Crécy 1346
344 pages
25 €
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Thème
L’auteur décrit la genèse de la Guerre de Cent Ans dont Crécy fut la première bataille décisive, avec des conséquences négatives considérables pour le royaume de France. A l’origine il ne s’agit que d’une guerre de succession après les décès successifs des trois fils de Philippe IV le Bel, aux courts règnes et sans héritiers mâles. Edouard III d’Angleterre avait de sérieuses prétentions en tant que petit-fils de Philippe le Bel par sa mère Isabelle de France. En 1328 l’assemblée des grands du royaume lui préféra Philippe de Valois, neveu de Philippe le Bel, en dépit de liens familiaux plus distants. Ce choix essentiellement politique fut justifié rétroactivement par l’invocation de la loi salique, supposée interdire la transmission de la couronne de France par les femmes. Cette loi obscure, exhumée de la période mérovingienne, avec en réalité un tout autre objet, n’avait jamais été mentionnée en trois siècles et demi de règnes capétiens.
Pendant près de deux décennies, il y eut une succession d’escarmouches et de trêves en Guyenne, fief anglais, et aux franges de la Flandre dont la bourgeoisie marchande soutenait l’Angleterre où son industrie textile s’approvisionnait en laine. Edouard III, conscient de sa valeur tactique et stratégique, cherchait la bataille décisive sur le terrain de son choix. Philippe VI de Valois, très prudent, malgré sa grande victoire sur les insurgés flamands à Cassel en 1328, vengeant la terrible défaite des chevaliers français contre les mêmes à Courtrai en 1302 à la bataille des éperons d’or, faisait tout pour l’éviter. Il ne put néanmoins échapper à une complète défaite navale lors de la bataille de l’Ecluse à Bruges en 1340. La suprématie maritime anglaise était définitivement assurée (déjà).
Dans ce contexte, Edouard III, à la recherche de la bataille décisive, débarqua en juillet 1346 à la Hougue dans le Cotentin, avec une armée de 14.000 hommes dont 8.000 archers. Après avoir pillé la Normandie, traversé la Seine à Poissy et la Somme à gué, pour essayer de trouver un terrain favorable dans le comté de Ponthieu autour d’Abbeville, un ancien fief qu’il connaissait bien. S’il est exagéré de penser qu’Edouard III avait choisi Crécy dès son débarquement, il est néanmoins certain qu’il avait l’intention de choisir le lieu de la bataille décisive, en grand stratège. Ainsi il avait refusé de combattre à proximité de Paris, comme Philippe VI le lui avait proposé. L’armée anglaise s’est installée le matin du 26 août sur les hauteurs à l’ouest de la vallée aux Clercs près de Crécy, site long de 2 km et large de 200 m, bordé à l’est par un talus pentu qui aurait pu compliquer les mouvements de l’armée française.
Philippe VI était à Abbeville où il assista à la messe le matin du 26 août. L’armée française était composée de 25.000 hommes dont 15.000 à 20.000 hommes d’armes et 2.000 arbalétriers génois. Si la suprématie globale était incontestable en faveur des Français, de l’ordre de deux contre un, de cinq contre un pour les hommes d’armes, c’était l’inverse entre les archers gallois et les arbalétriers génois. Le roi de France et son armée rejoignirent le champ de bataille dans l’après-midi du 26 août après 20 km de marche en plein soleil.
A partir de ce moment, les Français ont multiplié les fautes tactiques et stratégiques. Tout d’abord, Philippe VI, toujours prudent, après avoir initialement donné raison à ses conseillers qui lui recommandaient de livrer bataille le lendemain, s’est laissé déborder par ses chevaliers qui voulaient en découdre immédiatement avec les Anglais. Les arbalétriers génois se sont fait massacrer par les archers gallois, du fait de l’absence de leurs lourds pavois de protection transportés dans des chariots restés à l’arrière. Les charges successives des hommes d’armes français à cheval ont été bloquées par les archers gallois qui ont tué ou blessé les chevaux dénués de protection. Il en a résulté un amas de chevaux empêchant tout mouvement et maintenant beaucoup de chevaliers à terre qui n’avaient plus qu’à être égorgés par les Anglais. Le désastre s’accomplissait avec 6.000 morts français dont plus de 1500 chevaliers, dont le roi de Bohême Jean l’Aveugle, contre seulement 300 anglais. Ces chiffres sont sans précédent pour une bataille du Moyen Âge avec une absence quasi totale de prisonniers, témoignage d’une cruauté bien peu chevaleresque. Le roi de France n’avait plus qu’à fuir.
