Panique dans le seizième !
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Thème
Deux sociologues aguerris se rendent en mars 2016 à une réunion organisée à l’université Paris-Dauphine en vue d’informer les habitants du XVIème arrondissement de Paris du projet de la Mairie de construire temporairement un centre d’hébergement pour accueillir 200 des 30 000 sans-abris que compte la capitale.
Ç’en est trop pour les habitants du XVIème, qui se livrent à cette occasion à une manifestation de mécontentement dont l’expression dépasse et de loin les limites de l’échange courtois (voir le § Un extrait) :
la préfète en charge de la question se fait traiter de « pute » ;
l’adjoint communiste de la Mairie de Paris en charge du logement et le conseiller municipal socialiste du XVIème , de même que l’architecte concepteur du projet sont très vivement pris à partie…
Les deux chercheurs s’interrogent alors sur les fondements de cette si virulente hostilité et décident de suivre l’affaire jusqu’à l’édification définitive du centre.
Points forts
Une enquête sociologique implacable : mettant en perspective ce chahut avec l’opposition antérieure à la construction d’une centaine de logements sociaux à côté de la villa Montmorency (cœur du « ghetto du gotha », où habitent MM. Bolloré, Niel, Lagardère et Bruni-Sarkozy) ou encore au prolongement jusqu’à la Porte de Montreuil du terminus du tram ceinturant Paris, le texte met clairement l’accent sur l’absolue nécessité de rester “entre-soi“ des familles aisées qui composent et dominent cet arrondissement. En effet, « l’entre-soi » répond à des fonctions précises : l’évacuation de toute « culpabilité de classe » par « l’invisibilisation » de l’autre, exclu de toute proximité avec les lieux de vie des plus aisés.
Sous des arguments se réclamant du « bon sens », de la « bonne foi » et/ou du « bon droit », toute la « rhétorique réactionnaire » (étudiée par Albert Hirschman) se donne libre cours contre l’initiative de la Mairie socialiste de Paris :
« inanité » du projet (les 200 sans-abris seraient éloignés de toute perspective d’emploi, vu la position périphérique du bois de Boulogne qui les accueille) ;
« effets pervers » (une nouvelle « jungle de Calais » et des mal-logés qui seraient confortés dans leur paresse supposée à l’origine de leur situation) dénoncés sans relâche ;
« mise en péril » inévitable (du patrimoine naturel d’un Bois de Boulogne classé, mais aussi des prix de l’immobilier dans cet arrondissement, forcément impactés à la baisse par un tel voisinage).
- Surtout, la pièce nous montre comment, au travers de cette levée de boucliers, « l’objectivation spatiale des positions sociales » ne saurait être remise en cause sans risque de réaction éruptive. Il y a là une manière assez probante de présenter à un public venu nombreux (salle comble) les résultats d’une étude sociologique aux abords un peu austère.
Quelques réserves
Le jeu des comédien-ne-s, pleins de bonne volonté, est parfois un peu approximatif.
La mise en scène paraît ignorer qu’en raison des gros piliers qui bordent l’orchestre et coupent la vue, il est impossible aux spectateurs placés aux centres gauche et droite, de voir ce qui se joue sur le plateau lorsque les comédiens se tiennent aux extrémités de la scène…
Encore un mot...
La raison n’est pas ici à l’honneur et ceux qui s’en réclament s’époumoneront en vain lors de la présentation du projet en mars 2016 : l’absence de toute initiative ou réalisation concrète de la municipalité du XVIe dans le domaine de l’accueil des sans-abris ne pèse rien face à la détermination des habitants de l’arrondissement à éviter tout effort de solidarité, lors même que l’on se réclame d’une conduite et/ou d’une morale chrétiennes…
Il en va de même pour l’argument fallacieux de la « privatisation de l’espace public » constituée par ce projet, dont l’un des plus farouches opposants - ancien patron de la Française des jeux - a une femme qui fréquente (moyennant des droits d’inscription avoisinant les 8000 €) le Lagardère Paris Racing, club qui s’est installé sur sept hectares soustraits au Bois de Boulogne !
Le seul argument un peu tangible ayant pu être opposé à ce projet fut peu mis en avant : c’est celui de son caractère explicitement éphémère (limité à trois ans) assuré par la Mairie, alors que le centre d’accueil, construit il y a dix ans est encore sur pieds de nos jours !
Une phrase
Quelques “perles“ lancées lors de la réunion d’information :
« Le bois, oui, la jungle, non ! »
« Non au goulag : Hidalgo démission ! »
« On va faire une ZAC comme à Notre-Dame des Landes ! »
- Des édiles du XVIème [justifiant leur politique opaque d’attribution des logements sociaux] : « On apprend plus dans un regard que dans un dossier. »
L'auteur
Monique Charlot (née en 1946) et son mari Michel Pinçon (1942-2022) sont des chercheurs (Centre de sociologie urbaine du CNRS) qui se sont intéressés à la sociologie des groupes dominants (Voyage en grande bourgeoisie, 1997) et à leur ancrage dans l’espace citadin (Les ghettos du Gotha, 2007). Leur formation s’est faite sous la houlette de sociologues majeurs des années 1970 (Jean-Claude Passeron ou Pierre Bourdieu), très attentifs aux mécanismes de la domination et de la reproduction sociales.
- A partir de leur retraite en 2007, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon publient des études qui articulent leur engagement (Le président des riches. Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy, 2010 suivi du Président des ultra-riches : Chronique du mépris de classe dans la politique d’Emmanuel Macron, 2019) et les données résultant de leurs enquêtes.
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