Ces grandes figures qui ont fait l’histoire
Parution le 25 août 2023
528 pages
25,90 €
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Thème
Le grand historien britannique, Ian Kershaw, biographe de Hitler, tente de dégager les caractéristiques principales des grands leaders européens au travers des portraits de 12 d’entre eux : Lénine, Mussolini, Hitler, Staline, Churchill, De Gaulle, Adenauer, Franco, Tito, Thatcher, Gorbatchev, Kohl. Les portraits sont fondés sur la littérature existante produite par d’autres historiens, à l’exception de Hitler. La sélection a été effectuée sur la base de l’influence de ces leaders sur le reste du monde. Cela explique l’exclusion d’autres hommes d’Etat, parfois plus remarquables, mais dont l’influence a été limitée pour l’essentiel à leur pays.
Le portrait synthétique de chacun d’entre eux est dressé en une trentaine de pages au travers des conditions de leur arrivée au pouvoir et de leur maintien pour une longue période, à l’exception de Lénine, de leurs réalisations, de leurs succès, de leurs erreurs et, pour les dictateurs, de leurs crimes.
Le point commun est la notion de crise sans laquelle aucun d’entre eux ne serait arrivé au pouvoir, à l’exception de Kohl et, dans une moindre mesure, de Thatcher. Ils sont tous dotés d’un degré de résolution hors du commun pour la prise et l’exercice du pouvoir, et d’un très grand sens tactique. Pour les dictateurs, la concentration absolue du pouvoir conduit inévitablement à des décisions catastrophiques, avec un goût marqué pour la cruauté à l’égard de leurs ennemis, dans une moindre mesure pour Tito. Pour les démocrates, leur (trop) long exercice du pouvoir les conduit à perdre le contact avec la réalité politique de leurs propres soutiens ou à vouloir gagner l’élection de trop.
Points forts
- Chaque portrait individuel est une synthèse remarquable. Ainsi pour de Gaulle, l’auteur conclut sur la pérennité de l’exceptionnelle constitution de la Vème République et du mythe De Gaulle. La réévaluation d’Adenauer est bienvenue. Il apparaît décidé et apte au compromis, à la fois stratège et tacticien, obtenant de brillants résultats avec peu de cartes dans les mains. L’auteur démontre comment des événements extraordinaires, la guerre des Falkland/Malouines pour Thatcher, l’unification allemande pour Kohl, font passer des politiciens presque ordinaires au statut de leader charismatique parce qu’ils ont été à la hauteur.
- S’agissant des dictateurs, on apprend beaucoup sur Franco et Tito, moins connus. L’auteur regrette que l’Italie n’ait jamais voulu tirer les leçons du fascisme, à la différence de l’Allemagne avec le nazisme.
Quelques réserves
Les réserves sont mineures face à la grande qualité de l’ouvrage. On pourra néanmoins regretter la sévérité excessive de l’auteur à l’égard de Mussolini, allant jusqu’à mettre en cause la remarquable biographie de celui-ci par Renzo de Felice.
Par contre, une certaine complaisance à l’égard de Staline aurait pu être évitée. Si l’auteur ne cache pas la brutalité et la cruauté inimaginables de Staline, il accrédite néanmoins le mythe soviéto-poutinien de la grande guerre patriotique en prétendant que c’est Staline qui a arraché la victoire sur le nazisme. La sympathie de l’auteur pour Gorbatchev, qu’il qualifie de manière exagérée d’homme d’Etat hors pair, dépasse l’objectivité historique. Même si le livre a été achevé en octobre 2021, on peut s’étonner qu’il n’y ait rien sur le révisionnisme historique de Poutine, d’une nature bien plus grave que l’attitude de l’Italie à l’égard de Mussolini.
Encore un mot...
L’intérêt principal de l’ouvrage est de montrer l’importance du leadership individuel face à des situations historiques exceptionnelles. C’est l’opposé de la thèse marxiste exprimée par Karl Marx dès 1852 dans Le 18 brumaire de Louis Bonaparte cité par Ian Kershaw. Marx qualifie Louis Napoléon de bouffon. L’historiographie récente démontre au contraire qu’il était un homme d’Etat. La thèse de Marx est que lorsqu’il y a équilibre des classes, un outsider peut s’emparer du pouvoir. Cette situation n’est vérifiée dans aucun des 12 exemples.
La notion de charisme, très importante en politique, encore aujourd’hui, fait l’objet d’une réflexion intéressante. L’auteur se réfère à Max Weber, pour qui le charisme est à la fois un élément de la personnalité du leader potentiel et la création des suiveurs et des media.