Paradoxalement le désastre de Crécy n’a pas eu les conséquences aussi négatives qu’on pouvait attendre. Les Anglais marchèrent vers Calais qu’ils prirent un an plus tard après un long siège. Si la légitimité de la dynastie des Valois a été durablement affaiblie, l’apparition de la peste noire à la fin de 1347, qui a réduit du tiers à la moitié la population européenne, a gelé les opérations militaires d’envergure. Après la mort de Philippe VI en 1350, son fils et successeur Jean II le Bon commença par gagner du temps en négociant le traité de Guines signé en 1354, mais jamais ratifié du fait de l’ampleur des concessions territoriales s’élevant à un tiers du royaume en échange de la renonciation d’Edouard III à la couronne de France. La fin de la trêve conduisit à une nouvelle grave défaite du roi de France le 19 septembre 1356 à Poitiers face au Prince Noir, fils ainé d’Edouard III. Les leçons tactiques de Crécy avaient été insuffisamment tirées. Une erreur supplémentaire s’y ajouta. Refusant de fuir, Jean le Bon fut fait prisonnier.
Ce fut un mal pour un bien. Le dauphin Charles, futur Charles V le Sage, avisé et fin politique devint le régent du royaume. Il conclut le traité de Brétigny en 1360, moins défavorable que celui de Guines. La trêve dura jusqu’en 1369. Après cette date les hostilités reprirent à l’avantage de la France. Charles V et son connétable Du Guesclin avaient tiré les leçons de Crécy refusant les grandes batailles et privilégiant les coups de main. En attendant le désastre d’Azincourt en 1415 ...
Points forts
David Fiasson a écrit un livre éblouissant qui allie le sens du rythme et de la formule à l’érudition universitaire et à la profondeur de champ. Les analyses stratégiques et tactiques militaires sont à la fois très fouillées et très claires, aisément compréhensibles par des non spécialistes. Si, par l’analyse fine des sources, essentiellement les chroniques contemporaines et postérieures, l’auteur réduit considérablement les incertitudes, il a l’honnêteté de ne pas cacher la part d’ombre qui subsiste.
Le parti pris de ne pas se limiter à la bataille stricto sensu, mais de développer une perspective de temps long sur la première moitié de la Guerre de Cent Ans, est extrêmement féconde. Le dernier chapitre sur l’utilisation politique de la mémoire collective de Crécy en France, en Angleterre et même au Luxembourg offre un angle original pas toujours suffisamment exploité par les historiens.
Sur un plan formel les cartes et tableaux en couleurs sont très lisibles et éclairants. Les annexes diverses, lexique pour les non spécialistes, notes, bibliographie et lexique pour les noms propres sont impeccables.
Quelques réserves
Il est difficile d’émettre la moindre réserve. Si l’on part du principe que personne n’est parfait, l’auteur aurait pu peut-être développer un peu plus la peste noire entre 1347 et 1350 et la révolte d’Etienne Marcel en 1358, mentionnées seulement en passant. Mais il est vrai que ce n’est pas le cœur du sujet.
Encore un mot...
Le livre de David Fiasson va devenir le livre de référence en langue française sur la bataille de Crécy, beaucoup moins célèbre que la bataille similaire d’Azincourt. Projet éditorial exemplaire, on espère que d’autres batailles essentielles, mais peu étudiées, feront l’objet de publications dans la collection Champs de Bataille dirigée par Jean Lopez. A cet égard, il est inexplicable que le premier volume de la collection, Kharkov 1942, écrit par ce dernier, ait été peu médiatisé, surtout vu le contexte dans la région.
