Saigon
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Thème
Un restaurant de quartier des années cinquante, propre et simple, comme on peut l’être à la lumière des néons. Le goût d’alors version Indochine. Cuisine à gauche, karaoké à droite. Les voisins s’y croisent, c’est un peu leur maison. Des vietnamiens, quelques colons et hommes de troupes français.
On est à Saïgon, en 1956, peu après Diên Biên Phu. On est, en même temps, rue du Faubourg Saint Antoine dans le 11° en 1996. C’est une façon de respecter l’unité de lieu : le restaurant aux carrelages verts. C’est une façon de respecter, l’unité de temps : quarante ans d’écart entre les deux époques mais c’est au fond toujours la même, celle de l’arrachement, de la séparation.
La pièce, dans son décor invariable, passe en permanence de Saïgon (ville disparue aujourd’hui, devenue Hô-Chi-Minh-Ville) à Paris, de 1956 à 1996.
Tout change, les personnages, les couples ont quarante ans de plus. Rien ne change, le restaurant est le même, sa patronne, sa serveuse, son ambiance sont identiques que l’on soit à Paris ou à Saïgon.
D’un va et vient incessant entre les lieux et les époques, entre les personnages à des âges différents - jeunes en 56, âgés aujourd’hui -,des anecdotes permanentes qui nourrissent les échanges, suinte une profonde blessure.
Une cicatrice dont les lèvres refusent de se refermer. Elles battent au rythme d’une douleur que chacun à sa façon tente d’exprimer en quête d’une catharsis impossible. Alors, tristes et blessés, ces exilés s’effacent du centre du restaurant, et demeurent dans l’ombre attendant une prochaine crise ou un impossible oubli.
C’est à cette tentative de guérison que l’on assiste.
La souffrance nous gagne tellement que l’on accepte, nous aussi, par moments, de rire.
Comme pour dépasser la douleur, la douleur de la séparation et notre certitude que ce qui est séparé est définitivement perdu.
Points forts
- L’idée d’un lieu et d’un temps unique pour parler de ce qui s’est passé à Saïgon en 1956 et à Paris en 1996. La fusion sur la scène de l’espace et du temps est une réussite totale.Le quotidien ordinaire passe au second plan. Il ne reste plus que la souffrance des hommes, une souffrance qui finit par les construire et éveille parfois en eux l’illusion d’une espérance.
- Le texte et la mise et scène puisqu’ici tout est complètement imbriqué. Les portes claquent, la vaisselle vole, les malaises se multiplient, on se bat, on se traite de noms d’oiseaux, de nouveaux problèmes viennent aviver de vieilles rancœurs… pendant que l’opium ou le venin de la blessure se distille et se répand.
- La troupe. Les comédiens sont tous excellents, en vietnamiens, comme en français. Ils expriment ou masquent le déchirement qu’ils portent au fond d’eux avec un naturel qui contribue à nous faire entrer dans la réalité de la pièce. Une mention spéciale à la « tenancière » du restaurant : Marie-Antoinette jouée par Ahn Tran Nghia. Elle tient le même rôle tout au long de la pièce et assume ses cinquante ans d’écart avec justesse et mæstria.
Quelques réserves
Puisqu’il en faut un… Quelques rares longueurs. Mais comment les éviter durant plus de 3 heures?
C’est un sujet récurrent avec ces auteurs-et ils sont nombreux...- qui considèrent aujourd’hui qu’on ne peut rien faire de bon en moins de temps…
Encore un mot...
Une tristesse infinie à laquelle on échappe parce qu’il ne reste à la fin qu’une indicible tendresse.
Une phrase
Difficile de citer un extrait en vietnamien… difficile de trouver une grande phrase tant les mots sont simples, justes et ordinaires. Alors, autorisons-nous un emprunt :
« Ils éprouvaient ainsi la souffrance profonde (…) de tous les exilés, qui est de vivre avec une mémoire qui ne sert à rien ». Albert Camus, La Peste (1947)
L'auteur
Après des études de sociologie et d’arts du spectacle, Caroline Guiela Nguyen intègre l’école du Théâtre National de Strasbourg en mise en scène.
En 2009, elle fonde la compagnie les Hommes Approximatifs qui réunit Claire Calvi, Alice Duchange, Juliette Kramer, Benjamin Moreau, Mariette Navarro, Antoine Richard et Jérémie Papin.
Après avoir monté quelques grands classiques, ils s’attaquent à leurs propres récits, aux corps manquants, aux histoires absentes des plateaux de théâtre.
Dès lors, ils ne cesseront de peupler la scène du monde qui les entoure... : Se souvenir de Violetta (2011), Ses Mains et Le Bal d’Emma (2012), Elle brûle (2013), Le Chagrin et Le Chagrin (Julie & Vincent) (2015), Mon grand Amour (2016). SAIGON est créé le 1er juin 2017 à La Comédie de Valence pour le festival Ambivalence(s) et en juillet 2017 au 71e Festival d’Avignon.
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