Tous des oiseaux
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Thème
- Alors que la belle Wahida (« l’unique») étudie en bibliothèque universitaire un manuscrit rare sur l’étonnant Léon l’Africain, elle est entreprise par Eitan (« le robuste ») – un « objetiste » qui ne jure que par la science et tente de tout réduire à « 46 chromosones ».
- Une histoire d’amour nait entre les deux jeunes gens, d’origines différentes, lui est juif issu d’une famille allemande décimée par les nazis, alors que l’autre, orpheline, est d’origine arabe.
- Cela pèse de peu de poids au début de la passion amoureuse qui lie les deux jeunes gens. Mais il en va bien différemment à partir du moment où David, l’ombrageux et radical père d’Eitan apprend l’amour que son fils porte à Wahida, et surtout quand Eitan se rend en Israël avec celle-ci pour interroger sa grand-mère indigne, cette Leah que tous réprouvent mais tiennent pour la mère de David...
Points forts
- L’ambition d’une pièce-fleuve, qui se déploie sur quatre actes (portant chacun le nom d’un oiseau) regroupés en deux parties. Tous des oiseaux n’envisage rien moins que le poids de la Shoah et son influence dans la communauté juive - qu’elle vive en Israël ou ailleurs - avec les répercussions sur la perception du conflit qui oppose Israël à ses voisins arabes en général, et palestiniens en particulier.
- Mais comme toute œuvre d’importance, les caractères des personnages sont travaillés et des traits d’humour surgissent là où on les attend le moins, ainsi quand la grand-mère Léah, grinçante à souhait à force de souffrance dit de son fils « il se sent coupable de tout : un vrai juif. »
- On sera impressionné par ces comédien-ne-s polyglottes qui, outre qu’ils viennent des quatre coins de l’Europe et de l’Amérique du Nord, passent de l’anglais à l’arabe, en passant par l’hébreu ou l’allemand. Les surtitres, judicieusement positionnés, ne coupent pas la vision du jeu en cours.
- L’accompagnement musical épouse parfaitement l’ambiance et les différents moments de la pièce, de la même manière que les décors, de gigantesques cubes mobiles rappelant les murs qui se sont constitués entre les protagonistes, et qui se montrent parfaitement adaptés au propos.
Quelques réserves
- La durée de la pièce est un défi pour son concepteur et pour le public. Les deux actes de la deuxième partie (Oiseau de malheur puis Oiseau amphibie) présentent selon nous quelques faiblesses par rapport à l’éblouissante première partie : des comédiens contraints d’être plus statiques en raison de nombreux et longs monologues, tenus le plus souvent dans une posture déclamatoire face-à-face ou face au public. Ces moments grandiloquents font preuve d’un didactisme un peu trop appuyé.
- De sorte que la seconde partie de la pièce, quoique plus courte, paraît plus longue, sans être non plus interminable.
Encore un mot...
- Dans cette pièce magistrale, qui aborde des questions essentielles comme l’identité, la dissimulation ou la transmission, des questions sensibles sont soulevées et des propos forts sont tenus : la société israélienne est-elle à ce point « psychiatrique » comme l’indique Leah, qui déplore d’y vivre ? Quel sort faire à la parole écrasante de la génération d’après la Shoah, qui ne l’a pas vécue et transmet « un chagrin noir sans fin » à la suivante ? Comment remettre en cause une éducation culpabilisante, fondée sur le chantage à la disparition de la communauté ? Jusqu’à quand la Shoah servira-t-elle d’argument à ceux des juifs qui prônent un communautarisme fermé aux autres au nom du nécessaire effort de perpétuation du groupe ? Comment un État représentant un peuple jadis persécuté à l’extrême en vient-il à se faire à son tour oppresseur ? Comment sortir de l’impasse d’une terre réclamée au nom de Dieu, qui rend, pour reprendre Elie Barnavi, le conflit israélo-palestinien désormais quasi-insoluble ?
Une phrase
Leah : « Le couteau planté dans le cœur, il faut le retirer ! »
L'auteur
• Pour écrire cette œuvre majeure, le dramaturge s’est à la fois inspiré du parcours étonnant de Léon l’Africain (cf. l’épatant roman éponyme d’Amin Maalouf) et de la relation entre Natalie Zemon Davis, une historienne juive ayant étudié Hassan al-Wazzan, avec un auteur quebecquois d’origine libanaise, rencontré dans le hall des départs de l’aéroport de Toronto. Le voyageur n’était autre que Wajdi Mouawad, né au Liban en 1968, l’ayant fui pour la France puis le Québec... Il est devenu depuis un auteur et un dramaturge d’importance internationale.
• Tous des oiseaux revient au nid... En effet, ce spectacle fut créé et donné pour la première fois en novembre 2017 au théâtre de la Colline, alors dirigé depuis avril 2016 par Wajdi Mouawad. La pièce a reçu le grand prix de la critique en 2018, elle s’est donnée sur de nombreuses scènes, et son texte a été publié en août 2019 aux éditions Babel.
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