De l’économie d’abondance à l’économie de rareté
Parution le 8 mars 2023
182 pages
18,90 €
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Thème
Les auteurs analysent la situation de l’économie des pays développés et un peu celle de la France, après le COVID. Les résultats sont plutôt contre intuitifs. La profitabilité des entreprises s’est améliorée par rapport à 2019. Malgré des démissions massives des salariés, la part des profits s’est accrue au détriment des salaires. Il n’y a pas non plus de véritable relocalisation et déglobalisation, compte tenu de l’énorme écart, de l’ordre de 45% avec les prix industriels à la production des pays émergents, Chine incluse, ni de flambée du protectionnisme. Le chômage n’a pas cru, au contraire.
Des changements structurels sont apparus. La demande s’est déformée en faveur des biens au détriment des services. Il en a résulté une reprise de l’inflation, en particulier par la demande accrue d’énergie aggravée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, de transport maritime, des métaux et des semi-conducteurs. Les entreprises ont des difficultés de recrutement, en particulier pour les métiers peu qualifiés ou pénibles et les cadres.
La hausse des prix des biens et de l’énergie est particulièrement pénalisante pour les travailleurs pauvres qui doivent bénéficier de hausses salariales plus importantes et/ou de transferts sociaux bien ciblés. Les auteurs s’interrogent sur les raisons du chômage structurel de plein emploi, nettement plus élevé en France, à 7% de la population active contre 4,5/5 % dans les pays européens équivalents, sur l’écart de taux d’emploi entre la France et l’Allemagne, 65% contre 76%, et sur l’énorme propension à la grève en France par rapport aux pays équivalents. Ils se prononcent en faveur d’une réforme majeure du système des retraites en France, tout en soulignant que la France a moitié moins de retraités pauvres que la moyenne européenne. Ils soutiennent également le revenu universel.
A l’ensemble de ces tensions s’ajoutent la numérisation accélérée sous la dominance des GAFA qui en abusent souvent et la transition énergétique. Celle-ci nécessite en Europe 100 milliards d'euros par an d’investissements supplémentaires à rentabilité moyenne ou faible, chaque année pendant trente ans, soit 4% du PIB. Le rôle des Etats et des Banques Centrales sera décisif. Le financement sera particulièrement complexe dans un contexte d’endettement massif des Etats et de taux d’intérêt plus élevés. Il s’y ajoute le risque majeur de flambée du prix de l’énergie fossile pendant la transition par insuffisance d’offre et d’un prix du carbone trop bas.
La situation des pays émergents est variable selon leur niveau d’endettement et leur statut d’importateur ou d’exportateur net d’énergie et de matières premières. L’Asie et l’Afrique, si elle améliore sa gouvernance, sont globalement mieux placées que l’Amérique Latine.
Les recommandations générales de politique économique des auteurs sont larges : augmentation de la part de la valeur en faveur des salariés dans les entreprises, stabilisation du prix de l’immobilier, correction des inégalités dues à la hausse du prix de l’énergie, meilleures priorités dans les dépenses publiques (14 % du PIB pour les retraites en France contre 9% pour les pays développés), hausse du taux d’emploi, relocalisation des productions stratégiques, acceptation d’une inflation un peu plus élevée que 2%.
La conclusion voit la fin du capitalisme néo libéral vers un capitalisme plus coopératif et salue les avancées de l’Europe dans un contexte de rupture, de l’économie d’abondance vers l’économie de rareté.
Points forts
L’aisance des auteurs, économistes réputés, avec les grands concepts économiques et les enchaînements de la macroéconomie, leur permet de faire œuvre de pédagogie vers un lectorat cultivé, relativement ignare en économie, caractéristique bien connue des élites françaises.
La description des changements économiques structurels de l’après COVID et du changement climatique est brillante et convaincante. Parmi les nombreux constats et recommandations, on notera en particulier l’accent original mis sur les travailleurs pauvres affectés de manière disproportionnée par la hausse durable du prix de l’énergie et des biens en général.
