La bataille des retraites

Un livre superficiel, partiel et partial d’une journaliste politique expérimentée de France Télévision
De
Cécile Amar
Robert Laffont
Parution le 29 juin 2023
212 pages
19 €
Notre recommandation
1/5

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Thème

La réforme des retraites de 2023 et les grandes manifestations qui l’ont accompagnée sont décrites au travers des actions et prises de position de Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, et de sa relation difficile avec Emmanuel Macron.

Leur relation complexe date du quinquennat de François Hollande lorsque Manuel Valls, Premier Ministre, et Emmanuel Macron, alors Ministre de l’Economie se plaignaient de ce que le Président de la République fasse trop de concessions à Laurent Berger. 

Le désaccord de fond porte sur la place des syndicats dans la société. Pour Emmanuel Macron leur légitimité s’arrête aux entreprises et aux branches professionnelles. Pour Laurent Berger les syndicats ont vocation à intervenir sur l’ensemble des problèmes de la société.

S’agissant de la réforme des retraites, la CFDT et l’ensemble des syndicats sont opposés au principe de l’augmentation de l’âge légal fixé à 62 ans pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Laurent Berger s’était déjà opposé à l’introduction d’un âge pivot à 64 ans proposé par Edouard Philippe lors de la discussion en 2017 du projet de régime unique de retraite à points soutenu alors par la CFDT et enterré pendant le COVID.

Le livre décrit en détail les manifestations présentées comme les plus importantes depuis 1968, en occultant les violences qui les ont accompagnées. L’entente entre Laurent Berger et Philippe Martinez, tous deux très sympathiques et de grands amis, selon l’auteur, est exemplaire face à un pouvoir obtus.

La jeunesse rejoignant le mouvement de manière romantique (sic) devient la génération 49.3. Cet instrument, pourtant constitutionnellement valide et utilisé des centaines de fois, devient le symbole d’une crise démocratique pour Laurent Berger. Cette affirmation entraîne un échange musclé avec Emmanuel Macron en avril 2023, avant la promulgation de la loi immédiatement après la validation de celle-ci par le Conseil Constitutionnel, présentée par l’auteur comme une ultime provocation d’Emmanuel Macron.

L’auteur présente Laurent Berger comme un héros qui quitte la tête haute la direction de son syndicat en juin 2023. Elle se lamente sur l’injustice du départ raté de Philippe Martinez fin mars 2023 partiellement désavoué par le congrès de son syndicat, la CGT.

En épilogue, l'auteur affirme que la réforme des retraites de 2023, qualifiée d’injuste, pourrait être responsable de l’élection possible de Marine Le Pen à la Présidence de la République en 2027.

Points forts

Il est difficile de trouver des points forts à un livre aussi médiocre, écrit à chaud, sans aucun recul. Il n’y a aucune révélation nouvelle particulière. Tout au plus pourrait-on trouver substantiel le portrait de Laurent Berger, personnalité intéressante, comme tous les anciens secrétaires généraux de la CFDT, et syndicaliste respectable. Toutefois ce n’est pas censé être le thème central du livre.

Cependant il faut reconnaître que le l’ouvrage se lit facilement et est écrit dans une langue fluide, à l’opposé du charabia utilisé dans la plupart des mauvais livres politiques, catégorie du livre.

Quelques réserves

L’hagiographie de Laurent Berger, voire de Philippe Martinez, et la diabolisation d’Emmanuel Macron ne sont guère crédibles. En tout cas ce n’est pas ce qu’on attend de l’objectivité d’une journaliste du service public de France Télévision. Il est vrai que le dernier livre de l’auteur a été écrit avec Jean-Luc Mélenchon et s’intitule  De la vertu.

Les violences sans précédent en marge de certaines manifestations, non imputables aux cortèges syndicaux, qui ont saccagé des centaines de commerces dans les centres ville, sont passées sous silence. C’est tout juste si l’auteur évoque quelques feux de poubelle, présentés presque comme une tradition sympathique.

L’auteur ne prend pas la peine de consacrer la moindre ligne aux raisons sous-jacentes à la réforme des retraites. Elle affirme qu’elle va conduire les Français à travailler deux ans de plus, ce qui est faux, à l’exception des régimes spéciaux. Le contenu de la réforme des retraites, assez complexe, n’est jamais décrit. Sa prétendue injustice n’est pas expliquée. Aucune considération économique, ni comparaison internationale n’est mentionnée.

L’argument le plus surréaliste mentionné par l’auteur vient d’Annie Ernaux. Elle justifie sa retraite à 60 ans obtenue à l’Education Nationale par le cancer du sein qui l’a frappée à 62 ans. L’altruisme tapageur de certains intellectuels médiatiques n’est qu’une autre forme d’égocentrisme, s’ajoutant à l’autofiction qui encombre souvent leurs livres.