Dans les mémoires collectives nationales, la bataille de Crécy a été souvent instrumentalisée. Pour l’Angleterre c’est le premier épisode d’une longue liste de batailles confirmant sa suprématie sur la France. Pour la France républicaine c’est le symbole de l’inefficacité, de l’indiscipline et de l’anti-modernisme de la noblesse. Pour le petit Luxembourg, l’héroïsme de Jean l’Aveugle, comte de Luxembourg, devenu roi de Bohême, mort à Crécy sous les coups du Prince Noir, père de l’empereur Charles IV de Luxembourg, est un acte fondateur. C’est notamment la raison pour laquelle son grand-duc régnant de 1964 à 2000 a été prénommé Jean.
Si Jean l’Aveugle n’a pu sauver la France à Crécy, un autre illustre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, premier ministre du Luxembourg de 1995 à 2013, président de l’Eurogroupe jusqu‘en 2013 et de la Commission Européenne de 2014 à 2019 a sauvé l’EURO, la monnaie unique européenne, vieux projet stratégique français, tous partis de gouvernement confondus, lorsque l’existence même de l’EURO était gravement menacée entre 2010 et 2015 par les conséquences de la crise financière de 2008.
Une phrase
- « Les liens économiques entre l’Angleterre, exportatrice de laine, et la Flandre, vaste manufacture de textile, s’étaient depuis longtemps traduits par une alliance militaire. » page 16
- « Pendant longtemps, les médiévistes ont jugé que les grands capitaines du Moyen Âge cherchaient généralement à éviter les batailles » page 22
- « Les Anglais n’en savaient pas moins de quoi ils avaient besoin : un lieu en surplomb, de préférence avec des forêts de part et d’autre… » page 35
- « Assurément, la décision de livrer bataille le 26 août, alors que la troupe était fatiguée par une longue marche en plein soleil, sans prendre le temps de la déployer correctement, fut une lourde erreur. » page 89
- «… placé devant la contestation de chevaliers impatients d’en découdre, Philippe VI choisit de sauver la face en laissant attaquer ses soldats exaspérés par une attitude trop passive. » page 90
- « …la supériorité numérique des Français se retournait contre eux : leur masse compacte offrait de trop nombreuses cibles aux archers anglais, tandis que, bloqués par les chevaux morts et gênés par la presse, ils étaient incapables de manœuvrer, mais peut-être de se mouvoir. » page 102
- « …la déroute des arbalétriers s’explique parce qu’ils avaient été engagés sans leur protection habituelle…, les Français avaient rangé les lourds pavois sur des chariots restés à l’arrière. » page 109
- « Incontestablement le roi de Bohême s’impose comme le plus illustre des morts de Crécy, et le plus grand par sa bravoure. » page 122
- « Assurément la violence extrême des combats à Crécy ne ressemblait en rien à la violence contenue de la guerre féodale. » page 163
- « Les conséquences politiques furent en revanche extrêmement sérieuses : contestation minoritaire mais radicale de la légitimité des Valois, désir d’une sévère épuration du personnel politique, volonté des Etats généraux de contrôler l'État royal. » page 177
- « Son importance grandit nettement avec l’affirmation des Etats-nations au XIXème siècle : l’Angleterre célébrant une victoire fondatrice, les Français rejetant le poids de la défaite sur une noblesse honnie. » page 228
L'auteur
Diplômé de Normale Supérieure Lyon, agrégé et docteur en histoire, David Fiasson est un très jeune historien de 34 ans, spécialiste de la Guerre de Cent Ans, et plus généralement du Moyen Âge. S’il a déjà écrit de nombreux articles sur sa période de prédilection, Crécy 1346 est semble-t-il son premier livre. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître. S’il continue sur sa lancée, il deviendra rapidement une, voire la référence, en langue française sur la Guerre de Cent Ans.
Commentaires
Dans l'histoire des guerres finalement, quelle que soit l' époque, il n' y a jamais de bataille décisive. Le moment d'après qui relève de la stratégie est rarement pris en compte.
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