Enfin on s’étonne qu’au détour d’une phrase, l’auteur qualifie Angela Merkel de remarquable (page 471). Elle est au contraire la quintessence d’un certain mercantilisme allemand sans vision, ni stratégie à long terme. Elle a vécu sur les réformes courageuses de Schroeder qui ont rétabli la compétitivité allemande. Elle en a rajouté sur la dépendance au gaz russe déjà engagée imprudemment par Schroeder. Elle a pris la décision démagogique de renoncer à l’énergie nucléaire qui conduit inévitablement à un recours plus grand aux énergies fossiles pour compenser le caractère intermittent des énergies renouvelables. Elle a fait preuve de faiblesse, à nouveau mercantiliste, à l’égard de la Russie et de la Chine. Elle a réduit les dépenses de défense à des niveaux imprudents, dans une situation budgétaire pourtant favorable. Elle a toujours différé les décisions difficiles, par exemple au cours de la crise de l’EURO, sauf quand l’Europe a été submergée par la vague migratoire de 2015. Tout au plus peut-on dire qu’elle a été une très bonne gestionnaire de petit temps, à l’opposé des leaders démocrates du livre. Il est vrai que c’est toujours mieux que de n’être ni un leader, ni un gestionnaire.
Une phrase
- « Ce qui fonctionne dans une démocratie stable peut être totalement inefficace en cas de turbulence politique lors d’une crise grave » page 21
- « A la suite de Max Weber, on peut considérer le pouvoir individuel comme la capacité d’un chef à imposer sa volonté malgré la résistance » page 23
- « Si ces individus ont bel et bien fait l’histoire, c’est à chaque fois, parce que le leader a été le produit d’un ensemble de circonstances unique qui a rendu possible possibles l’acquisition et l’exercice spécifiques du pouvoir » page 447
- « Sans la Première Guerre mondiale, les chances de Lénine et de son successeur Staline, de Mussolini et de Hitler de prendre les rênes de leurs Etats eussent été quasi nulles. Sans la Seconde Guerre mondiale, il est très peu probable que Churchill, de Gaulle ou Tito auraient accédé au pouvoir » page 451
- « Chacun a fait preuve d’une opiniâtreté et d’une force de caractère extraordinaires pour surmonter les épreuves et les revers, d’une volonté implacable de réussir et d’un degré d’égocentrisme exigeant une loyauté extrême et subordonnant tout et tout le monde à la réalisation des objectifs visés. » page 452
L'auteur
Ian Kershaw est un célèbre historien britannique spécialiste du nazisme et de Hitler. Il a publié une biographie à succès de Hitler en deux volumes en 1998 et 1999. Il considère que les dictatures de Hitler et de Staline sont fondamentalement différentes en ce sens que, malgré sa brutalité, la deuxième reste rationnelle. C’est la différence avec l’école de Nolte qui considère que le nazisme et le stalinisme sont les deux faces d’une même médaille.
Commentaires
Je remercie l’auteur de cette chronique pour avoir attiré mon attention sur cet ouvrage (et d’autres) qui correspond à mes centres d’intérêts. Après lecture, je souscris pleinement au jugement du chroniqueur. Je connaissais cet auteur depuis son intéressant livre « Qu’est-ce que le Nazisme ? » paru avant sa biographie incontournable d’Hitler. Il nous livre maintenant une excellente analyse des quelques hasards et nombreuses nécessités, du contexte géopolitique et historique, qui, au-delà de leur personnalité, ont conduit à l’émergence de ces 12 figures historiques, à leurs actions puis à leur retrait. J’ai trouvé dans cet ouvrage de nombreuses réponses aux questions que je me posais. J’ai ainsi pu compléter ma compréhension de certains enchainements d’évènements autour de personnages que je connaissais déjà et beaucoup appris sur Tito que je ne connaissais que de nom, ses relations avec l’URSS et le monde occidental ainsi que sur l’histoire de la Yougoslavie. Le livre est très dense tout en étant très clair sur ces destins souvent entrecroisés. J’ai apprécié le rappel d’importantes données statistiques bien choisies (économiques, démographiques, budgétaires…), comme, par exemple, le taux d’inflation de 27% au Royaume Uni lors de l’arrivée de Mme Thatcher, niveau à méditer de nos jours avec la reprise de l’inflation. Je partage également l’avis du chroniqueur sur le trop élogieux jugement porté sur Mme Merkel en fin du livre. Sa formation scientifique (Docteur en physique), peu fréquente dans les milieux politiques, aurait, par exemple, dû permettre à la Chancelière une action plus efficace face au risque climatique et d’éviter certaines erreurs dans la mise en place de la politique énergétique depuis vingt ans, aux risques pourtant prévisibles, qui aura encore longtemps des conséquences économiques et sociales importantes en Allemagne et dans l’Union Européenne. Un travail comparable sur Poutine, sur certaines figures historiques chinoises, nord et sud américaines du XXème siècle serait bienvenu de la part d’historiens de la qualité de Ian Kershaw. A découvrir alors dans les chroniques de Culture Tops.
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