Jeanne du Barry
parution le 31 août 2023
603 pages
27,90 €
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Thème
Emmanuel de Waresquiel ne se contente pas de livrer une biographie détaillée de la dernière favorite du Roi Louis XV. Il décrit également le fonctionnement de l’appareil d’Etat, de la Cour et de la société de l’époque.
Jeanne du Barry est née officiellement en 1743 à Vaucouleurs, comme Jeanne d’Arc, plus probablement en 1745, enfant naturel de Jeanne Bécu, de condition modeste, mais dont le père, sachant lire et écrire, a pu s’élever à un office de percepteur des taxes à la consommation dans cette même bourgade. L’auteur établit avec certitude que le père était Claude Billard-Dumonceau, riche payeur des rentes à l’Hôtel de Ville. Il a assuré à Jeanne une très bonne éducation dans une pension réservée aux familles nobles désargentées et « de condition ». Contrairement à la légende, Jeanne Bécu, la mère, n’était pas une prostituée, mais certainement une femme entretenue.
A l’âge adulte, Jeanne, future du Barry, fréquente le monde des financiers du royaume auquel appartient son père, riches, cultivés, amateurs d’art et de mœurs très libres, très caractéristiques de l’époque. On connaît le mot fameux de Talleyrand, en voyage aux Etats-Unis, s’étonnant de ces femmes américaines qui rejoignent le lit de leur mari chaque soir. C’est par ces fréquentations que Jeanne fit probablement la connaissance fin 1764 de Jean du Barry, de petite noblesse languedocienne, de 20 ans plus âgé, installé à Paris depuis 1753. Il était bien connu à Paris, y compris de la police, comme pourvoyeur de plaisirs, aventurier, joueur professionnel, séducteur, entremetteur, affairiste, amateur d’art et de surcroît homme de beaucoup d’esprit. Son surnom très évocateur était « le Roué ». Il n’est pas certain que Jeanne fût sa maîtresse, tout au plus pour une courte période. Jean du Barry rêvait d’installer l’une ou l’autre de ses protégées dans le lit du roi, à des fins de bénéfice personnel.
En réalité Jeanne s’est beaucoup plus servie de Jean du Barry que l’inverse. Jeanne fréquentait le milieu des très riches financiers liés à la marine avant de connaître du Barry. Ainsi l’auteur démontre qu’elle a eu en 1762 une fille d’Arnaud de La Porte, fils du Commissaire à la Marine, longtemps cachée et surnommée Betsi. Elle est devenue plus tard la maîtresse de Radix de Sainte-Foy, Trésorier Général de la Marine, poste très lucratif. C’est probablement par ce canal que Jeanne eut accès au Roi fin 1767, début 1768, par l’intermédiaire de Jean-Benjamin de Laborde, premier valet de chambre du Roi, très proche de celui-ci, homme très brillant et cultivé, écrivain, musicien, ami de Radix et qui devint celui de Jeanne pour la vie. Ainsi l’auteur met à mal l’historiographie officielle paresseuse qui attribue l’introduction de Jeanne à Jean du Barry par l’intermédiaire du Maréchal Duc de Richelieu, vieux libertin, soi-disant amant de Jeanne à 72 ans (!), et de Lebel autre valet de chambre, à l’époque très malade à l’antichambre de la mort, autrefois pourvoyeur des plaisirs du Roi au Parc aux Cerfs. Il est vrai que Jeanne entretenait également de bonnes relations avec le Maréchal Duc et a pu l’utiliser secondairement à son bénéfice.
Louis XV est tombé immédiatement follement amoureux de Jeanne. Le Roi était disponible. Madame de Pompadour était morte en 1764, la Reine devait décéder en juin 1768. Pour la présentation de Jeanne officiellement à la Cour, il lui fallait un statut marital. Le recours aux talents d’entremetteur de Jean du Barry fut utile. Jeanne fit le 23 juillet 1768 un mariage de convenance avec son jeune frère Guillaume qui fut prié de disparaître dès la fin de la cérémonie. Jeanne se déclara sous le nom d’un certain Gomard de Vaubernier qui n’a jamais existé afin de dissimuler son statut de fille naturelle. Même ses pires et nombreux ennemis ne découvrirent jamais le subterfuge, probablement connu du Roi.
