Racine carrée du verbe être

Blast à Beyrouth
De
Wajdi Mouawad
Mise en scène
Wajdi Mouawad
Avec
Jérôme Kircher, Wajdi Mouawad, Raphaël Weinstock (pour ne citer que la fratrie).
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Théâtre de la Colline
15 Rue Malte Brun
75020
Paris
1 44 62 52 52
Jusqu’au 22 décembre 2024, jeudi et vendredi à 17h30 / Samedi à 16h et dimanche à 13h30 • relâche du 21 au 30 octobre.

Thème

  • Tout s’ordonne autour de cette sorte de big bang qu’a constitué, au Liban et dans le reste du monde, l’explosion du 4 août 2020 qui a ravagé le port et les quartiers environnants de la capitale.
  • Le propos s’organise autour des jours d’un calendrier hebdomadaire, autour d’une famille libanaise disséminée dans cinq pays, et part d’une fratrie autour de laquelle gravitent nombre de personnages, issus de leur famille ou de leur entourage.
  • La pièce interroge les parcours des frères Talyani, l’un étant neurochirurgien réputé et passablement névrosé, l’autre un artiste provocateur et torturé, le troisième commerçant en vêtements resté à Beyrouth et le dernier un assassin dans le couloir de la mort d’une prison texane.
  • Wajdi Mouawad remonte à la racine des potentialités, dont certaines débouchent sur un parcours donné, c’est à dire en multipliant les “what if“, sans toutefois les développer. 
  • L’immigration donne à la démarche une dynamique et un potentiel d’amplification considérables : c’est ainsi que le hasard d’une destination – Paris, Rome ou l’Amérique – peut produire des situations parfois bénéfiques (comme un furoncle salvateur !), d’autre fois bien plus tragiques.

Points forts

  • Wajdi Mouawad s’est attelé à un projet très ambitieux : il créée une fresque foisonnante se déroulant sur différents points du globe et à différents moments, qu’il réussit à mettre en scène au moyen de décors mobiles judicieusement éclairés, agencés et manipulés. L’agencement des scènes est assez subtil, de sorte que l’on ne s’égare pas dans les multiples moments et protagonistes en présence.
  • Certaines scènes sont particulièrement réussies, notamment celles entre frères, et parfois entre enfants et leurs parents. Mouawad sait les traiter avec ce qu’il faut d’humour pour éviter la tragédie “tire-larme“ et instiller l’indispensable dose de dérision. Il en va ainsi de la réflexion désabusée du Talyani resté à Beyrouth, qui, en dépit des supplications de ses proches, refuse obstinément de partir à l’étranger, ne serait-ce qu’une semaine, voir le reste de sa famille : « J’ai vu tout le monde partir une semaine, je n’ai jamais vu personne revenir… ».
  • Certaines charges contre les parangons du “ grand n’importe quoi“ - vulgarisateurs au verbe facile et artistes spécialistes de la provoc’, désemparés contre les risques (même limités) qu’ils pensaient ne pas avoir à prendre - sont particulièrement jubilatoires, même si l’on est pas bien sûr du parti pris par le dramaturge vis-à-vis d’eux.

Quelques réserves

  • La principale tient à la volonté de W. Mouawad d’associer des problématiques contemporaines bien définies à tel ou tel lieu et groupe de personnages. La pièce passe ainsi en revue diverses préoccupations et grandes causes du moment – l’immigration et les diasporas bien sûr, en passant par la fin de vie et l’euthanasie, sans oublier la peine de mort, les relations familiales, la création artistique, et j’en passe - de manière parfois superficielle et appuyée. 
  • La réserve devient embarras quand la cause écologique vient à se présenter : entre un ethnologue “bobolandais“ et de jeunes militant-e-s aussi énervé-e-s qu’énervant-e-s, on subit, un brin accablés, un plaidoyer pour la préservation des gingkos frappé au coin de la bien-pensance. Ce type de connexion acrobatique complique inutilement la pièce, l’alourdit et surtout en allonge la durée. La pièce totalise six heures de représentation, et aurait sans doute gagné à être raccourcie.
  • D’autre part, la retentissante explosion dans le port de Beyrouth ne justifie pas que l’on crie à longueur de temps sur scène : parfois - et notamment du côté de “La jeune troupe“ qui assure les rôles des jeunes personnages - ça hurle à tort et à travers, sans que l’on comprenne le rapport avec ce qui est dit, surtout quand les paroles appellent une interprétation plus fine.
  • On peut se lasser de formules revenant comme des mantras - telles que « Je ne t’aime pas parce que tu es mon frère, mais parce que je t’aime » - et qui finissent par sonner soit un peu “cul-cul-la-praline“, soit propagande en mode matraquage. Il en va de même des tics langagiers de la jeune fille suicidaire du Talyani resté à Beyrouth, ses formules anglicisées – du style « Oh my god, Libanese are resilient ! » - sont, à la longue, exaspérantes.

Encore un mot...

  • Un travail imposant, respectable, qui met en scène l’onde de choc multiforme provoquée par l’explosion du 4 août 2020, même si parfois « Qui trop embrasse, mal étreint »…

Une phrase

De Wajdi Mouawad : 
« Pourquoi vivre ne semble pas nous suffire ? »
« La chair est tendre sous la carapace. »

L'auteur

  • Wajdi Mouawad, né au Liban en 1968, l’a quitté en pleine guerre civile pour la France puis le Québec, où débuta sa carrière de dramaturge... Autant dire qu’il s’inspire largement de son parcours pour écrire ses œuvres, dispersant les facettes de sa personnalité au gré de ses personnages qu’il met en scène. 
  • Devenu un auteur et un dramaturge d’importance internationale, il a déjà donné au théâtre de la Colline (qu’il dirige depuis 2016) son remarquable Tous des oiseaux  en novembre 2017 (chroniqué par Culture-tops). S’en sont suivis Notre innocence (2018), puis Fauves (2019) et Littoral (2020) notamment.
  • Plus que jamais, le parcours de Mouawad inspire La racine carrée du verbe être, puisque le dramaturge place en exergue de sa pièce cette interrogation, formulée dans Le poisson soi : « Que serais-je devenu si j’étais resté au Liban ? Que serais-je devenu une arme à la main ? »

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