
L’amante anglaise
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Thème
Claire Lannes a assassiné sa cousine germaine, sourde et muette, a découpé son corps et en a jeté les morceaux dans les trains qui passaient sous le viaduc, à côté de chez elle. Arrêtée grâce au "recoupement ferroviaire" qui permet d'identifier le cadavre et de remonter jusqu'à la meurtrière, elle est enfermée.
Un homme, dont on ne sait qui il est, sinon une voix qui cherche passionnément à comprendre, interroge son mari avant de l'interroger elle. Il cherche à savoir et à comprendre : qui est cette femme ? pourquoi a-t-elle tué ?
Plongée au cœur des méandres de la psyché et quête passionnée aux bords de la folie, L'Amante anglaise fait appel à l’imagination du spectateur.
Points forts
La pièce commence par une chanson des Stranglers, La Féline, chantée en français, et qui relate une histoire de meurtre cannibale dans les années 1980. Le ton est donné. Emilie Charriot, la metteuse en scène franco-suisse ne se contentera pas de suivre à la lettre les injonctions durassiennes qui sanctifient le texte : ses indications : pas de décor, pas de costume, pas de mise en scène.
Ici, les comédiens vibrent et bougent, ne se contentant pas d’être des statues récitantes comme dans les précédentes versions de la pièce (au moins en 2017 au Lucernaire et en 2024 à l’Atelier, chroniquées par Culture-Tops) : Dominique Raymond (Claire Lannes) prend le texte d’assaut, sans craindre de le malaxer et de le tordre. Bien campée au centre d’un dispositif scénique qui reste très classique, elle est bien le pilier de la pièce autour duquel tournent Nicolas Bouchaud (l’interrogateur) et Laurent Poitrenaux (Pierre Lannes, son mari).
Cette approche iconoclaste du texte le révèle dans toute sa splendeur. En même temps, il l’adoucit et le densifie, car derrière les mots de Duras se cachent d’autres trésors auxquels les trois comédien(ne)s nous donnent accès. Même si l’on sait dès le début qu’on ne connaîtra pas à la fin la motivation ayant poussé Claire Lannes à tuer sa cousine, ni où elle a caché sa tête, les subtiles variations que Dominique Reymond apporte à son témoignage ouvrent de nouvelles pistes de compréhension.
Laurent Poitrenaux et Nicolas Bouchaud apportent également à leurs personnages une mobilité et une plasticité qui donnent de l’espace et de l’ampleur à leur parole. En se déplaçant sans cesse, ils vitupèrent et s’indignent, nous ouvrant à diverses interprétations qui vont au-delà de leur texte.
Quelques réserves
- Pas de réserve. La mise en scène d’Emilie Charriot dépoussière le texte sans tomber dans le modernisme. C’est la plus belle façon de se mettre à son service.
Encore un mot...
Pour mémoire, la version donnée de L’amante anglaise à l’Atelier à l’automne 2024 par Jacques Osinski, metteur en scène reconnu et admiré, paraît subitement rigide et datée. Avec Sandrine Bonnaire, Frédéric Leidgens et Grégoire Ostermann, il disposait pourtant de comédiens capables de porter sa vision. Si l’on ne prend que l’exemple flagrant de Sandrine Bonnaire, elle donnait de Claire Lannes une dimension restreinte : murée dans sa froideur, impassible, sévère, elle semblait alors terriblement impuissante.
Par comparaison, Emilie Charriot, ose dépasser le théâtre de Duras et signe une magnifique réussite. Ici, Dominique Reymond existe pleinement : tour à tour enjouée, joyeuse, rude, triste, incomprise, elle distille un venin clair obscure qui la rend bien plus inquiétante et malfaisante.
Une phrase
CLAIRE : « […] J’ai eu des pensées sur le bonheur, sur les plantes en hiver, certaines plantes, certaines choses…
- L’INTERROGATEUR : Quoi ?
- CLAIRE : La nourriture, la politique, l’eau, sur l’eau, les lacs froids, les fonds des lacs, les lacs du fond des lacs, sur l’eau qui boit, qui prend, qui se ferme, sur cette chose-là, beaucoup, sur les bêtes qui se traînent sans répit, sans mains, sur ce qui va et vient, beaucoup aussi, sur la pensée de Cahors, quand j’y pense, et quand je n’y pense pas, sur la télévision qui se mélange avec le reste, une histoire montée sur une autre montée sur une autre, sur le grouillement, beaucoup, grouillement sur grouillement, résultat : grouillement et cætera, sur le mélange et la séparation, beaucoup beaucoup, le grouillement séparé et non, vous voyez, détaché grain par grain mais collé aussi, sur le grouillement multiplication et division, sur le gâchis et tout ce qui se perd, et cætera et cætera, est-ce que je sais ? »
L'auteur
Femme de lettres et cinéaste française, Marguerite Donnadieu, dite Duras, est née en 1914 près de Saïgon au Vietnam, alors Indochine française.
Figure majeure de la littérature du second XXe siècle, Marguerite Duras cultive dans son œuvre romanesque (Un barrage contre le Pacifique, Moderato cantabile, Le Ravissement de Lol V. Stein, Le Vice-Consul…) et théâtrale (Des journées entières dans les arbres, L’Amante anglaise, La Musica…) une esthétique du mystère. Elle s'illustre également dans le cinéma comme scénariste (Hiroshima mon amour) et comme réalisatrice (India song, Le Camion…), un art qu'elle considère comme le « lieu idéal de la parole ».
En 1984, Marguerite Duras reçoit le prix Goncourt pour L’Amant, qui rencontre un immense succès et est adapté au cinéma par Jean-Jacques Annaud. Elle meurt à Paris en mars 1996, âgée de 81 ans.
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