Une légende à la rue

Quand le fracas du monde s’invite rue d’Enghien
De
Florence Huige
Mise en scène
Morgane Lombard et Florence Huige
Avec
Florence Huige
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre Essaïon
6, rue Pierre au Lard
75004
Paris
Jusqu’au 30 avril 2025. Mercredi et jeudi à 21h.

Thème

  • Automne 2011 : Florence et son amie Samia croisent dans la rue une femme sans âge, aux cheveux oranges (qui a « raté sa couleur »), encombrée de sacs plastiques, et qui vient d’affronter des enfants moqueurs. 

  • La prenant pour une sans abri, elles l’accompagnent à l’arrêt de bus, fascinées par les quelques phrases sibyllines qu’elle profère avec gravité. L’inconnue presse contre sa poitrine un sac qui, dit-elle contient le manuscrit de son histoire et, au moment de monter dans le bus, chuchote son nom : Sarah.

  • Le 9 janvier 2013, les médias annoncent l’assassinat de trois femmes kurdes, dans les locaux du Centre d'information du Kurdistan (CIK) au 147, rue Lafayette à Paris. Florence, qui croit reconnaître la femme croisée jadis, se met alors à enquêter pour connaître le passé de cette inconnue et comprendre le motif du crime. 

  • Au gré des péripéties de ses investigations, elle découvre l’histoire et l’actualité d’un peuple méconnu et persécuté, les Kurdes. La diaspora kurde compte 42 à 48 millions d’individus. « Si on n’est pas à 6 millions près, je me demande ce que vaut la vie d’un Kurde » note ainsi Florence.

Points forts

  • La mise à distance, l’auto-dérision et l’humilité sont au cœur de cette leçon d’histoire. L’occidentale qu’est Florence sait d’emblée qu’elle ne peut tout comprendre des expériences allogènes ce dont son monologue intérieur témoigne (« quand on est au ban de la société on doit s’en foutre de la gueule qu’on fait »). Mettant peu à peu au jour l’ampleur de cette incompréhension ou mécompréhension, elle saisit aussi ce qu’elle implique sur le plan politique. 

  • L’autopsie minutieuse de ses petites défenses - qui sont aussi celles de la société tout entière - contre l’étrangeté de l’autre (« à Paris, on respecte l’anonymat, on n’aborde pas quelqu’un dans la rue, comme ça. Ca ne se fait pas ») en même temps que de son intégrité instantanée est d’une acuité remarquable. Dans le moment même où elle se défend, ou elle est à côté de la plaque, elle sait qu’elle l’est et cela résonne comme une bien belle leçon d’humilité sans avoir jamais l’allure d’une leçon parce que le propos est servi par une mise en scène très précise et délicate.

  • L’interprétation est habitée, élégante et pleine d’humour, exempte de la moindre lourdeur et du plus mince didactisme, illuminée par le regard clair et dévorant de Florence Huige. On ne s’ennuie donc pas une minute. 

Quelques réserves

  • Pas la moindre.

Encore un mot...

  • Ce “théâtre-documentaire“ est plein d’enseignements. Sakine Cansiz, la Sarah de notre autrice, était une des fondatrices de la guérilla kurde du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) fondé en 1978 et classé comme organisation terroriste par Ankara et les Etats-Unis ; elle avait créé la branche des femmes de l’organisation. Elle a été tuée en même temps que Fidan Dogan, responsable à Paris du Centre d’information du Kurdistan (CIK), et Leyla Saylemez, une des leaders des jeunes du PKK.

  • Suspectés d’avoir commandité l’assassinat, les services secrets turcs, n’ont pas été inquiétés.  La juge d’instruction n’a mis en accusation qu’un seul homme, Ömer Güney, un jeune Turc qui s’était fait embaucher comme chauffeur par l’une des victimes, et qui a été identifié par des caméras de vidéosurveillance de l’immeuble. Il devait être jugé aux assises en décembre 2016, mais il est mort la même année, le 17 décembre dans un hôpital parisien, avant son jugement. 

  • Diverses enquêtes journalistiques estiment cependant qu’il avait des liens avec les services secrets turcs et qu’il aurait été proche des Loups gris, un mouvement d’extrême-droite ultra-nationaliste et hostile aux Kurdes. Le triple meurtre de Paris pourrait donc bien être un crime politique commis par des services secrets étrangers, ainsi que l’affirmaient les avocats des familles des victimes. Les services secrets turcs ont officiellement démenti en janvier 2014 tout rôle dans les assassinats.

  • Le documentaire réalisé pour Spécial investigation par Laure Marchand, Trois femmes à abattre, a été présenté par la Mairie du 10eme arrondissement de Paris en janvier 2024 pour commémorer l’événement.

  • Une attaque perpétrée rue d’Enghien le 23 décembre 2022 a fait trois nouvelles victimes kurdes sans que l’hypothèse d’un acte autre que raciste et xénophobe n’ait été retenue.

  • Malgré les villages rasés, les persécutions turques, la résistance du peuple kurde, l’expérience démocratique, féministe et écologiste du Rojava, les Kurdes demeurent “invisibles“, et c’est pour briser un peu cette invisibilité que Florence Huige propose ce spectacle.

Une phrase

  • « Les sacs plastiques, emblèmes de notre société de consommation, dès qu’ils contiennent nos vies alors c’est que nous sommes à la rue. »

  • « Cette femme lutte pour rester debout, pour ne pas disparaître. Et moi, quel est mon combat ? »

  • " Je suis passée à côté de cette femme. Je l’ai écoutée et je n’ai rien compris parce que mon esprit n’a pas su dépasser les frontières. »

  • « Quelques secondes suffisent parfois pour ancrer un souvenir. » 

L'auteur

  • Réalisatrice, autrice et metteuse en scène, Florence Huige est également actrice. On l’a vue aussi bien au cinéma (A toute allure en 2024, Goutte d’or en 2022 et Illettré en 2018) qu’à la télévision

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