Si Vénus avait su
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Thème
Eulalie se présente : soignante en fin de carrière, elle fut pionnière de la “socio-esthétique“, défendant l’idée que les individus vieillis, malades, traumatisés, souffrants et fragilisés – bref, tous ceux qui échouent à répondre aux codes de la beauté normative et de la productivité au travail - ont besoin plus que d’autres de soins esthétiques qui leur permettent de rester présents à eux-mêmes, de renouer avec les autres et de se réconcilier avec un corps qui les trahit.
Il s’agit donc de réparation, loin des injonctions à la beauté, à la jeunesse, à la santé, à la minceur, dans ce spectacle proposant une magnifique galerie de portraits : femme blanche ou noire, grosse ou mince, jeune et scarifiée ou vieille et fatiguée, vieil homme rescapé des années sida et qui vante pêle-mêle la vertu désinhibante du grimage, l’art du toucher et de l’accompagnement, le massage à la rose de Damas, la nécessité de montrer ses seins pour ne pas faire partie des12 000 mortes par an et tant d’autres choses.
Ode aux socio-esthéticiennes qui consacrent leur vie aux autres, à leur soin, Si Venus avait su est aussi un cabaret ludique et interactif dans lequel on chante et on danse et qui, en mettant en exergue les vertus du toucher et des liens qu’il permet de recréer, joue des codes d’une “société du spectacle“ très susceptible sur les questions d’apparence.
Il nous rappelle que les corps abimés et vulnérables, les corps qui ne rentrent pas dans les bonnes mensurations sont aussi précieux que les autres. Que l'écoute, la disponibilité, la patience et l’attention à autrui sont aussi des vertus politiques au sens où elles améliorent la vie ensemble.
Points forts
Drôle, léger et vif, le spectacle ne sombre jamais dans la mièvrerie ni dans une bienveillance affectée. Il déploie une générosité pleine de lumière et de couleurs qui nous met devant nos propres a priori et nos propres réticences à intégrer les individus brisés dans le champ de notre vie sociale. Parier sur la vulnérabilité de l’autre comme un appel à la générosité de soi et inversement.
Et là n’est pas la moindre de ses vertus que de nous faire mesurer les faiblesses d’âmes habituées au plus vulgaire des validismes sans nous acculer à la culpabilité. C’est pourquoi il fonctionne comme une caresse dramaturgique, apaisante et vivifiante qui invite chaque spectateur à être doux avec soi comme avec les autres.
Les comédiens sont formidables. Leur présence est à la fois délicate et profonde, avec une mention spéciale pour la voix magnifique de Dana Fiaque.
La mise en scène élaborée - sans être alambiquée - autour d’un jeu de voilages bleus, de déshabillages et rhabillages pudiques, de costumes plus ou moins clownesques donne une belle tonicité au déroulé des scènes.
Quelques réserves
- Difficile de bouder son plaisir devant un spectacle aussi salubre et bienfaisant.
Encore un mot...
Dans la catégorie “service à la personne“, le métier de socio-esthéticienne existe bel et bien, et s’installe de plus en plus dans le secteur médico-social. Loin des instituts de beauté, il a pour vocation de réaliser les soins d'embellissement et d'entretien corporel, bref d’assurer la beauté et l'hygiène des souffrants.
Issu d’une enquête au long cours menée par la Compagnie Nova auprès de professionnel·les de l’esthétique, et de patient·e·s, le spectacle montre à quel point, dans les centres sociaux, les services d’oncologie ou les Ephad, la question du soin rejoint celle de la dignité, de la prise en compte de son corps et de son identité. Et à quel point aussi le monde du travail demeure impitoyable avec ces producteurs moins performants que sont les convalescents et les malades
Créer un spectacle à partir de cette nouveauté professionnelle est une vraie bonne idée qui montre que, à défaut de faire de la bonne littérature, on peut faire de l’excellent théâtre avec d’excellents sentiments et une démarche rigoureuse.
Une phrase
« Je ne suis pas déprimée, je suis intense. »
"J’peux pas avoir cancer, j’ai piscine. "
« Si Venus avait su, elle serait probablement pas venue,
Moi si j’avais su, je serais née ornithorynque ou tardigrade. »« J’ai fait passer la vie doucement, comme elle était venue, dans l’élan d’une secousse. »
L'auteur
Musicienne de formation, dramaturge et autrice auprès d’une association spécialisée dans le “récit de vie“, Sigrid Carré Lecoindre a notamment écrit Hedda, une pièce sur les violences conjugales, mise en scène et jouée en 2020 par Lena Paugam au Théâtre de Belleville. Soucieuse d’allier engagement sociétal et engagement artistique, elle travaille aujourd’hui à la mise en scène d’un concert-spectacle autour de la figure de la sorcière (Which Is ?).
Metteuse en scène depuis 2007 – année où elle fonde la Compagnie Nova-, Margaux Eskenazi est artiste associée aux Gémeaux, Scène Nationale de Sceaux, au Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN et au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine.
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