REMBRANDT SOUS L’ESCALIER

Comme Michel Ange ou Raphaël un prénom de génie pour une pièce qui a de l’esprit !
De
Barbara Lecompte
Mise en scène
Elsa Saladin
Avec
Christophe Delessart, Eric Belkheir (et Consuelo Lepauw au violon)
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre Essaïon
6 rue Pierre au Lard
75004
Paris
01 42 78 46 42
Du 6 avril au 8 juin 2023 - Tous les jeudis à 19h.

Thème

  • A la fin du premier tiers  du XVIIe siècle, le jeune Rembrandt van Rijn retrouve le souvenir de son père Harmen dans leur maison familiale de Leyde. Le grand maître, parvenu à mi-vie, évoque ses souvenirs avec son père devenu aveugle à la fin de son existence, et mort en 1630. • L’artiste retrouve ainsi tous les soirs, au pied de l’escalier (celui du  fameux Philosophe en méditation), le vieil homme à la barbe blanche. Ils évoquent ensemble la vie du peintre, une vie de chefs d’œuvre, d’honneurs, d’amours contrariés, mais  aussi de morts et de déceptions. • Les deux êtres de chair et de sang se révèlent ainsi au son du violon. L’un, Rembrandt de son prénom, peintre adulé une moitié de sa vie, puis délaissé pendant l’autre moitié, fils respectueux  et aimant ; l’autre, père attentif et admiratif, mais qui n’hésite pas à rabrouer un fils qui fait fi des convenances bourgeoises. 
  • Les références artistiques ne manquent pas : Lucas de Leyde, Jan Lieven, l’élève de Lastman, mais surtout Pierre Paul Rubens, le maître absolu, le modèle par excellence.  On  rencontre également le fameux conseiller d’Etat et amateur d’art éclairé Constantin Huygens qui s’écrie « Voilà donc l’atelier du fils du meunier de Leyde dont on parle jusqu’à La Haye ! » Il est également largement fait référence à la Bible, au beau livre de Tobie, à la sagesse de Tobit, Tobit le père, l’aveugle, Tobit dont on  rappelle la parole « Tu te tiendras assis sous l’escalier ». Et Harmen de compléter, parlant de  lui-même : « Comme un vieux sac de blé oublié, gâté. »
  • Alors, rendant hommage à sa sagesse et à son aide précieuse, Rembrandt jure : « Je te peindrai, père, je te peindrai en Tobie.» « Je suis fier de toi, Harmenzoon » s’exclame ensuite le vieux sage devant la toile du Retour de l’Enfant prodigue. Et après ? Vanité, vanité… Memento mori !

Points forts

  • Une atmosphère intimiste, une méditation sur l’art, sur les hommes et leur ingratitude,  traduite dans des dialogues vivants où l’on sent bon la “ripaille“ au temps de la Renaissance. • La relation entre deux artistes, père-fils, animés par la même passion et un amour mutuel : «  Ah ! Le chenapan,  le neuvième de la dizaine de la marmaille van Rijn ! »                     
  • Une belle langue certes, peut-être d’époque et empreinte souvent de nostalgie nuancée d’humour :  « Mes frères et mes sœurs, les vivants et les morts, ces petits spectres inconnus, morts au berceau, abandonnés aux limbes » dont se remémore Rembrandt, le benjamin des garçons de cette fratrie de dix enfants.
  • L‘omniprésence de l’artiste sur scène, en la personne de Rembrandt lui-même, joué  à la perfection par un Christophe Delessart, qui ressemble comme deux gouttes de peinture à son modèle, à un clair-obscur près. Quelle puissance, quelle diction ! Delessart est lumineux et Consuelo Lepauw, au violon, est doublement charmante dans la peau (sans voix) des deux femmes du maître, son épouse Saskia, spectrale, puis  sa servante Henrijke, « aux belles cuisses blanches », qui servit de modèle à sa Bethsabée.

Quelques réserves

  • Il ne faut pas s’attendre ici à une explication de l’œuvre de Rembrandt, ni à ressentir une émotion artistique du côté de ses œuvres. Il s’agit juste d’une légère évocation de technique picturale, une perspective effleurée à petites touches. Donc pas vraiment un point faible, simplement une zone d’ombre.  Le génie de Rembrandt reste un mystère.

Encore un mot...

  • On peut contempler le Philosophe en méditation (ou en contemplation) au musée du Louvre (exécuté en 1632, le maître a 26 ans !). Le tableau  fait référence au mythe de Tobie qui parvint à rendre la vue à son père Tobit atteint par la cécité après avoir reçu une fiente d’oiseau, grâce à l’intervention de l’archange Raphaël et du fiel d’un poisson qu’il a péché. 
  • Il faut lire aussi la savoureuse chronique de Louvre-ravioli (François Bénard) parue dans le Beaux-Arts Magazine du 19 septembre 2021.

Une phrase

« Lorsque la lumière déclinait, qu’elle ne suffisait plus, lorsque je gâtais à coup sûr mes couleurs, alors je posais mon pinceau et je descendais l’escalier pour retrouver mon père. Il me semblait emprunter l’hélice d’un coquillage étrange, habité par un petit personnage intellectuel, un être pensant. Mon père, Harmen van Rijn, vivait dans cette coquille méditative, retiré en lui-même, tel un philosophe. "

L'auteur

  • Barbara Lecompte, autrice, historienne de l’art et conférencière, a produit plusieurs ouvrages sur l’intimité et la face cachée de personnages du monde de l’art ou historiques.
  • On peut citer par exemple La marquise au portrait (2014), roman qui relate celui de la Pompadour exécuté par Maurice Quentin de La Tour, ou encore Tableaux d’empire, Thermidor, voire L’Intuition de la reine de Saba qui s’était prosternée, dit la légende, devant un modeste pont de bois,  parce que, pensait-elle, il avait été construit avec des morceaux de la Croix du Christ.

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