 La qualification de non démocratique de l’utilisation, validée par le Conseil Constitutionnel, de dispositions de la Constitution, n’est jamais argumentée. La provocation que serait la promulgation de la loi, autre obligation constitutionnelle du Président de la République, ne l’est pas davantage. 

En résumé, le livre est un bon représentant de la France de l’à-peu-près, du nombrilisme et du déni de réalité qui semble devenir une caractéristique du pays. Il est l’archétype d’un certain journalisme politique à la française, à l’inculture économique abyssale, et de connivence avec certains courants politiques et syndicaux.

Encore un mot...

Le mouvement social majeur de protestation contre la réforme des retraites méritait mieux que ce médiocre livre de circonstance. Il conviendrait de s’interroger sur les raisons qui ont conduit à de grandes manifestations contre une réforme de faible ampleur. Il est probable que les déficiences du dialogue social, le mauvais choix du moment avec cinq ans de retard, après le temps perdu à la recherche d’un régime unique de retraite à points, idée technocratique à la complexité irréalisable, et la présentation exclusivement sous l’angle, certes indispensable, de l’équilibre financier, sont largement responsables de ce naufrage.

La politique est un art d’exécution qui suppose de la pédagogie, du dialogue et le bon choix du moment. Aucune de ces conditions n’a été réunie.

Il est bon de rappeler les faits complètement occultés par le livre. La réforme des retraites se résume à l’accélération, de 2035 à 2027, du passage de 42 à 43 ans d’une carrière complète, déjà décidée sous le quinquennat de François Hollande. Tous les Français justifiant de 43 ans de cotisations pourront continuer à prendre leur retraite à partir de 58 ans. L’accélération du calendrier, déjà mentionnée, ajoutera un à deux trimestres de travail, et non deux ans, pour ceux nés entre fin 1961 et 1973. Il n’y aura aucun effet pour tous les autres. Les régimes spéciaux sont supprimés pour les nouveaux entrants. Les bénéficiaires existants de ces régimes spéciaux qui partent aujourd’hui en retraite à 52 ans ou à 57 ans devront effectivement travailler deux ans de plus. On peine à trouver la nature de l’injustice. 

La réalité économique sous-jacente mérite d’être développée. Depuis le passage à la retraite à 60 ans adoptée en 1982, les Français ont gagné sept ans d’espérance de vie. 60 ans de l’époque équivalent à 67 ans d’aujourd’hui. C’est pourquoi la quasi intégralité des autres pays européens a déjà décidé de repousser l’âge de la retraite dans une fourchette entre 65 et 67 ans. Les Français travaillent nettement moins que la moyenne de leurs voisins européens. Le taux d’activité des 15/64 ans est seulement de 66%, 10 points inférieurs à celui de l’Allemagne et des pays du Nord de l’Europe, à la politique sociale souvent avancée. La durée de vie moyenne au travail dans ces pays est de 42 ans contre 36 ans en France. Si on y ajoute l’effet des 35 h, ces énormes écarts expliquent à eux seuls l’ensemble des déficits publics et extérieurs de la France et son manque de compétitivité à l’intérieur de l’Europe. En un mot les Français consomment trop, et en plus à crédit, par rapport à ce qu’ils produisent.

Cette pédagogie serait beaucoup plus convaincante que l’équilibre financier du régime des retraites qui génère le concours Lépine des nouveaux impôts et taxes, destructeurs d’emplois, dont la France détient déjà le record.

Une phrase

  •  « Laurent Berger ne va pas changer pour faire plaisir au Président. Il a des valeurs. Il défend les migrants, les plus pauvres. Il est féministe, antiraciste, se mêle de la société. » page 46
  •  « Ce n’est pas un syndicaliste. C’est un mec d’ONG, il ne parle pas d’économie, se plaint Emmanuel Macron, auprès d’un proche, à propos de Laurent Berger et de son pacte de pouvoir de vivre. » page 50
  •  « Un mouvement social ignoré. Une opinion publique inécoutée. Un Parlement contourné. Une défiance généralisée. Une démocratie sociale bafouée. Un ressentiment social inégalé. Aucun compromis acté. » page 165
  •  « Emmanuel Macron n’entend pas la colère des opposants. Ou, du moins, ne l’écoute pas. N’y répond pas. Cette surdité du pouvoir laissera des traces. » page 170
  •  « Tous ne parle que d’elle, de sa possible victoire, de son irrésistible ascension vers le pouvoir. C’est déjà une victoire. La bataille culturelle, celle du récit en tout cas, Marine Le Pen semble l’avoir gagnée. » page 179

L'auteur

Cécile Amar est journaliste politique à France Télévision après être passée par Le Nouvel Observateur. Elle a écrit une poignée de livres politiques qui n’ont pas laissé un souvenir impérissable. Elle a déjà écrit en 2002, à chaud, sans recul, une marque de fabrique, une histoire de la gauche plurielle de Jospin.

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