La Révolution transhumaniste
Infos & réservation
Thème
Luc Ferry réussit à établir un parallèle entre le transhumanisme et l'uberisation du monde en explicitant la convergence accéléré des NBIC, à savoir les nanotechnologies, la biogénétique, l'informatique et internet, les sciences cognitives avec l'intelligence artificielle.
On parle de Transhumanisme depuis 2002 aux Etats-Unis mais c'est récemment que l'on s'est interrogé en France sur le concept qui semble un peu fou : améliorer l'homme et l'humanité sur tous les plans.
Le progrès des sciences permet, au-delà de la réparation de l'être humain, son "augmentation". Non seulement il est possible de remettre en question le caractère inévitable de la vieillesse et de la mort, mais aussi d'envisager l'hybridation de l'homme et de la machine. Grâce à des implants cérébraux, l'homme peut être interfacé avec un ordinateur. C'est le post-humanisme qui supplante le concept humaniste de perfectibilité de l'être humain (Condorcet, Rousseau, Bacon, etc.)
Ensuite, l'hyperhumanisme favoriserait l'amélioration de l'ensemble de l'humanité, la Terre étant un être vivant. Luc Ferry, comme il l'avait fait avec " Le nouvel ordre Ecologique", retrace avec précision toutes les racines philosophiques de ce mouvement.
Puis, il passe à l'économie collaborative et l'ubérisation du monde, considérant qu'une transformation irréversible de nos sociétés est en cours grâce aux NBIC, la biogénétique n'intervenant, toutefois pas dans ce processus. Luc Ferry explique les caractéristiques de la 3ème révolution industrielle en décrivant l'internet de l'énergie, l'internet des objets connectés, l'internet de la logistique et l'internet des communications (Gafa, Twitter, Facebook, etc.)
A cette occasion, il règle son compte à Jérémy Rifkin, auteur de "La fin du travail", qui a inspiré les 35h de Martine Aubry et, qui a publié en 2014, "la nouvelle société du coût marginal zéro". Rifkin se fourvoie en annonçant une organisation future de la vie humaine hors du régime capitaliste grâce à l'interconnexion solidaire des communautés humaines par réseaux gratuits, développant ainsi une béate empathie universelle. En réalité le monde d'Uber, de blablacar, d'Airbnb va entrainer une explosion ultralibérale, individualiste et mercantile d'un post-capitalisme inquiétant. La "destruction créatrice" d'emplois prévue par Schumpeter va, en outre, prendre une dimension cataclysmique.
Luc Ferry, pour ouvrir des perspectives tendant à protéger nos contemporains et surtout les générations à venir des désagréments et dérapages de ces évolutions, préconise la mise en place de régulations. Il ne s'agit pas pour lui de bloquer les entrée dans cette nouvelles ère, interdisant toute évolution au nom de l'éthique et du principe de précaution. Cela serait inopérant en raison de la mondialisation et du déclin de l'Etat-Nation. Mais, sans être en mesure de préciser les voies et moyens de cette régularisation, il s'efforce d'en tracer le cadre : ne pas tolérer la liberté absolue qui débouche sur Big Brother, ne pas interdire sans raison argumentée. Luc Ferry invoque le sens du tragique grec qui oppose des légitimités défendables, comme dans Antigone. Nous ne sommes pas dans un conflit entre les bons et les salauds, mais, pour citer Flaubert, "imaginer le malheur permet de mieux définir le bonheur."
Points forts
Cet essai est un effort très réussi pour nous expliquer les transformations qui secouent aujourd'hui et vont secouer encore plus demain nos sociétés, dans les domaines de l'économie, du social, de la médecine et de l'éthique. Fort de son immense culture historique et philosophique, Luc Ferry mobilise les auteurs anciens et contemporains pour nous proposer un festival de concepts, d'analyses et de prédictions.
