La cavale des collabos
parution le 13 septembre 2023
468 pages
24,90 €
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Thème
L’auteur revisite le sujet avec bonheur. Ainsi de Gaulle affiche en octobre 1944 une certaine mansuétude, même à l’égard de Laval. Il récuse l’épuration sauvage. Les condamnations doivent relever de l’Etat seul par l’intermédiaire de ses magistrats. Sur plus de 3.000 condamnations à mort, 767 furent exécutées. L’amnistie a commencé très tôt dès 1947.
Le début du livre décrit l’exil forcé par les Allemands du gouvernement de Vichy et celui volontaire des fascistes français de Paris dès fin août 1944 pour arriver à Sigmaringen début septembre 1944. Deux camps s’affrontent. Pétain et Laval s’opposent à tout acte gouvernemental et veulent transférer leur pouvoir à de Gaulle. Un ersatz de gouvernement, jamais reconnu par Pétain, est formé sous la forme d’une commission gouvernementale présidée par Fernand de Brinon et composé des principaux fascistes français, Doriot, Déat, Darnand. Ce gouvernement fantoche vit dans l’illusion d’une encore possible victoire de l’Allemagne et de la reconquête du territoire. Cet activisme s’achève avec le mitraillage de la voiture de Doriot en février 1945 qui ne semble pas dû au hasard.
Le reste du livre décrit par le menu le sort et parfois la réhabilitation des principaux collaborateurs. Si les asiles espagnol et argentin sont bien connus, l’auteur révèle l’existence d’un asile québécois largement ignoré dont ont profité Michel Mohrt et Georges Simenon. Les reconversions réussies en Argentine ne sont pas rares comme celle du célèbre avionneur Dewoitine.
La reconversion en France de la plupart des personnalités vichystes est décrite dans le détail, parfois même le retour dans leur corps d’origine pour les hauts fonctionnaires. Georges Albertini, ancien adjoint de Marcel Déat est le cas le plus exemplaire avec son influence sur l’entourage de Georges Pompidou, avec les fameux conseillers de l’ombre, Pierre Juillet et Marie-France Garaud. L’ambiguïté d’un grand nombre d’écrivains ne leur sera généralement pas tenue rigueur. Même les pires antisémites comme Céline et Rebatet referont surface dès la première moitié des années 1950. L’exécution de Brasillach, Paul Chack, Ramon Fernandez et Georges Suarez a été l’exception.
L’auteur réhabilite le Cardinal Tisserant, grand protecteur des juifs et dans une certaine mesure Pie XII, injustement accusé de sympathies nazies.
La fin du livre est consacrée à l’attitude des descendants des collaborateurs, des plus classiques aux plus abjects. La conclusion porte sur la relation non soldée entre l’opinion publique française et la période de la collaboration.
Points forts
Aucun collaborateur significatif n’échappe à l’enquête de l’auteur. Ce sera un livre de référence pour recenser les différentes attitudes des individus concernés entre 1940 et 1944, ainsi que leur biographie d’après-guerre. La tonalité du livre échappe au traditionnel manichéisme concernant cette période noire.
La partie la plus originale concerne l’attitude contrastée des descendants de collaborateurs, de la négation de Lionel Jospin, cohérente avec la négation de son trotskysme pourtant documenté, à la révolte de Pascal Bruckner et Sorj Chalandon, en passant par l’explication de Jean-Pierre Azéma, Dominique Fernandez et Jean Tulard. A cet égard le cas le plus emblématique est celui des deux filles d’Albert Beugras, l’adjoint de Doriot. Marie Chaix s’en est inspirée dans ses livres. Au contraire, la chanteuse Anne Sylvestre a enfoui cette réalité.
Quelques révélations méritent d’être signalées. L’ambiguïté du comportement de Sartre et Simone de Beauvoir est encore plus grande que généralement admise. Michel Audiard était un antisémite frénétique. Fernandel a tourné 11 films pour la Continental. Il s’est défendu en prétendant qu’il ignorait que c’était une compagnie allemande !
L’auteur met à jour la contradiction fondamentale de la reconnaissance de la responsabilité de la France dans la rafle du Vel d’Hiv par Jacques Chirac en 1995. La France ne pouvait être en même temps à Londres et à Paris. Quant à la reconnaissance d’une faute collective des Français, elle n’existe pas en droit et n’a jamais été invoquée à l’égard des Allemands.
Quelques réserves
Il manque une perspective d’ensemble de la collaboration et de ses différents courants. Toutefois il est vrai qu’il ne s’agit pas d’une histoire de la collaboration mais de celle de la fuite des collaborateurs.
Encore un mot...
Si la collaboration est un épisode peu glorieux de l’histoire de France, elle a tendance à prendre une place démesurée. Il faut également rappeler que la France a été le seul pays occupé dont la communauté juive nationale a échappé aux trois quarts à la Shoah. Cela n’atténue en rien la responsabilité du régime de Vichy, mais démontre que tous les Français n’étaient pas des collaborateurs, à l’opposé de certaines thèses excessives comme celle du film Le Chagrin et la Pitié.
Cette période est également l’occasion de la manifestation d’une passion française classique : frapper sa coulpe sur la poitrine des autres, en l’occurrence celle de ses ascendants. L’auteur en fournit un exemple concret avec la charge peu argumentée d’Alexandre Jardin contre sa famille, en particulier son grand-père Jean Jardin, directeur de cabinet de Laval de juillet 1942 à octobre 1943.
Une phrase
- « Dans cette optique, le terme collabos n’est qu’un raccourci qualifiant tout autant les criminels et les crapules que les hommes respectables fourvoyés dans une impasse pour des motifs qui n’étaient pas toujours blâmables. » Page 13
- « Les collaborateurs sont tous morts, mais leurs fantômes continuent de hanter les galeries souterraines de notre mémoire, d’où ils émergent de temps à autre pour venir conforter une argumentation politique plus ou moins hasardeuse. » Page 465
L'auteur
François Broche est journaliste et historien, auteur d’une quarantaine de livres, spécialiste de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, de la collaboration et du gaullisme. Il a écrit une des meilleures biographies de Maurice Barrès et une rare biographie d’Anna de Noailles. Il est le fils d’un compagnon de la Libération tué à la bataille de Bir-Hakeim.
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