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Thème
- Assis, un homme lit un journal puis parle. Il évoque les « belles choses qui n’arrivent pas par hasard », les compétents et les incompétents, la nécessité d’ « être en mouvement », la grande entreprise dans laquelle il travaille depuis 31 ans, et Steve - « un type épatant » - qui dirige son service avec une sollicitude et une attention de tous les instants, l’évaluant plusieurs fois par jour. Il parle aussi de l’autre type, responsable des « relations humaines », de son transfert à lui du service maintenance au service commercial, de sa femme et de leur étrange chat, de sa mise à l’écart au travail - qu’il interprète comme une promotion - et enfin de son licenciement presque sans indemnités, qu’il voit comme « une bonne nouvelle ». En effet, « Pour progresser il faut restructurer un peu, il faut se priver de certains éléments qui obstruent le progrès. »
- Puis arrive une femme en peignoir et bonnet de bain. Elle nous parle avec une grâce et une vivacité souriantes de ceux qui, négligents, ne prennent pas soin de leur santé et en meurent, de l’épanouissement personnel qu’elle expérimente en vivant dans cet espace « parfaitement bien organisé » et pourvu d’une piscine. Elle attend son fils, qui vient la voir tous les jours, tous les mois, tous les ans ? Elle nage.
Points forts
- Le texte et le jeu de Redjep Mitrovitsa, sont en parfaite adéquation : sa voix douce, son phrasé inimitable, sa façon d’insister, de peser sur le dernier mot de la phrase, ses yeux écarquillés, la pondération et la modestie de sa présence sur scène, conspirent à camper ce personnage de naïf aliéné et lunaire.
- La comédienne Eve Gollac est également remarquable : tout en fluidité et en vivacité qui mettent en relief la cruauté de son monologue.
- Les éclairages et la musique sont juste ce qu’il faut, comme une ponctuation scénographique ou une épice discrète ajoutée au texte.
Quelques réserves
Evidemment, si l’on attend d’un spectacle du bruit et de la fureur, de la véhémence et des couleurs, on sera déçu. Aussi bien y a-t-il d’autres raisons d’aller au théâtre...
Encore un mot...
- Jouant sur le double sens du mot “incident“ - petite difficulté imprévue au cours d'une entreprise qu’événement peu important en lui-même, mais capable d'entraîner de graves conséquences - Vincent Farasse manie une écriture blanche et pourtant explosive.
- La grande entreprise de l’homme et, en symétrie, l’espace idéalement conçu et organisé de la femme ressemblent tragiquement à un monde dans lequel les individus sont sommés de s’adapter aux changements qu’on leur impose.
- Mieux : il s’agit pour eux d’y consentir avec enthousiasme, d’y adhérer avec conviction, parce que, si l’on en croit le langage qui les habille et les travestit, ces changements ne peuvent être que des améliorations. Le responsable des “relations humaines“ n’a d’autre fonction que de faire avaler le sirop doux-amer de cette sournoise escroquerie intellectuelle et morale.
- Trahison de la langue, trahison de l’humain, c’est toute la violence sourde de la loi du marché et du néo-libéralisme de ces dernières décennies parée des oripeaux du progrès humain qui est exposée sur une scène vide et sombre. La cruauté de cette régression sociale qui se donne comme un progrès, portée ici par des personnages candides et convaincus, l’absurdité du monde dévoilé par le dépouillement et la duplicité de la langue font évidemment penser à Beckett.
Une phrase
« Mon entreprise a encore gagné des points cette semaine. Elle vient d’entrer dans les cinq meilleures du CAC 40. Et d’une certaine manière, c’est un peu grâce à moi. Il faut vous responsabiliser. Il faut agir. Toutes les entreprises, toutes les institutions peuvent réussir aussi bien que la mienne. Mais il faut agir. Il faut être responsable. Tant qu’on n’aura pas fait disparaître l’imprécision, l’approximation, l’incompétence, la société ne pourra pas fonctionner. On peut la rendre meilleure. Je le sais. J’ai agi et j’ai vu. C’est possible ! Parfois il faut disparaître. Il faut avoir le courage de disparaître.
L'auteur
- Comédien et metteur en scène formé à l’École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre à Lyon, Vincent Farasse a notamment écrit et mis en scène Passage de la comète, Mon Oncle est reporter, Métropole (Prix des Journées de Lyon des Auteurs de Théâtre 2015), Un Incident, Mimoun et Zatopek (finaliste du Grand Prix Sport et Littérature 2020).
- En 2020, il réalise le court-métrage Derrière la table vide et, en 2022, Farasse publie, comme scénariste, un album de bande dessinée, Les Représentants.
- Un Incident, texte écrit pour les acteurs qui l’interprètent sur la scène de la Reine Blanche, a été créé en 2017 au Centre Dramatique National de Normandie-Vire. Comme l’ensemble du théâtre de Vincent Farasse, la pièce est publiée aux éditions Actes Sud-Papiers.
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