Il cherche à comprendre ce qui se passe, avec humilité et ouverture, sans idées préconçues. Allons -nous vers un chaos qui, toutefois, peut s'avérer fécond? Allons-nous vers un être humain augmenté ou au contraire mutilé? Darwin va-t-il avoir le dernier mot en observant une compétition écrasant les faibles? ou bien des trajectoires d'espérance pourront-elles dessiner un monde meilleur (pas celui d'Huxley...)?
Sa longue expérience professorale permet à Luc Ferry d'être un pédagogue clair et précis, prenant en quelque sorte le lecteur par la main, sans pédanterie, pour qu'il comprenne toutes les données de la problématiques exaltante et terrifiante des évolutions en cours.
Luc Ferry nous permets, selon la formule de Bataille, " d'avoir les yeux ouverts sur le monde de demain".
Quelques réserves
A force de vouloir s'assurer que le lecteur va comprendre ses explications, Luc Ferry se répète et adopte parfois un style familier "décalé". Et la dernière partie de l'ouvrage sur la nécessaire régulation nous laisse cruellement sur notre faim. Ce n'est pas la création d'un ministère de l'innovation et d'une commission parlementaire dédiée qui est à la mesure du problème. Bien évidement, Luc Ferry le sait et ne peut guère faire mieux à ce jour que de donner quelques pistes fondées sur des principes éthiques. Attendons, peut-être, un autre livre..
Encore un mot...
Un livre exceptionnel qui arrive au bon moment pour nous expliquer la révolution que nous subissons sans en comprendre les tenants et les aboutissants. Il ouvre, en outre, un grand chantier qui doit mobiliser ceux qui cherche à canaliser ce torrent capable soit de tout engloutir soit de déboucher sur un lac ensoleillé (???)
Une phrase
- p 98. Selon Fukuyama, "la modification de la dotation biologique des individus annonce la fin de l'homme, car elle représente une menace irréversible et terrifiante pour l'intégrité de l'espèce humaine en tant que personne morale".
- p 244 "Un objet qui aurait la taille d'un nanomètre aurait une épaisseur cinquante mille fois plus petite qu'un cheveux".
L'auteur
Né en 1951, à la Garenne-Colombe (Hauts-de-Seine), Luc Ferry a eu une riche carrière universitaire. Professeur agrégé de Philosophie après des études aux Universités de Paris-Sorbonne et Heidelberg, il voit ses affectations se succéder aux Mureaux, à Arras, au CNRS, à Reims, à Normal-Sup et Paris X et I.
En 1980, il obtient un doctorat d'Etat, puis l'agrégation de science Politique en 1982. Devenu Professeur des universités, il enseigne successivement à Science-Po Lyon et aux universités de Caen et Paris VII-Denis-Diderot.
Nommé président du Conseil National des programmes du Ministre de l'Education Nationale par François Beyrou, il est appelé au gouvernement de Jean-Pierre Raffarin comme Ministre de la Jeunesse, de l'Education Nationale et de la Recherche, de 2002 à 2004: il prend alors des initiatives concernant la lutte contre l'illettrisme, la décentralisation de personnels non-enseignants aux collectivités territoriales et l'interdiction des signes religieux à l'école. Il est père de trois filles.
Mais la grande notoriété de Luc Ferry est due à son œuvre d'essayiste à succès et d'éditorialiste. De 1984 à 2016, il a publié 36 ouvrages. Après son premier livre sur la "Pensée 68 : Essai sur l'antihumanisme contemporain", il se fait remarquer par le "Nouvel ordre écologique" en 1992, puis par "L'homme-Dieu ou le sens de la vie", "Qu'est-ce qu'une vie réussie?", et "L'innovation destructrice"( 2014).
Dans l'intervalle, il a été délégué du Conseil d'Analyse de la société (2004), membre du Comité Consultatif National d'Ethique et membre du Conseil Economique et Social.
Aujourd'hui, Luc Ferry nous livre un ouvrage-clé pour comprendre la rude problématique des temps à venir.
Ajouter un commentaire