Les auteurs ne cachent pas l’immense effort requis et la complexité des défis à affronter, à l’opposé du « y' a qu’à » développé par certains, sans parler des partisans de la décroissance.
La recension des fausses bonnes idées ou des chimères, comme la relance de la consommation par la demande, la coupure brutale du gaz russe ou le refus de la recherche sur les OGM, est courageuse.
Quelques réserves
On regrettera le peu d’accent mis sur la France, largement noyée dans les pays développés, alors qu’elle s’en détache souvent négativement par ses spécificités. On a parfois l’impression que les auteurs ont voulu ménager les susceptibilités françaises. Par exemple, lorsqu’ils mentionnent que le partage de la valeur s’est déformé en faveur des profits au détriment des salaires, ils s’appuient sur un tableau qui montre que la hausse des salaires dans les pays développés a été inférieure de 8% aux gains de productivité depuis 2010. Par contre ils ne mentionnent pas que la situation française est différente, sur le même tableau, avec des salaires qui suivent les gains de productivité. On peut douter également de la pertinence du revenu universel dans un pays comme la France qui a déjà le record du monde des transferts sociaux.
Les recommandations de politique économique sont souvent trop générales, tout en étant souvent pertinentes. Toutefois la vraie difficulté en politique comme dans toute activité publique ou privée n’est pas tant de concevoir les objectifs, mais de définir le chemin et les instruments par lesquels on les atteint et le calendrier de leur mise en œuvre. C’est un art d’exécution délicat dans lesquels les auteurs n’ont pas voulu ou pu entrer. Il est vrai que c’est souvent un défaut des économistes, comme d’ailleurs des philosophes, des historiens, des enseignants et des journalistes qui sont davantage dans le commentaire, c’est leur métier, que dans l’action.
Encore un mot...
Ce livre doit être recommandé à tous les dirigeants publics et privés afin de les aider à comprendre le contexte économique dans lequel ils seront amenés à prendre des décisions importantes à court, moyen et long terme. Par contre, ils ne peuvent espérer en retirer facilement des recommandations directement opérationnelles.
Si, dans la même logique que l’analyse des auteurs sur les travailleurs pauvres, la globalisation des quarante dernières années avait été accompagnée d’une politique des Etats ciblant le soutien public vers ceux affectés négativement par cette globalisation, au lieu d’une ignorance du problème du type américain ou bien d’un arrosage d’assistanat généralisé à la française, avec toutes les variations entre ces deux extrêmes, la montée des populismes aurait certainement pu être largement évitée.
Une phrase
- « L’économie déglobalisée est inefficace parce qu’elle n’exploite pas les avantages comparatifs des pays émergents. » page 23
- « Il s’agit bien sûr de la déformation de la structure de la demande des services vers les biens. Cette déformation a conduit à la forte hausse des prix des biens et services nécessaires à la production des biens industriels. » page 30
- « La transition de l’économie d’abondance à l’économie de rareté va être difficile. Il faudra réduire les taux d’endettement publics et privés en raison de la hausse des taux d’intérêt réels ; il faudra consommer moins d’énergie et, de manière plus générale, moins de matières premières ; et il faudra que les entreprises acceptent des rentabilités plus faibles du capital. » page 100
- « Les économies retrouvent donc brutalement la situation des années 1970-1980-1990 marquées par les raretés : rareté du travail, rareté des matières premières, rareté de l’épargne aussi avec le fort besoin d’investissement lié à la transition énergétique. » page 173
L'auteur
Patrick Artus et Olivier Pastré sont tous deux des économistes chevronnés, membres de longue date du Cercle de Economistes. Ils ont écrit de nombreux livres et enseigné l’économie, le premier dans les grandes écoles, le second à l’université, tout en occupant ou ayant occupé des fonctions opérationnelles dans le secteur financier. Ils ont à plusieurs reprises conseillé les autorités publiques.
Patrick Artus est chargé d’une chronique économique régulière, souvent passionnante, dans le journal Le Monde
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