Lorenzaccio
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Thème
L’action se situe en 1537 à Florence où règne le Duc Alexandre de Médicis, soutenu par le Pape et l’Empereur Charles Quint. Lorenzo de Médicis, dont la jeunesse a été pure et studieuse, décide de tuer ce tyran pour ériger une République à laquelle la population aspire. Il sacrifie sa réputation, n’hésite pas, sous le masque de l’amitié, à partager toutes ses débauches, à passer pour un lâche en devenant un « Lorenzaccio », exécré de tous. Face à son vieil ami, le sage et généreux Philippe Strozzi, vertueux partisan de la République, il s’engage à assassiner Alexandre au risque d’y perdre ses illusions et sa vie.
Points forts
1- Alfred de Musset a 24 ans quand il a l’idée de cette pièce, dont l’inspiration est née lors du voyage en Italie avec Georges Sand. A partir des « Chroniques florentines », cette dernière a conçu « Une conspiration en 1537 » ; Musset va en faire son chef d’œuvre. Conscient des difficultés à faire représenter cette pièce aux multiples tableaux et innombrables personnages, il la publie dans le deuxième tome de « Théâtre dans un fauteuil ». La pièce ne sera créée qu’après sa mort, en 1896, par Sarah Bernhardt. Longtemps d’ailleurs le rôle titre sera tenu par une femme.
2 – C’est une pièce magnifique, ambitieuse ; elle dépeint cette société décadente, en quête de sensations nouvelles, pour laquelle la vertu n’existe pas. C’est l’univers d’Alexandre de Médicis et d’autres nobles aussi dépravés que lui. Musset leur confère un langage violent, voire indécent. En revanche, il reprend son langage habituel et poétique pour les autres personnages (Philippe Strozzi, Catherine Ginori, Marie Soderini, ainsi que Lorenzo).
3 - Lorenzo est ici interprété par un jeune comédien Jules Sagot, dont on peut saluer la présence, l’intensité du regard et quelques beaux moments d’émotion. On ressent, qu’avec une direction plus précise, il eût pu aller plus loin dans ce rôle exceptionnel pour un comédien. Clémentine Couic et Bénédicte Simon sont justes et sensibles.
Quelques réserves
1 - Il est indéniable que présenter la version intégrale est impensable pour notre civilisation formatée à la durée des séries télévisées. Catherine Marnas, qui signe la mise en scène, a donc fait les coupures indispensables, mais difficiles ; a-t-elle coupé avec discernement ? Il y a des moments clefs, dans cette pièce, trop largement amputés, pour ne pas lui faire perdre une partie de son sens (notamment dans la scène 3 de l’acte III, qui voit la grande explication entre Philippe Strozzi et Lorenzo). En revanche, le retour de Philippe Strozzi auprès de sa fille morte, n’est pas un passage essentiel. Il aurait pu être supprimé de manière à ne pas tronquer certains des plus beaux passages de l’œuvre.
2 – Faire de Catherine Ginori la sœur de Lorenzo, alors qu’elle est sa tante un peu amoureuse de son neveu, apporte de la confusion. Marie Soderini, qui est sa mère, devient ici une sorte d’amie de la « sœur ». Une scène à la fin du 1er acte est très importante pour la compréhension du personnage complexe de Lorenzo. Celle où sa mère (dans le texte) lui évoque ce fantôme du Lorenzo d’autrefois, qui vient la visiter la nuit. Cette vision est fréquente chez Musset et rappelle « Cet inconnu vêtu de noir qui me ressemble comme un frère » de la Nuit de Décembre. Lorenzo ému par les inquiétudes de sa mère lui répond : « … Si mon spectre revient, dîtes-lui qu’il verra bientôt quelque chose qui l’étonnera ! »
3 – Dans la dernière scène entre Lorenzo et Philippe Strozzi, à Venise, je n’ai pas entendu l’annonce de la mort de sa mère. Elle est là encore essentielle pour amplifier son désespoir. Les puissances pontificales alliées à Charles Quint ont coopté un fantoche, et les républicains ne tenteront rien. Son geste a été inutile.
4 - Il y a des moyens derrière cette production. Le dispositif est important et assez élégant en dépit des rideaux de plastique. Mais pourquoi utiliser des gesticulations et des rythmes qui datent des années 1960 ? Pourquoi cette laideur de nombreux costumes ? Est-ce pour comparer le 16ème siècle au nôtre, lorsqu’une forme de laideur est reine et s’exprime partout. Est-ce pour en faire un « Polar politique » (sic) ? Il est vrai que de tels rapprochements sont tentants, avec le désenchantement ambiant ; mais il y a aussi autre chose dans cette pièce, où vibre toute l’âme d’Alfred de Musset.
Encore un mot...
Le Théâtre de l’Aquarium affiche l’un des immenses chefs d’œuvre du romantisme, une pièce, à la réflexion, qui pourrait évoquer Shakespeare. On parvient, par moment, à entendre vraiment la pièce, mais il est dommage que des scories inutiles en fassent parfois perdre le fil. Néanmoins, l’œuvre du poète demeure admirable.
Une phrase
Lorenzo : « Tu me demandes pourquoi je tue Alexandre ? Veux-tu donc que je m’empoisonne, ou que je saute dans l’Arno ? (…) Songe-tu que ce meurtre, c’est tout ce qui me reste de ma vertu ! »
L'auteur
Alfred de Musset (1810-1857), fut l’un des génies du Romantisme. Particulièrement précoce, il vécut auprès de George Sand une liaison passionnée. Il cessa pratiquement d’écrire après ses trente ans. Il laisse une œuvre magistrale de poésie et de sensibilité : « Fantasio », « Les Caprices de Marianne », « On ne badine pas avec l’Amour », « Il ne faut jurer de rien » " Un Caprice" et tant d’autres…
Son poème « La soirée perdue » est un bel hommage à Molière, parfaitement d’actualité, tandis que ce dernier est si bien célébré à Paris, avec de multiples présentations talentueuses, telle l’ « Amphitryon » magnifique au Poche-Montparnasse, l’impressionnant « Tartuffe » à la Porte Saint-Martin, « L’Avare » si joyeux au Ranelagh et « Les Fourberies de Scapin » à la Comédie-Française.
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