Passion
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Thème
En 1863 à Milan, le Capitaine Giorgio Bachetti vit une grande histoire d’amour avec Clara, une femme mariée, très belle. Muté dans le nord de l’Italie, dans une petite ville de garnison, il fait alors la connaissance de Fosca, la cousine de son Colonel. Cette femme à la santé fragile, d’une laideur repoussante, va très vite l’aimer de passion. A sa grande surprise, le Capitaine va voir ses propres sentiments évoluer peu à peu.
Points forts
1) Avec un tel sujet, Stephen Sondheim aurait pu écrire un opéra, mais il n’a pas dérogé à son désir profond de produire un musical, lui qui pourtant reproche souvent à ce genre son « inconsistance ». Ici, il aborde des thèmes sensibles, délicats, voire douloureux, rarement traités dans cette catégorie de spectacle. Il nous parle de ces délaissés au physique ingrat qui peuvent vivre toute une vie sans une seule histoire d’amour. Or, comme le chante Fosca, « Mourir aimée, c’est avoir vécu ».
Sondheim souligne aussi l’une des grandes injustices du genre humain : en amour, c’est un fait, il importe à une femme d’être belle, les hommes moches, eux, peuvent toujours se débrouiller. « La beauté est un pouvoir, le désir est un mal. »
Enfin et surtout, il nous rappelle qu’aimer l’autre, ce n’est pas vouloir le posséder, le garder pour soi, en faire sa chose mais souhaiter ardemment son bonheur, même si ce bonheur ne passe pas par nous. Un désintéressement absolu qui n’est pas à la portée de tous.
2) Lorsqu’il évoque sa musique pour « Passion », Stephen Sondheim la décrit comme « une longue chanson rhapsodique entrecoupée de quelques dialogues ». L’œuvre semble avoir été écrite à la plume sèche et à l’encre multicolore, d’un seul trait. L’orchestre philarmonique de Radio France en donne toutes les nuances. Bonne idée de jouer ce spectacle sans entracte, cela ne fait que renfoncer le côté inexorable du récit.
3) Enlaidie, déplaisante, Nathalie Dessay s’empare avec courage et sans aucune coquetterie d’artiste de cette sombre Fosca. Elle réussit au fil de la soirée à nous séduire comme son personnage finit par plaire, contre toute attente, au Capitaine Bachetti. Quel parcours ! Quelle voix moirée ! Et comment ne pas être ému lorsqu’à la toute fin, elle exulte et chante : « Je suis digne d’être aimée ». Car, comme dans « La Belle et la bête », le séduisant militaire va savoir passer outre la barrière physique. L’excellent Ryan Silverman, pratiquement de toutes les scènes, laisse percer les doutes et les fragilités de cet homme qui se voit basculer dans un amour irraisonné.
4) C’était un sujet en or pour Fanny Ardant qui dans sa carrière de comédienne a si souvent interprété les femmes extrêmes, emportées par leurs sentiments, comme dans « La Femme d’à côté », de François Truffaut. Sa mise en scène est volontairement dépouillée, sobre, comme si seuls les sentiments l’intéressaient, comme si elle voulait braquer le focus sur ces deux cœurs, sans se laisser distraire par des éléments décoratifs.
La scénographie austère du plasticien Gilles Durrieu, grands tableaux abstraits, géométriques, d’un noir profond et nuancé à la Soulages, forment des écrins de velours sombre pour mettre en valeur cette étrange histoire d’amour, ce diamant noir.
Quelques réserves
J'ai regretté parfois que l’immense plateau du Châtelet ne soit pas utilisé dans sa verticalité. Plusieurs niveaux de jeu auraient sûrement enrichi l’aspect visuel du spectacle. Les interprètes, lorsqu’ils sont seuls ou allongés à terre, paraissent écrasés par l’immense cage de scène.
Encore un mot...
« Passion » de Stephen Sondheim renouvelle le genre du musical en choisissant une héroïne d’une grande laideur et en abordant des thèmes délicats. La musique, l’intelligence de l’argument et le talent des interprètes, finement dirigés par Fanny Ardant, emportent l’adhésion.
Une phrase
Fosca au Capitaine Bachetti :
- « They hear drums, we hear music. »
(Là où ils entendent des tambours, nous entendons de la musique.)
L'auteur
« Passion » est un musical inspiré du film « Passion d’amour », réalisé par Ettore Scola au début des années 80, avec Bernard Giraudeau et Laura Antonelli, film tiré lui-même d’un roman d’Iginio Ugo Tarchetti, de 1869, « Fosca ».
Stephen Sondheim, l’auteur de la musique et des lyrics, est l’un des très grands de la comédie musicale américaine d’aujourd’hui. On lui doit notamment « A Little Night Music », « Sweeney Todd », « Sunday in the Park with George » ou « Into the Woods ».
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