VANIA/VANIA
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Thème
Rappel : 1900, au cœur de la sainte Russie, une grande famille aristocrate vit ou survit sur ses terres au milieu d’une vaste forêt : frère et sœur, mari et ami, mère et fils… Elena, épouse fidèle d’Alexandre, pater familias despote et professeur, Oncle Vania, son frère, exploitant agricole exploité et alcoolique, attaché à la glaise, Michael, ami de la famille, médecin utopiste, Maria, la mère âgée de Vania, plongée dans ses brochures, Sonia, la nièce amoureuse. Tout le monde s’aime ou le feint et va se déchirer. Il faut vivre ou partir !
- En confrontant deux pièces de Tchekhov, Le Génie (ou Le Sauvage selon la traduction) des Bois et Oncle Vania, écrites à dix années d’intervalle par le maître, un couple d’auteurs contemporains ont l’idée d’en réécrive une troisième version, destinée au cinéma.
- Le point de départ est identique, les deux scénaristes réunis dans une maison à la campagne sont d’accord sur les grandes lignes, sur le thème central, c’est-à-dire l’obsession (le « démon » comme le dit lui-même Tchekhov) de la destruction placée au cœur des deux œuvres de Tchekhov.
- Mais, à l’instar des deux pièces, ils divergent sur le déroulement et sur les mouvements des âmes trop sensibles des protagonistes, ce qui les conduit à écrire deux “finales“ opposées mais également dramatiques. Dans l’une comme dans l’autre version, la dramaturgie, conforme à l’inspiration de l’auteur de La Cerisaie, met en scène ce désir d’en finir contre lequel Oncle Vania, ce « Sauvage », lutte constamment.
- Mais tout doit-il finir ? Toute cette fratrie sera-t-elle-enfin délivrée comme dans Le Génie des Bois, immergée dans l’image de l’amour et de la résilience, ou finira-t-elle, comme dans Vania, condamnée à vivre plongée dans le désespoir et l’amertume ?
- Les auteurs, submergés par leurs inspirations contradictoires et leurs incertitudes, nous laissent face à notre propre imaginaire.
Points forts
- La performance des comédiens, capables de nous rendre les personnages attachants et sympathiques - sauf un bien sûr - voire pleins d’humour, ainsi Mathieu Marie dans le rôle de Michael, le médecin devenu écologiste qui déclame avec virulence sa passion pour la forêt. Il est tellement désabusé et si timide qu’il n’ose pas du haut de sa stature déclarer sa flamme à Elena, l’épouse d’Alexandre, le professeur patriarche, ici parfaitement odieux. On saluera aussi Elsa Guedj dans le rôle de Sonia, la nièce adorée, la jeune fille dévouée au domaine familial, toute en retenue et en finesse, remarquable dans son rôle d’amoureuse sacrifiée au devoir filial et bercée d’une espérance salvatrice.
- Une certaine dose de modernité, par petite touches, qui nous rend la pièce plus accessible, plus contemporaine. Oncle Vania, avec sa coiffe de guerrier peau-rouge ou son accoutrement de cowboy, va dans ce sens. Quelques expressions des scénaristes dignes de François Truffaut ou le “rembobinage“ du professeur revenant brusquement à la vie nous rappellent que nous sommes devant un scénario en live. C’est assez réussi et décoiffant, juste ce qu’il faut.
- La mise en scène enfin, vive et originale, réussit la gageure de mêler les deux histoires avec fluidité sans (trop) perdre de spontanéité. Les protagonistes sont ainsi introduits sur scène venant des coulisses, un à un, “plein cadre“, et repartent de même, comme obéissant aux injonctions du metteur en scène. Très Hitchcockien !
Quelques réserves
Ce que cette version du chaos familial et amoureux gagne en réalisme et en implication pour le spectateur, elle le perd en émotion : les souffrances du cœur, la lourde conscience du devoir et le poids des sacrifices s’évanouissent peu à peu. À la fin cependant, l’émotion revient en nous rapprochant de L’Oncle Vania original de Tchekhov.
Encore un mot...
- Il ne faut pas comparer avec l’incomparable. Ceux qui se réfèrent à la création follement romantique et désenchantée du grand Anton Tchekhov risquent d’être pour le moins désorientés.
- Cela étant posé, les auteurs mettent en lumière une vraie question : est- il opportun ou nécessaire à la dramaturgie de passer à l’acte, de “tuer le père“ (ici le frère), de pousser le “coupable“ (en même temps, la victime) à la dernière extrémité ?
- Autrement dit, les tourments de l’âme ne sont- ils pas supérieurs à la chute des corps ? Tchekhov avait bien répondu. Un seul salut : « Travaillons ! » (Le mot de la fin)
Une phrase
(Premières répliques)
VIonitsky (Vania) : « Buvez votre thé, Maman
Maria : Mais je veux discuter
Vania : Cela fait cinquante ans que l’on discute et discute et que l’on lit des brochures .Il serait enfin temps de conclure
Maria : Pour une raison quelconque, quand je parle, cela t’est désagréable. Tu as tellement changé. Tu étais un homme de conviction, une personnalité brillante.
Vania : Ah oui, j’avais une personnalité brillante, qui n’éclairait personne pourtant !
Une personnalité brillante ?… Cesse tes médisances. J’ai maintenant 46 ans. Jusqu’à l’année dernière je m’efforçais de plonger les yeux dans le brouillard de votre scholastique, afin de ne pas apercevoir la vie véritable et je pensais que je m’en sortais bien. Et maintenant si vous saviez, je ne dors plus, par dépit, par colère d’avoir si stupidement laissé s’envoler les instants où j’aurai pu posséder tout ce que la vieillesse me refuse à présent .
Sonia : Oncle Vania, c’est ennuyant ! »
L'auteur
• Anton Tchekhov, né en 1860 dans le sud de la Russie tsariste, mort en Allemagne en 1904, est l’auteur d’une tétralogie célèbre : La Mouette, Oncle Vania, Les Trois Sœurs, La Cerisaie. La prime jeunesse d’Anton sur les bords de la mer d’Azov est difficile. Vivant d’expédients au sein d’une famille nombreuse et démunie, descendante directe du servage, il réussit héroïquement ses études de médecine, mais s’illustre rapidement dans l’écriture. Pendant des années il produit nombre de récits, de nouvelles, de pièces comiques à succès. Il se mit à voyager aux antipodes (à l’île Sakhaline par exemple), se vouant à l’observation des classes les plus défavorisées. Travailleur acharné, il meurt de tuberculose à 44 ans. La première représentation de La Cerisaie eut lieu en 1904, 6 mois avant sa mort.
• Clément Poirée, metteur en scène, est le directeur du théâtre de la Tempête depuis 2017, où il a été le collaborateur du très brillant Philippe Adrien de 2000 à 2016. Il met alors en scène Dans la Jungle des villes et Homme pour Homme de Brecht, Beaucoup de Bruit pour rien et La Nuit des Rois de Shakespeare. En 2017, il crée La Baye de Philippe Adrien, La Vie est un Songe de Caldéron. En 2018 Culture-tops a vu et chroniqué Dans le Frigo d’après Copi et Les Enivrés d’Ivan Viripaev, toujours dans des mises scène de Clément Poirée, lequel monte ensuite en 2019 Macbeth et Les Bonnes de Genet. En 2020/21 la représentation de Catch, super production de Poirée et de quatre auteurs, fut un grand moment pour le public, les artistes et nous-même, chroniqueur pour Culture-tops.
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