NEMESIS

Une adaptation insolite du roman tragique de Philip Roth
Librement adapté du roman de Philip ROTH (2010, Gallimard, traduction de Marie-Claire Pasquier ) par Tiphaine RAFFIER et Lucas SAMAIN
Notre recommandation
2/5

Infos & réservation

Théâtre de l’Europe - Ateliers Berthier
jusqu’au 21 avril 2023, à 20 heures du mardi au samedi et à 15 heures le dimanche
En tournée les 16 et 17 mai 2023 au Théâtre de Lorient – Centre dramatique de Bretagne.

Thème

  • 1944, Newark, dans le New Jersey. Bucky Cantor, 23 ans, professeur de gymnastique, souffre de n’être pas parti se battre en Europe comme ses amis : il a une trop mauvaise vue. Mais c’est avec cœur, sur un terrain de sport, qu’il apporte sa contribution, en transmettant aux enfants dont il a la responsabilité les vertus de la détermination et de la persévérance.  
  • Comme chaque été, la polio menace, et cette année, le fléau s’annonce terrifiant. Les enfants tombent malades et meurent rapidement. A une époque où l’on ignore le mode de transmission du virus et où il n’y a pas encore de vaccin, les familles paniquent, les rumeurs courent, on cherche des responsables et des boucs émissaires : les Italiens, les Noirs… 
  • Etre de raison pris dans la tragédie absurde du présent, Cantor est taraudé par les questions : Pourquoi cette maladie tueuse d’enfants ? Pourquoi certains et pas d’autres ? Quel en est le sens ? Et lorsqu’il cède à sa fiancée qui le supplie de venir la rejoindre dans un camp de vacances en montagne, il est aussitôt hanté par le remords de s’être mis à l’abri, quand Newark continue de perdre ses enfants. Pis, juste après son arrivée au camp, un garçon est contaminé. Qui a introduit le virus dans ce camp préservé ?...

Points forts

  • Le spectacle frappe surtout par son audace et sa liberté formelle. L’adaptation pour le plateau de l’ultime roman d’un géant de la littérature américaine, roman profond et polysémique, suit le découpage du texte, mais avec des moyens esthétiques nombreux et propres à surprendre. 
  • Ainsi au premier acte, lorsque Cantor rend visite aux parents endeuillés et où tout Newark s’affole, une voix off narrative présente la catastrophe en marche. Les dialogues se jouent dans le clair-obscur créé par des panneaux séparant les comédiens d’un groupe de musiciens. 
  • Un intermède où Némésis vocifère, armée de sa roue et de son épée, permet ensuite la mise en place du décor du deuxième acte : le rideau se lève sur Indian Hill, camp de vacances à l’abri de tout, mis en scène sous la forme d’une comédie musicale très américaine, qui déstabilise le spectateur par la rupture de forme et de ton avec le premier acte. 
  • Enfin, l’acte trois confronte le narrateur et Cantor : tous deux ont vieilli et souffrent des séquelles de la polio ; chacun a tiré de cette épreuve des leçons opposées. Un flash-back joué sur scène revient sur les décisions prises par Cantor après qu’il a été frappé par le virus, et les conséquences de ces décisions sur sa vie.

Quelques réserves

  • Le déploiement de moyens pour faire entrer la narration romanesque dans le format théâtral ( surtitrages, caméra vidéo, comédie musicale, voix off… ) sature le spectacle en informations. Les charnières importantes du drame intime de Cantor sont écrasées et l’ensemble demeure à la surface de l’ouvrage de Roth, si riche et complexe en messages. 
  • L’adaptation du personnage central pour la scène (Bucky Cantor) est très éloignée du héros de Roth, tant physiquement que moralement, on est au bord du contresens. En effet, dans le roman, le jeune Bucky Cantor est un athlète très musclé et de petite taille, ce qui fait sens puisqu’il croit en la santé et la discipline du corps. Il a été élevé par son grand-père selon des valeurs fortes : le courage et, par-dessus tout, le sens aigu du devoir qui va guider toute son existence et finalement la lui gâcher. Il devient au théâtre un grand échalas inhibé, aussi ahuri qu’il est myope, et dont on ne perçoit qu’au troisième acte l’emprise puissante du sentiment de culpabilité.

Encore un mot...

  • On ne s’ennuie pas en assistant à ce spectacle, dont la metteuse en scène ne bride pas son imagination. Si certaines scènes sont bouleversantes, la plupart laissent perplexes. Le plus gênant étant qu’à trop donner d’importance à la forme, Tiphaine Raffier ne réussit pas à faire passer les grands messages tragiques du roman. Par exemple, pour citer J.M. Coetze à propos du roman Nemesis dans The New York Review of books : « Comment la logique de la justice fonctionne-t-elle lorsque de vastes forces universelles croisent les trajectoires des vies humaines individuelles ? (…) ». Ou encore, quelle part le sentiment de culpabilité de chacun, conscient ou inconscient, prend-il dans nos décisions apparemment dictées par le sens des responsabilités ?

L'auteur

  • Né en 1933 à Newark, dans le New Jersey, Philip Roth est un romancier américain unanimement reconnu et traduit dans le monde. L’identité juive américaine et l’envers de l’American dream sont ses thèmes de prédilection. Avec Nemesis, il a délibérément mis un point final à son travail d’écrivain, huit ans avant sa mort. 
  • Tiphaine Raffier est actrice, auteure et metteuse en scène depuis 2012. Formée à l’Ecole du Nord, elle crée La Chanson, Dans le nom puis France-fantôme au Théâtre de Lille, à Saint-Denis. Des Réponses et des hommes est ensuite présentée au théâtre des Amandiers, à Nanterre.  Elle a fondé la compagnie La Femme coupée en deux, et, avant Nemesis, tous ces textes écrits pour le plateau l’avaient été de sa propre plume.

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