
TEMPEST PROJECT
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Thème
La Tempête est un conte, c’est le chant du cygne du « maître de l’Avon ». La Tempête de Shakespeare, c’est un monde surnaturel et invisible, dont le héros est maître de l’univers grâce à ses dons de magicien. Mais Tempest Project, imaginé par Peter Brook, en est un condensé, un résumé, une sorte de théâtre abstrait d’où ne jaillit que l’indispensable.
Côté décor, quatre bancs au milieu de l’avant-scène, des grosses bûches de bois, quelques tapis, une grosse souche d’où sort un vieux livre. Une mélopée accompagne l’arrivée de maître, Prospero, vêtu d’un long manteau noir, étole blanche autour du cou et pieds nus. Le duc Prospero est exilé sur cette île où il vient de s’échouer avec quelques compagnons et fidèles. Il est l’ancien duc de Milan qui été chassé et volé par son frère Antonio et son complice, le roi de Naples.
La vengeance et la liberté sont les deux thèmes de cette fable enchantée qui frôle le drame. En effet, nous sommes écartelés tout au long de cette petite pièce d’une heure et dix minutes entre le pardon et la révolte. Prospero est prisonnier de son état d’esprit, de sa soif de cette vengeance qu’il doit exécuter à tout prix, il doit se libérer de cette tempête intérieure qui le consume. Accompagné de son fidèle Ariel, génie des vents, il jette un sort sur les éléments qui devraient se déchainer et drosser son ennemi juré sur le rivage.
Mais rien ne se produira comme prévu ; il doit mater un complot de deux ivrognes associés à son esclave qui veut reconquérir son île. Il doit surtout répondre aux vœux de sa chère Miranda, sa délicieuse fille. Finalement, c’est l’amour filial qui délivrera Prospero de tout, de lui-même et de tout ce qu’il possède.
Points forts
Parlons plutôt de bons points que de points véritablement “forts“, si ce n’est certaines interprétations tout à fait remarquables, par exemple celles de Sylvain Levitte avec son double rôle de Caliban, un esclave dépossédé, et de Ferdinand, naufragé, fils du roi de Naples. Bon point aussi à l’interprétation pleine d’humour d’Ariel jouée par l’artiste argentine Marilu Marini, qui nous séduirait pleinement si elle n’était parfaitement inaudible par moments. C’est un problème récurrent aux Bouffes du Nord, amplifié par un accent argentin que l’interprète ne peut cacher.
Le numéro comique des deux jumeaux (dans la vie), Luca et Fabio Maniglio, est formidable : leur talent et l’expérience du cirque font merveille dans la séquence du complot notamment.
On sera également charmé par les chants d’une musicienne japonaise, Harué Momoyama, qui interprète les mélopées médiévales d’un empereur cloitré au XIIème siècle.
Quelques réserves
- Ce spectacle étant issu d’une recherche autour de La Tempête de William Shakespeare, on note que cette version expurgée ou allégée de la pièce souffre d’un manque de rythme, de lenteurs dans les enchaînements, de décors trop dépouillés, en un mot : de vie. La suppression de séquences comme la scène du naufrage qui existait dans de précédentes versions nuit clairement à la qualité du spectacle.
- Le personnage central de Prospero, campé par Éry Nzaramba, manque, à notre sens, de conviction. Il semble perdu sur scène, avec une diction “endormie“, en tout cas trop lente. Il est beau et élégant, mais ne fait passer aucune émotion. Heureusement, le duc déchu manie le bâton avec dextérité, tant qu’il en est pourvu !
Encore un mot...
Aux Bouffes du Nord, nous sommes chez Peter Brook, et quand on évoque Peter Brook, on pense immédiatement à William Shakespeare Avec cette Tempest Project, il en est au moins à sa quatrième adaptation de La Tempête ! La première eut lieu à Stratford-upon-Avon en 1957, puis il vint à Paris monter cette pièce en 1968. Après une première expérience réussie en 1990, il revient aux Bouffes du Nord avec comme complice Marie-Hélène Estienne.
Cette pièce constitue donc une source permanente de réflexion, dont le thème central est ici la liberté. La pièce fait évoluer nombre de personnages assujettis qui cherchent à secouer le joug, ainsi Ariel qui est somme toute « sous contrat » : il sera libéré « à condition que » ; puis Caliban qui se révolte à son tour mais, malheureusement pour lui, il sera berné avant de s’engager dans un combat perdu d’avance. Enfin, Prospero lui-même qui ne retrouvera sa liberté qu’après son propre renoncement.
Un autre thème se forme à partir d’une opposition entre l’homme et la nature : Prospero, par sa magie, a pris le pouvoir sur la nature et peut déclencher tempêtes et cataclysmes ; il prétend dominer la nature en risquant de porter atteinte à son équilibre, une forme de folie que l’on retrouve sans peine dans l’actualit
Une phrase
Prospero [retrouvant sa fille Miranda après le naufrage] : « Il y a 12 ans, Miranda, il y a 12 ans, ton père était le duc de Milan et un prince puissant.
- Miranda : Monsieur, n’êtes-vous pas mon père ?
- Prospero : Ta mère était un modèle de vertu, et elle disait que tu étais ma fille. Ton père était duc de Milan et son unique héritière était une princesse, rien de moins !
- Miranda : Oh Cieux, quelle trahison nous a fait partir de là-bas… ou quelle bénédiction ? »[Acte I, scène 2]
L'auteur
Peter Brook, né à Londres en 1925, mit en scène de nombreux textes de Shakespeare pour la Royal Shakespeare Company, tel que Titus Antonicus en 1955, Le Roi Lear en 1962, Le Songe d’une Nuit d’été en 1970, Antoine et Cléopâtre en 1978.
Il s’installe à Paris et, en 1971, y fonde le Centre International de Créations Théâtrales lors de l’ouverture des Bouffes du Nord.P. Brook y monte notamment La Cerisaie, Le Mahabharata, La Tragédie d’Hamlet, Le Grand Inquisiteur, Fragments de Samuel Beckett. Il a également mis en scène plusieurs opéras à Paris, au Covent Garden de Londres et au Metropolitan de New York, dont Faust, Les Noces de Figaro, La Bohème (1949), Don Giovanni (1998), ainsi que La Flûte Enchantée aux Bouffes du Nord (en 2011).
Ses principaux ouvrages sont Avec Shakespeare et La Qualité du Pardon. Au cinéma, Peter Brook a réalisé l’inoubliable Moderato Cantabile (1959), Le roi Lear (1969), et The Tragedy of Hamlet. Peter Brook nous a quittés il y a trois ans.
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