Par-delà les maronniers
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Thème
Sur fond de revue de music-hall, Jean-Michel Ribes fait revivre trois hommes qui ont été, chacun à sa manière, les précurseurs du mouvement dada apparu après la guerre de 1914-1918 : Arthur Cravan, né en 1887, Jacques Vaché, né en 1895 et Jacques Rigaut, né en 1898. Ces dandys insolents (en habits blancs à paillettes) ne se sont jamais rencontrés, mais ils ont vécu la même vie extravagante, toute en dérision et en résistance contre la « barbarie de la civilisation » et l’art « bourgeois »; et surtout en réaction contre la guerre dont ils exècrent l’imbécillité.
Jacques Vaché (Maxime d’Aboville), interprète dans les armées françaises et anglaises, inventeur de « l’umour sans h », écrit depuis les tranchées quinze lettres à André Breton, brodant sur « l’art d’attacher très peu d’importance à toute chose ». Breton exprimera plus tard sa reconnaissance envers Vaché: « Sans lui, j’aurais été poète » ! Vaché meurt à Nantes d’une surdose d’opium. Il a 24 ans.
Arthur Cravan (Michel Fau) est un voyou-dandy de deux mètres, également proche d’André Breton. Poète-boxeur (ou « Boxète poeur », dira-t-il, il combat avec « des gants bourrés des cheveux de ses maîtresses», avant d’être mis KO par le champion de boxe Jack Johnson. Il épousera la poétesse Mina Loy (rôle confié ici à Alexie Ribes), protégée de Marcel Duchamp. Boxant toujours, il part pour l’Amérique du Sud d’où il écrit à sa femme des lettres désabusées. On ne le reverra plus, disparu un soir en barque dans le golfe du Mexique… Il a 31 ans.
Jacques Rigaut (Hervé Lassïnce) se targue d’être le « raté-étalon » : secrétaire du peintre Jacques-Emile Blanche, ami de Drieu la Rochelle, il est désespéré, fasciné par le néant et par le luxe. « Chaque Rolls Royce que je rencontre prolonge ma vie d’un quart d’heure », dit-il, et André Breton d’ajouter « qu’avec lui, il était toujours question de monter dans une Rolls, mais en marche arrière »! Il épouse (pour son argent) la riche américaine Gladys Barber (interprétée ici par Sophie Lenoir). Les dadaïstes seront bluffés par sa désinvolture au sujet du suicide, « forme suprême de mépris à l’égard de la vie ». Fidèle à lui-même, Jacques Rigaut se tire une balle dans le cœur à l’âge de 30 ans.
Trois parcours aussi courts que cohérents, dans la vie comme dans la mort…
Points forts
Quatre comédiens de haut niveau (en comptant Stéphane Roger qui joue dix rôles, donnant la réplique à nos déconcertants héros), avec en tête Michel Fau, plus dada que tous les dadaïstes !
- Une scénographie enlevée (Sophie Perez), des costumes « kitch » et colorés (Juliette Chanaud).
- Une musique signée Reinhardt Wagner avec les voix très professionnelles des femmes, tantôt danseuses de cabaret, tantôt tenant d’autres rôles ponctuant la vie de ces messieurs.
- Certaines perles dadaïstes :« L’éphémère a des racines très profondes en moi », « Shakespeare nous étouffe mais nous enrhume aussi (en référence à cette pauvre Ophélie flottant dans le ruisseau), ou « le théâtre de Shakespeare c’est de la syntaxe pour coiffeurs ».
Quelques réserves
Difficile de s’attacher à ces hommes dont l’âme est anéantie par une attitude extérieure de provocation systématique.
- Tant les hommes que les femmes nous paraissent artificiels : personnages de farce, mais farce cynique.
- Bref, on s’ennuie un peu à écouter ces personnages faire de l’esprit qui n’amuse qu’eux et de l’humour bien noir…
- Tout cela est un peu décadent, donc pas très rafraîchissant, ce qui semble pourtant avoir été l’objectif de l’auteur.
Encore un mot...
Le seul moment d’émotion, le moment de leur mort. On est triste pour eux…
Une phrase
La petite poésie de Mina Loy, qui revient comme un leitmotiv : « Amour-amour, Toujours-toujours, Topi-nambour ».
C’est pas dada, ça ?
L'auteur
Auteur dramatique, metteur en scène et cinéaste, directeur du théâtre du Rond-Point depuis 2002, Jean-Michel Ribes n’a pas besoin d’être présenté…
Rappelons toutefois qu’on lui doit la mise en scène d’une vingtaine de pièces, notamment Théâtre sans animaux (2001, Molière du meilleur auteur francophone et de la meilleure pièce comique), Musée haut, Musée Bas (2004, sept nominations aux Molières), Les Diablogues (2009) de Roland Dubillard ou encore Les Nouvelles Brèves de comptoir (2010, d’après le recueil de Jean-marie Gourio).
Au cinéma, il adapte certaines de ses pièces (Musée haut, Musée bas ou Brèves de comptoir), ou, à la demande d’Alain Resnais, la pièce d’Alan Ayckbourn, Private Fears in Public Places, qui deviendra le filmCœurs, sélectionné à Venise en 2006.
Jean-Michel Ribes est aussi, depuis 2007, l’auteur de nombreux ouvrages d’humour, les plus récents étant Les mots que j’aime et quelques autres (2013) et Mille et un morceaux (2015).
Commentaires
Consternant! Hélas.
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