
T’embrasser sur le miel
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Thème
Dans une Syrie déchirée par la guerre, Siwan et Emad, qui habitent dans deux villes différentes, ne s’écrivent pas de lettres, mais s’envoient des vidéos, des messages d’amour et de jeu. Ils se mettent en scène dans des petites fictions amusantes qui leur permettent d’échapper à la pesanteur et à l’angoisse. C’est à peine s’ils se parlent de la guerre, à peine s’ils s’informent réciproquement de leur quotidien. A peine si l’on apprend, au détour d’une phrase, qu’Emad a mis son enfant dans un bus, pour l’éloigner de la guerre et que Siwam a perdu son frère alors qu’il tentait d’aller récupérer le corps d’un mort dans la rue.
Du fond de leurs refuges, ils jouent, avec gaité et esprit, avec la gravité des innocents pour supporter le réel. Jusqu’à ce que la tragédie de la guerre les atteigne et les submerge, parce que la guerre submerge toutes les vies, même les plus minuscules.
Points forts
Le dispositif bi-frontal qui donne accès, selon qu’on est d’un côté ou de l’autre, à l’appartement de Siwen ou d’Emad - l’autre côté de la scène étant visible grâce à un écran fixé au-dessus du plateau - est très ingénieux. Chaque groupe de spectateurs ne voit que ce que fait le personnage de son côté, et les vidéos que lui envoie l’autre, vivant ainsi au plus près la séparation, l’impatience, les surprises, toutes les tensions qui traversent les personnages. La surprise que réserve l’ouverture brutale de l’espace donne une puissance dramatique et poétique inusitée à l’évocation de la guerre.
La langue poétique, qui mélange fraicheur et cruauté, est tout simplement délicieuse.
Les deux interprètes sont convaincants, alternativement légers et pesants, rieurs et graves.
Quelques réserves
- La deuxième partie est peut-être un peu moins adroite et vive, mais comment dire la guerre sans s’appesantir quelque peu ?
Encore un mot...
Le théâtre de ce début d’année s’est emparé de la guerre (Ici sont les Dragons au théâtre du soleil, Guerre au théâtre de l’Oeuvre) parce qu’au-delà de la Syrie, il y a l’Ukraine et Gaza, les morts en nombre, la fuite éperdue des vivants laissant derrière eux les ruines de leurs habitations bombardées, le chaos.
C’est une véritable gageure que d’évoquer la violence de la guerre sur une scène sans mimétisme plat, sans complaisance et sans voyeurisme, sans user non plus de métaphores creuses, mais en prenant le risque d’en métamorphoser la réalité sans en trahir l’atrocité, en en préservant juste l’absolue obscénité, c’est-à-dire, littéralement, en la faisant exister.
Une phrase
« Et quand nous n’avions plus de mots, quand nos gorges se trouaient, tu me demandais toujours : “Alors aujourd’hui, t’es capable de ne pas mourir pour moi ?“ »
« Je repense à notre monde éventré… et j’ai envie de m’ouvrir le cœur…de l’ouvrir suffisamment pour que tu saches que tu y as encore ta place… où que tu sois… “Qu’est-ce qu’il nous reste ?... Qu’est-ce qu’il nous reste ?“... Je t’entends encore hurler cette phrase… […]. Et depuis, j’essaie de sauver ce qu’il reste… qu’est-ce qu’il nous reste ?… »
L'auteur
C’est le premier spectacle de Khalil Cherti, adapté de son moyen-métrage éponyme, autoproduit et tourné avant le confinement, réponse à la sollicitation de Wajdi Mouawad, lequel a choisi de faire résonner à La Colline l’actualité tragique du Proche-Orient.
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