Jeanne devenue du Barry s’installe discrètement à Versailles en novembre 1768 dans les anciens appartements de Lebel. Dès le début, elle est en butte à l’hostilité du tout puissant Principal Ministre, le Duc de Choiseul, qui ne veut plus de favorite bien qu’il fût placé dans sa position en 1758 par la Duchesse de Pompadour. La présentation officielle de la Comtesse du Barry à la Cour, longtemps différée, a eu lieu le 22 avril 1769. La Cour fit preuve pendant plusieurs mois d’une sourde hostilité alimentée en sous-main par l’entourage de Choiseul. Peu à peu, par son flegme et son habileté, elle gagne des soutiens. Bientôt c’est la guerre entre les Parlements et l’autorité royale. En réalité, c’est la réforme incarnée par le Chancelier Maupeou et l’abbé Terray, nouveau Contrôleur Général des Finances, qui assainit les Finances Publiques, contre le conservatisme immobile de l’aristocratie incarné par les Parlements, au lieu du contre sens de l’absolutisme contre la démocratie souvent présenté par l’historiographie officielle. La défaite définitive des Parlements en février 1771 est précédée par le renvoi en décembre 1770 de Choiseul, à la position très ambiguë sur les Parlements, pour avoir préparé une guerre contre l’Angleterre, dont le Roi ne voulait pas, à propos du débarquement des Anglais dans les Malouines/Falklands (déjà !), revendiquées par l’Espagne. La Comtesse du Barry joue un rôle stabilisateur et de soutien au Roi pendant cette période difficile.
Jeanne assied sa position à la Cour grâce au soutien du nouveau Principal Ministre, le duc d’Aiguillon et bien entendu du Roi, en dépit de l’hostilité de la nouvelle Dauphine, Marie-Antoinette et du futur Louis XVI. Loin d’être une écervelée, elle défend la ligne politique de l’équilibre des puissances européennes. Elle est une protectrice des arts et des lettres, plutôt d’avant-garde pour son temps. Elle se constitue une remarquable bibliothèque de 1100 volumes, reliés en maroquin rouge, qui va des classiques à Crébillon fils, le libertin, en passant par un tiers de volumes d’histoire. Il en subsiste 400 volumes à Versailles. Sa collection de tableaux est exceptionnelle, avec notamment le célèbre portrait de Charles Premier par van Dyck. Elle confie la réfection de son pavillon de Louveciennes au célèbre architecte novateur Claude Nicolas Ledoux, concepteur de la fameuse saline d’Arc-et-Senans quelques années plus tard. Elle affirme le nouveau style de mobilier néo-classique qu’on appellera Louis XVI. Elle fait autorité en matière d’une mode plus naturelle. Bien entendu, elle a beaucoup dépensé, un million de livres par an soit 10 fois plus que la moyenne des 250 aristocrates les plus fortunés, tout en faisant preuve de beaucoup de générosité, notamment en faveur des enfants qu’elle adorait.
Lorsque le Roi décède de la variole le 10 mai 1774, l’influence de la comtesse du Barry est à son zénith. Sa réaction très éplorée loin de Versailles, afin d’éviter sa présence au moment du décès, témoigne de son sincère attachement au Roi. Elle est immédiatement exilée dans un couvent pendant près d’un an, après quoi elle peut revenir habiter dans son cher pavillon de Louveciennes. Elle est très endettée de plus d’un million de livres, n’ayant pu toucher les 2 millions de livres que Louis XV lui avait légués, bloqués par Louis XVI. Ses amis lui sont restés fidèles, comme le duc d’Aiguillon, renvoyé logiquement par Louis XVI au profit de l’incontestable Vergennes. Son dernier grand amour avant la Révolution est le duc de Brissac, commandant des Suisses du Roi, sa garde personnelle. Cet homme très courageux refusa l’émigration et fut assassiné le 9 septembre 1792 au moment des fameux massacres. Sa tête fut promenée au bout d’une pique.
