’égide des militaires, abolie en 1982, a été la plus démocratique de toute son histoire.
L’abandon de l’alphabet arabe en 1928 avec le passage obligatoire à l’écriture latine est un élément fondamental sous-estimé. La grande majorité des Turcs sont désormais incapables de déchiffrer la moindre inscription ancienne. Il est vrai que seulement 8% des Turcs savaient lire en 1928. L’alphabétisation a été grandement facilitée. Paradoxalement cette rupture avec le passé ottoman facilite les relations avec les républiques turcophones d’Asie Centrale qui ont, pour la plupart, abandonné l’alphabet cyrillique au profit de l’alphabet latin.
L’émancipation de la femme a été sans précédent dans un pays très majoritairement musulman. Elles représentent aujourd’hui le tiers de la population active. Dès 1926, le Code civil inspiré du Code civil suisse a donné aux femmes un droit égal aux hommes en matière de divorce et de droits des enfants. Elles ont obtenu le plein droit de vote dès 1934. Enfin, l'égalité complète entre les hommes et les femmes au sein de la famille a été votée en 2001.
Quelques réserves
Il est difficile d’émettre la moindre réserve sérieuse sur la période couverte. Tout au plus pourrait- on signaler le peu de développement sur l’activité diplomatique turque en dehors de l’Union Européenne et la mention elliptique du génocide arménien en deux lignes, même s’il relève essentiellement du volume précédent de l’auteur.
Par contre l’arrêt de la période étudiée en 2002, date de l’arrivée d’Erdogan au pouvoir, suscite une réserve importante. L’auteur le mentionne dans sa préface sans apporter la moindre justification, si ce n’est que ce ne serait plus le XXème siècle. Cette explication tautologique n’est guère convaincante. Il aurait suffi d’intituler le livre « La Turquie du XXème siècle à aujourd’hui », même s’il est vrai que le monde a fondamentalement changé depuis le 11 septembre 2001 et la deuxième guerre en Irak en 2003. On espère que la fonction de trésorier du Comité France-Turquie de l’auteur est sans rapport avec ce choix d’éviter la description de la dérive autoritaire et anti européenne du régime d’Erdogan.
Encore un mot...
Revenons un instant sur la décision de l’Union Européenne au sommet d’Helsinki de décembre 1999 de reconnaître la vocation de la Turquie à adhérer à l’Union Européenne et d’ouvrir les négociations en 2005.
Pour l’auteur de cette chronique qui a été aux premières loges de cette décision, c’est la pire décision de politique extérieure jamais prise par l’Union Européenne. Il est irresponsable de proposer à un pays tiers une négociation qui n’a que peu de chances d’aboutir et aucune d’être jamais ratifiée par tous les Etats Membres. La raison en est à la fois la taille de la Turquie qui serait devenu le pays le plus peuplé, donc dominant au sein de l’Union Européenne, et l’insuffisance de racines communes. La réélection de justesse d’Erdogan, avec des media muselés et la condamnation grotesque du maire d'Istanbul qui aurait été son adversaire le plus dangereux, en est un exemple parmi d’autres.
Il aurait été de loin préférable de proposer à la Turquie une relation très étroite avec l’Union Européenne du même type que celle de la Norvège, en approfondissant l’accord d’association de 1963 et l’Union Douanière de 1995 avec des chances très grandes d’aboutir.
Il existe des aspects ignorés de la décision d’Helsinki. Si le rôle de l’Allemagne de Schroeder, au nom de considérations électoralistes à court terme à l’égard des nombreux Allemands d’origine turque et de son mercantilisme commercial, et celui du Royaume Uni, toujours favorable à la dilution de l’Union Européenne, sont connus, celui de la France de Chirac l’est beaucoup moins. En réalité Jacques Chirac a poussé, peut-être encore davantage que Schroeder, à l’ouverture de la négociation d’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne. Jean-Claude Juncker, Premier Ministre du Luxembourg de 1995 à 2013 et Président de la Commission Européenne de 2014 à 2019, m’en a fait récemment la confidence en rapportant les critiques générées par l’expression publique de son scepticisme.
Une phrase
- « Avec ses montagnes et ses hauts plateaux, la Turquie joue le rôle de château d’eau pour ses voisins. » page 76
- « Le 2 octobre 1924 un traité d’échange des populations est signé sous l’égide de la Société des Nations. Il oblige 1,5 million de Grecs à quitter la Turquie, tandis que 400.000 Turcs sont expulsés de Grèce ». Page 78
- « On estime les populations turcophones à travers le monde à près de 150 millions de personnes ». Page 80
- « Paradoxalement, à l’époque ottomane, le mot Turc désignait de manière péjorative le paysan. » Page 97
- « Vers la fin du XIXème siècle, les chrétiens de l’Empire ottoman, Grecs et Arméniens surtout, ont connu un véritable apogée démographique. Ils formaient alors plus de 20 % des sujets du sultan. » Page 110
L'auteur
Frédéric Hitzel, docteur en histoire, est un spécialiste reconnu de l’histoire ottomane à l’époque moderne. Il a écrit une dizaine de livres sur l’histoire et l’art ottoman. Il a été commissaire de nombreuses expositions. Il est trésorier du Comité France-Turquie. Il parle couramment la langue turque.
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