Très nombreux, chacun seul

Messieurs les politiques, allez voir cette pièce!
De
Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Bisson, Jean-Louis Hourdin
Avec
ean-Pierre Bodin et la participation de Christophe Dejours
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre du Soleil
Bois de Vincennes, Route du Champ de Manoeuvre
75012
Paris
0143742408
ATTENTION: dernière représentation, le 10 janvier

Thème

Dans la veine du théâtre-documentaire, peu plébiscité par le grand public, le collectif explore les conditions de travail en entreprise telles qu’elles évoluent et se détériorent au gré de l’émiettement des relations humaines elles-mêmes... Jean-Pierre Bodin incarne les voix d’ouvriers, de travailleurs et de salariés au sein d’entreprises en mutation. Il peint un portrait du « totalitarisme » au travail, cyniquement drôle parfois, mais surtout effrayant.

Points forts

- Avec un jeu nimbé de modestie et finesse, Jean-Pierre Bodin nous emmène en douceur dans le monde cruel, violent et déshumanisé de l’entreprise. Il a eu accès à des témoignages d’ouvriers et il porte dans un premier temps ces voix derrière lesquelles l’acteur s’efface complètement, rendant une dignité absolue à ces hommes et femmes qui ont accepté de livrer une part de leur intimité. Une vidéo montre les gestes, répétitifs, de ces ouvriers entendus plus tôt. Leurs mains seules s‘agitent sur fond noir, sans objet à manipuler. Manifestation surnaturelle de tâches si souvent opérées à l’usine. C’est le temps d’une certaine nostalgie: “ouvriers c’était bien, ça parlait d’ouvrages, d’œuvres“. 

Mais ce temps, tantôt heureux, tantôt insupportable opère un glissement de l’entreprise paternaliste, locale, loyale, vers celle devenue mondialisée et  soumise à un marché assassin. Bodin dialogue aussi ou cède la parole au psychiatre Christophe Dejours, spécialiste de la souffrance au travail (uniquement en vidéo, parfois un peu long). La pensée du chercheur vient nous aider à éclairer le récit, scientifiquement, pour peu à peu comprendre comment le suicide de Philippe Widdershoven a bien pu arriver. Car c’est là où veut nous emmener Jean-Pierre Bodin. A la rencontre de ce délégué CGT de l’usine de porcelaine Deshoulières dont le suicide a été déclaré par l’entreprise comme accident de travail (fait extrêmement rare).

- Le suicide au travail nous touche, bien plus que nous l’admettons même si nous oublions trop vite le 20h et ses nouvelles macabres qui concernent bien pourtant notre quotidien. Heureusement, la démarche de JP Bodin nous fait osciller entre rires et larmes, notamment dans son « cabaret » du comité d’entreprise. Transformé en Mr Loyal au moyen simple d’une écharpe dorée, d’un rideau rouge, et d’une chaise, le cirque-Bodin nous entraîne dans le nouveau management « pour ne pas penser la souffrance ». 

Le collectif (et c’est un mot important car ici tout participe de la dramaturgie, tant le son, les costumes, la lumière et bien évidemment le texte) raconte comment l’organisation du travail peut générer des égarements, des souffrances, la perte de la notion du vivre ensemble et de l’estime de soi.

- Mention particulière pour le travail du Son. Le magma sonore, notamment sur la séquence filmée de l’usine Deshoulières vient faire résonner une plainte de “voix“ industrielles. Frottements, glissements, actions de machines, sur des images d’une usine abandonnée où plane encore les spectres des travailleurs.

Quelques réserves

Personnellement, je n'en vois pas.

Encore un mot...

On pourrait être lassé d’entendre à nouveau le constat accablant de la détérioration des conditions de travail. Rien de “neuf“ dans le point du vue, pourtant ce spectacle est d’une actualité très vive et offre des moyens de lutter contre l’isolation de chacun en milieu professionnel.

Dans “La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce“, Pommerat mettait en scène  “les idéologies qui orientent et sous-tendent les agissements humains aujourd’hui“ et il y recomposait la réalité du commerce à domicile, dans ses aspects concrets et imaginaires. Bodin crée avec “Très nombreux, chacun seul“ un spectacle de théâtre-documentaire qui permet à la fiction de s’épanouir sur un matériel de témoignages réels. Plus proche de Jean-Pierre Bodin serait Nicolas Lambert et sa compagnie “Un pas de côté“; ses spectacles (notamment “Elf, la pompe Afrique“) sont le fruit d’années de recherche, et seul en scène il personnifie parfois jusqu’à 18 personnalités différentes, rejouant des bouts entiers de procès, tous les documents authentiques à l’appui. 

Pour ceux qui veulent mieux comprendre l'évolution du monde du travail et qui rêvent à un mieux social.

Une phrase

- “Acrobate, Charpentier de bateau, Granuleur, Hurleur, Incorporateur, Jardinier de golf, Matelassier, Metteur au point, Repousseur, Rôtisseur, Tonnelier, Xilophagiste, Zingueur etc.“ (Abécédaire des métiers, déclamé par Bodin…)

- « Il n’y a pas de fatalité » ( c'est la citation qui termine la pièce et nous permet de rentrer avec espoir vers nos jobs plus ou moins rêvés...)

L'auteur

Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Bisson et Jean-Louis Hourdin ont créé ce spectacle en collectif. 

Jean-Pierre Bodin imagine ses spectacles micro et bloc-notes en main. Son écriture naît toujours de la collecte de témoignages. Il entreprend régulièrement une réflexion et un travail en milieu rural, cher à son cœur. Il joue également pour le cinéma (Mourir d’aimer de Josée Dayan…) et le théâtre. 

Ici il intervient seul en scène, en dialogue parfois avec des vidéos de Christophe Dejours, psychiatre.

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