La comtesse du Barry pensa pouvoir échapper aux affres de la Révolution. Elle aussi refusa l’émigration. Elle aurait pu rester en Angleterre fin 1792, début 1793, quand elle y était légalement pour tenter sans succès de récupérer des bijoux qui avaient été volés à Louveciennes et retrouvés miraculeusement à Londres. Malheureusement à son retour elle est poursuivie par un anglais rallié à la Révolution, George Greive, mu davantage par la vénalité et le ressentiment, qui pillera, avec d’autres, les richesses de Louveciennes. Arrêtée le 22 septembre 1793, elle périra sur l’échafaud le 8 décembre 1793, sans avoir prononcé la phrase apocryphe « encore un instant monsieur le bourreau » que ses contempteurs lui attribueront plus tard en vue de la discréditer davantage.
Points forts
Emmanuel de Waresquiel a écrit une nouvelle fois une biographie majeure comme il en a désormais l’habitude. Pour ce faire, il a dépouillé des dizaines de milliers de pages d’archives peu exploitées, consulté des registres de baptême jusqu’en Italie. Jeanne du Barry apparaît très différente de sa légende noire de la IIIème République, souvent encore relayée aujourd’hui. Elle était intelligente, cultivée, calme, réfléchie, volontaire, ambitieuse et apte au compromis. Elle n’était pas rancunière comme l’a montré son soutien à Marie-Antoinette dans l’adversité. Elle était certes arriviste et dépensière, mais sans écraser les autres, en particulier respectant ses domestiques. Son attachement au Roi Louis XV était sincère.
A l’appui de ses découvertes, comme le nom du père de Jeanne, l’existence d’une fille Betsi dont elle s’est toujours bien occupée sans la reconnaître officiellement, le nom du père de Betsi, l’auteur apporte des preuves patentes ou des présomptions tellement fortes qu’elles sont irréfutables.
Il démontre l’importance des liens d’amitié pour la vie, souvent ignorés, entre Jeanne du Barry et Jean-Benjamin de Laborde, très proche de Louis XV, personnage éclectique d’une grande culture. Il est connu des bibliophiles pour avoir écrit un des plus beaux livres illustrés du XVIIIème siècle, et des plus chers, Choix de chansons mises en musique par lui-même.
L’auteur démontre une connaissance exceptionnelle des écrivains mineurs du XVIIIème siècle, proches de Jeanne du Barry, auteurs de textes importants, comme le chevalier de La Morlière ou le huguenot Laurent de La Beaumelle, qui fut le bibliothécaire de la comtesse, poursuivi de la vindicte de Voltaire depuis leur séjour simultané à la Cour de Frédéric II.
L’auteur met également fin à la légende de l’objet du prêt de 200 000 livres à son dernier amant de quelques mois, le sixième duc de Rohan, pour financer les guerres de Vendée. En réalité, ce prêt était destiné à aider le duc de Rohan quelques mois, le temps qu’il recouvre les revenus de ses très importants biens en Bretagne. Il n’y a aucune trace d’une quelconque activité politique de la comtesse du Barry. Cet élément a été pourtant utilisé à charge dans son procès dont l’issue était écrite d’avance. Pourtant cette grossière contre-vérité figure encore dans la fiche Wikipedia du duc de Rohan comme une vérité établie. Si Jeanne du Barry a pêché, c’est par naïveté et excès d’optimisme sur la nature humaine, pensant que la vérité et son innocence finiraient par triompher.
La bibliographie et la numérotation de toutes les boîtes d’archives consultées sont de qualité exceptionnelle. L’index des noms est bienvenu. La couverture reproduit à raison le magnifique portrait de Jeanne du Barry réalisé par Elisabeth Vigée-Lebrun en 1781. L’iconographie est remarquablement choisie.
