What if they went to Moscow?
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Thème
Jatahy nous annonce dès le début de la pièce son intention. Elle veut parler du changement, et elle veut, dans deux salles différentes et à travers deux mécanismes de fiction distincts, plonger le spectateur dans un « entre-deux ». C’est donc autant (et pas tout à fait) dans une pièce que dans un film que l’on immerge pendant 3 heures, en suivant ces trois sœurs, se cognant chacune à leurs propres murs.
Points forts
“Le mécanisme de l’un est l’utopie de l’autre“. Le dispositif de “What if ?“ est en trois parties : le jeu en présence du public, le tournage en direct sur scène et un film, comme déjà monté et projeté en direct dans une seconde salle. Trois parties et deux publics, une seule histoire, qui se rejoue quatre fois… le trouble est posé ; et cette injonction lancée au début: “nous allons parler de “changer“, parce que changer c’est mourir un peu“. Mais nous, qu’avons-nous vu ? Avons-nous changé notre regard de spectateur durant ces trois heures où nous assistons à la même histoire ? Une histoire jouée pour nous (mais aussi pour un autre public) et rejouée pour l’autre public (et cette fois nous sommes les voyeurs, spectateurs d’un film de cinéma, capable d’isoler des détails que le spectateur de théâtre n’a pas pu voir)…
Christiane Jatahy a pensé avec une très grande intelligence sa mise en scène. Une grande confusion semble régner sur le plateau, mille choses se téléscopent : adresses au public, aparté, danse, sucré-salé, mouillé-séché, regrets et retrouvailles… et tout cela dans une apparente banalité. Or la violence sourde, gronde puis éclate, pour disparaître si vite que nous aussi nous l’oublions immédiatement. Pourtant les rapports entre les trois sœurs sont cruels. Elles sont toutes trois à des carrefours de leurs vies, caressant leurs propres rêves et se heurtant à leurs peurs, incapables de s’entraider. Car il est dur de changer, et la famille vient probablement la première en offrir un point de référence, cristallisant souvent ses membres dans un caractère donné. Par exemple ici lorsque Olga, la plus âgée, chante à la plus jeune, Irina, une contine de son enfance pendant le dîner d’anniversaire. Mais Irina, agacée et gênée, lui réplique que “oui, c’était mignon, quand j’avais 5 ans“… Une scène apparemment si commune… et une idée qui se diffuse dans toute la pièce, si bien que l’on repart avec un sentiment de malaise dont on ne sait plus précisément d’où il vient…
Quelques réserves
Il y en a beaucoup, car la pièce est pleine d’imperfections. On peut avoir des regrets; celui-ci, par exemple: que la pièce, étant jouée en portugais, beaucoup de répliques nous échappent. Mais faut-il pour autant se priver de faire venir une metteure en scène brésilienne?
Encore un mot...
Olivia Rosenthal s’interroge sur le rapport entre répétition et plaisir (“toutes les femmes sont des aliens“). On pourrait croire que Jatahy explore également cette idée. Là où l’on pense avoir déjà vu la pièce, l’œil de la caméra lors de la seconde partie fait surgir foule de détails qui n’en sont pas. Oui, l’histoire est la même, mais les comédiennes, elles, ne le sont plus, et nous avons changé aussi entre le début et la fin. La subtilité dans le jeu des comédiennes est bouleversant.
Vous aurez compris que le pacte passé avec le spectateur est exigeant, et pourtant je vous conseille d'aller découvrir, pendant qu'il est encore temps -dépêchez-vous...- ce “What if they went to Moscow“, ne serait-ce que pour le plaisir de (re)voir Julia Bernat, probablement une des meilleures comédiennes actuellement.
Une phrase
« Changer, c’est mourir un peu ».
L'auteur
Dramaturge, cinéaste, metteure en scène et actrice brésilienne, Christiane Jatahy, avec sa compagnie Vértice (sommet) de Teatro, installe des mises en scènes de théâtre en dehors des théâtres, imaginant des dispositifs originaux qui questionnent le rapport entre l’acteur et le public. Son processus mélange cinéma, vidéo et théâtre. Elle est artiste associée au CENTQUATRE à Paris.
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