
Même si le monde meurt
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Thème
Huit jeunes gens, quatre hommes et quatre femmes parlent, d’abord ensemble puis chacun son tour, pour dire les contraintes et les responsabilités de leur profession, pour annoncer leur grossesse, bref, pour évoquer des vies ordinaires.
Puis l’orage éclate : des scientifiques annoncent la fin du monde, la rumeur se propage comme la tempête, saisissant les humains et provoquant chez eu des réactions diverses : de la terreur crue au soulagement.
Les uns paniquent, certain.e.s veulent se battre, d’autres apprennent qui ils sont, beaucoup se ruent vers la religion, la plupart s’indignent, bref, c’est « le grand bûcher de nos débordements. »
Le temps qui reste, le temps qui leur est volé sont au centre de leur fureur et de leur ivresse, car désormais plus rien n’est grave, plus rien ne compte, tout est désordre et rien n’a de sens.
Ainsi la future mère intime-t-elle à son enfant d’accélérer sa croissance afin de le mettre au monde avant la fin, et accouche d’un enfant déjà adulte qu’elle lance dans la vie.
Points forts
Quelques beaux moments de texte (« c’est la fin du monde, la fin de la longue histoire des siècles qui nous ont précédé ») sertis dans un ensemble convenu.
La beauté de l’arrière-plan : le disque traversé de nuages, de mouvements ondulatoires, de lumière, la renaissance du monde dans une lumière rose.
La scène d’amour, toujours difficile à réaliser sur une scène de théâtre, est plutôt réussie, pleine de douceur et de fougue, sans verser dans le scabreux.
Quelques réserves
Le texte, cousu de formules-choc, brillantes à défaut d’être profondes, faciles et qui ne garantissent pas l’esprit, est au total cafouilleux et alourdi par l’artificialité de la scénographie. • Chaque personnage est d’abord dans les gradins, avant de descendre sur scène, laquelle s’organise en six plateaux métalliques sur un sol de copeaux de bois, avec un cercle de pierre qui sert de berceau et de tombeau, une comédienne apportant sur son dos un arbre : voilà une bien lourde symbolique du cycle de la vie.
La pesanteur, c’est aussi le jeu de comédiens dont la gestuelle d’automates puis la fièvre factice s’emparant d’eux et leur parole accélérée et haletante quand il s’agit de suggérer les dernières minutes de l’humanité, frisent la caricature.
A la question de savoir ce que nous ferions si le compte à rebours était enclenché, s’il ne nous restait que quelques heures, quelques jours à vivre, la réponse de Laurent Gaudé est sans surprise aucune : le chaos régnerait, qu’il soit celui d’une fête débridée ou d’un laisser-aller aux pulsions les plus basses, sexuelles et meurtrières. Evidemment, cette chronique d’une fin du monde annoncée est marquée par un retournement, totalement prévisible, attendu même et, dans cette 2ème partie du spectacle, on s’ennuie ferme.
Cette fin du monde ne concerne que huit personnes, des humains sans connexion aucune avec le reste de l'humanité. Personne n'a de famille, d'amis dont ils/elles pourraient s'inquiéter. Ce spectacle n’est donc pas une réflexion sur la mort individuelle, la mort de soi, la mort de l’autre : très peu de choses relient ces très jeunes humains affolés qui ne se parlent pas vraiment, révélant une solitude, un isolement, un effritement du lien social bien plus anciens que ce que provoque l’annonce de la catastrophe. Ils n’ont d’ailleurs pas davantage de rapport avec les autres vivants, pourtant eux aussi victimes de l’embrasement de la planète, dont ils semblent ne rien savoir et ne pas se soucier.
Cela suffit à montrer à quel point l’auteur tisse là une fiction métaphorique qui ne dit rien d’autre du monde que l’atrocité de l’anomie qui le caractérise, et rien des menaces en revanche bien réelles qui pèsent sur sa survie.
Variation sur une thématique chère au cinéma catastrophe usant des mêmes stéréotypes - la révélation d’une sorte de vérité des êtres qui, dans le grand dérèglement des sens, conduit celui-ci à tuer, celle-là à s’enivrer et à se livrer au désir des inconnus, cet autre à se métamorphoser en saint- ce spectacle ne parvient pas à toucher ni à émouvoir, parce qu’il ne dit rien d’essentiel.
Il embarrasse même en proportion de ses choix. Il est difficile d’accepter le parti pris de ne rien dire des causes de l’apocalypse, évoquée comme une fatalité tragique alors que chacun aujourd’hui connait la probabilité pour que la destruction du monde soit le produit des activités humaines.
Encore un mot...
La fin du monde, l’apocalypse sont d’actualité, non sans raison, et fournissent dans tous les cas un motif de célébration de la vie, de sa puissance, un hommage aux commencements et au renouveau.
Le regard sur la fin est l’occasion de parler de vie, d’interroger les priorités de chacun lorsqu’il reste aussi peu de temps, il peut fournir aussi un motif à affronter la question du sens qu’on donne à sa vie, à s’interroger sur le monde dans lequel on veut vivre, ce qui n’est pas le cas ici.
Une phrase
« C’est long d’attendre le mourir. C’est long… et le couperet qui ne tombe pas. »
« Nous aurons tout le temps. Si le monde ne meurt pas je veux tout, tout recommencer. Nous sommes riches de milliers de jours. »
« Le monde à l’envers c’est celui où tu plies sous son silence. »
L'auteur
Ecrivain prolifique, Laurent Gaudé a remporté le prix Goncourt des Lycéens en 2002 pour La Mort du roi Tsongor, et en 2004, le prix Goncourt pour Le Soleil des Scorta. Son dernier roman, Chien 51, sera adapté au cinéma à l’automne 2025.
Gaudé, outre ses romans, publie de nombreuses pièces de théâtre, recueils de poésies et nouvelles. Le long poème Nous, L’Europe, banquet des peuples a reçu le prix du Livre Européen en 2019 et est adapté à la scène par Roland Auzet pour le Festival d’Avignon.
En 2021, La Dernière Nuit du monde, est également créée au Festival d’Avignon et Terrasses est donnée en 2024 au théâtre de la Colline. Le texte de Même si le monde meurt est publié chez Actes Sud-Papiers.
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