En un mot voilà un livre majeur de niveau universitaire facile à lire dont l’auteur et l’éditeur peuvent être fiers. Il fait de Jeanne du Barry une femme moderne avant la lettre.
Quelques réserves
Aucune si ce n’est un clin d’œil. La bibliographie ignore la longue préface de l’érudit Octave Uzanne, pape du livre et de la reliure Art Nouveau à la fin du XIXème siècle, à la réédition chez Quantin en 1880 du livre Anecdotes sur la comtesse du Barry publié à Londres en 1775 et attribué à Pidansat de Mairobert, censeur royal et un des polémistes au service de Choiseul. Emmanuel de Waresquiel évoque à plusieurs reprises ce livre et les activités du maître chanteur Theveneau de Morande basé à Londres dont Beaumarchais fut chargé par le Roi d’acheter le silence en 1774, peu avant la mort du souverain. Il faut reconnaître que la préface d’Uzanne, très misogyne, ne fait que colporter les ragots. Uzanne a également publié chez le même éditeur une remarquable série en douze volumes sur les Petits Conteurs du XVIIIème siècle.
Encore un mot...
S’il y a une leçon à tirer de ce livre, c’est que les sujets rebattus de l’histoire ne sont souvent que le rabâchage de la propagande passée qui, avec le temps, devient la vérité. Jeanne du Barry en est un exemple parfait du côté négatif, tandis que Staline en est un autre du côté positif. Nous avons besoin d’historiens sérieux et talentueux comme Emmanuel de Waresquiel pour dépouiller les archives sans idée préconçue. La Révolution Française est particulièrement concernée par cet exercice commencé par François Furet dans les années 1980. On pourrait prolonger cet exercice pour l’histoire immédiate dans laquelle les faits avérés n’ont plus aucune valeur pour certains lorsqu’ils vont à l’encontre de leur propagande.
Une phrase
- « N’en déplaise à mes prédécesseurs, Jeanne du Barry était éminemment politique. Elle a été auprès de Louis XV mieux qu’une grande collectionneuse, une sorte de ministre occulte des lettres et des arts au cœur des mutations esthétiques de son temps. » page 19
- « Jeanne est adroite, clairvoyante et tenace, sous des apparences enfantines et gaies. Toute sa vie en atteste. S’il est un trait de caractère qui l’emporte chez elle sur tous les autres, c’est bien la dissimulation. » page 101
- « Je note qu’elle prend toujours ses amants dans les mêmes milieux : la haute administration royale liée aux affaires maritimes et la finance, tout comme son père et le beau-frère de ce dernier. Tous sont collectionneurs, amateurs de livres ou de tableaux, proches des cercles artistiques et littéraires. La plupart lui resteront fidèles et deviendront ses amis. » page 103
- « Louis est décidément double : réservé, silencieux et indéchiffrable en public, facile, gai, affable, abandonné et presque enfantin dans le cercle très étroit de ceux à qui il accorde sa confiance. » page 122
- « S’il a été d’un côté un grand roi réformateur des lumières, précédant en cela Joseph II d’Autriche, d’un autre il a les pieds dans le Moyen-Âge par ses croyances puériles et ses terreurs superstitieuses… » page 125
- « On l’a mise du côté de la crapule. On devrait la regarder à l’horizon de ses rêves » page 481
L'auteur
Emmanuel de Waresquiel est un historien spécialiste de la période qui va de la Révolution jusqu’aux monarchies constitutionnelles. Ancien élève des jésuites et de l’Ecole Normale Supérieure de Saint Cloud, il a effectué sa thèse sous la direction de Jean Tulard.
Il a écrit une vingtaine de livres, dont des biographies majeures et primées de Talleyrand, de Fouché et du duc de Richelieu, chef du gouvernement à deux reprises sous Louis XVIII, et fondateur d’Odessa lorsqu’il fut au service du tsar de la Révolution à 1814.
Ci-dessous, d’autres ouvrages d'Emmanuel de Waresquiel présentés sur Culture-Tops :
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