L’ORAGE
Sur les bords de la Volga, la vodka coule à flot. Un drame puissant signé Ostrovski, revisité par Podalydès
De
Alexandre Ostrovski
Adaptation : Laurent Mauvignier
Scénographie : Eric Ruf
Scénographie : Eric Ruf
Mise en scène
Denis Podalydès, sociétaire de la Comédie Française
Avec
Cécile Brune, Julien Campani, Philippe Duclos, Francis Leplay, Louise Menu, Dominique Parent, Laurent Podalydès, Mélodie Richard, Nadia Strancar, Bernard Vallery, Geert van Herwijnen, Thibaut Vinçon
Notre recommandation
5/5
Infos & réservation
Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis boulevard de La Chapelle
75010
Paris
01 46 07 34 50
Du jeudi 12 au samedi 29 janvier 2023 – du mardi au samedi à 20h – matinées le dimanche à 16h.
Puis Théâtre de Lyon – Les Célestins – du 8 au 18 mars 2023
Maison de la Culture – Nevers, le 24 mars
Scène Nationale d’Albi les 28 et 29 mars
Le Parvis de Tarbes les 2 et 3 avril - Théâtre de Caen, les 6 et 7 avril
Théâtre Saint-Louis de Pau les 25 et 26 avril
Retrouver également les chroniques Toujours à l'affiche dans cette même rubrique
Thème
- Nous sommes dans une petite ville de Russie, sur les bords de la Volga. Le fleuve est immense, énorme, puissant. Son spectacle émerveille le vieux philosophe Kouliguine, qui campe le décor dès le premier tableau et nous accompagnera tout au long de cette saga familiale.
- Kouliguine apporte un peu de lumière de sagesse et de bienveillance au milieu de cette noirceur absolue dans lequel évoluent des personnages errants et désemparés, odieux ou misérables, coléreux ou résignés, dominés par des sentiments exacerbés et souvent sous l’emprise d’un alcool ravageur.
- On est loin de Moscou, loin du centre, de sa vie intellectuelle et artistique, de la vie tout court. Le système social est figé, dominé par les marchands, par une bourgeoisie industrielle et commerçante souvent issue du servage. Tous les pouvoirs économiques, administratifs et policiers sont concentrés et aux mains d’une petite minorité de nantis dominateurs. L’alcool, la religion, les traditions ancestrales, l’ignorance dominent.
- Tout est figé, mais l’orage gronde et va bientôt éclater sur terre comme dans le ciel. Un déluge d’une pluie assourdissante va déferler sur cette petite communauté aux abois. Le bruit de tonnerre est effrayant. Les personnages s’entre-déchirent, la peur qui s’installe entre eux les étreint en permanence. Le désespoir fait son œuvre, la mort rode.
- En réalité, l’intrigue est simple et classique, mais le drame qui se noue est poussé à son paroxysme. Dans ce monde patriarcal et puritain, la jeune Katerina est mariée au méchant Thikone qui la terrorise, lui-même encouragé par sa despotique mère, la terrifiante Kabanova. Katerina résiste tant qu’elle peut mais, malheureuse et poussée par sa belle-sœur, elle finit par succomber au charme d’un jeune homme assez inconsistant mais charmant, qui se trouve être le protégé d’ailleurs du beau-père de Katerina. • Le drame intervient au moment où les jeunes gens se jettent dans les bras de l’amour, car Thikone débarque soudainement revenant d’un voyage écourté. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre, l’opprobre est général. Kabanova reprend les rênes et instruit le procès, la jeune femme avoue, honteuse et désespérée. La nuit tombe, plus noire que jamais, la Volga n’est pas loin, cette nuit sera fatale. Katarina va sombrer, dans la folie d’abord.
- Le mari sera pris de remords, mais trop tard. Telle est la conclusion humaniste du philosophe.
Points forts
- Une distribution époustouflante. En premier lieu, la féroce Tamara Kabanova, interprétée par Nada Strancar, impressionnante de présence, de précision, de brio et de… méchanceté. On ne peut guère faire mieux dans ce rôle de marâtre. Katerina, jouée par Mélodie Richard, est très émouvante avec ses yeux mouillés de larmes, tour à tour sensible et espiègle, toujours imprévisible. Elle confère au personnage de l’héroïne adultère une dimension de tragédienne grecque. Le duo qu’elle forme avec sa belle-sœur et complice Varvara apporte de la lumière, de la gaieté, une parenthèse d’insouciance dans ce monde d’une noirceur fatale. Autre personnage-clé le mari, joué par Thibault Vinçon, un être complexe et étrange, car il mêle la grande brutalité d’une personne frustre avec une certaine sensibilité, qu’il manifeste notamment lorsqu’il se penche sur le visage de son épouse morte dans son linceul, esquissant une caresse. Mais peut être au-dessus de tous, saluons le personnage du vieux sage chrétien interprété par Philippe Duclos, à qui revient le mot de la fin.
- La scénographie spectaculaire et sobre à la fois, œuvre d’Éric Ruf, sert admirablement bien les scènes de rencontre et de séduction dans la nuit entre les jeunes gens au son de jolies mélopées à la guitare et, dans un autre registre, les effets d’orage. La présence impressionnante de la Volga elle-même grâce à une photo panoramique en fond de scène dont une petite partie va s’entre-ouvrir vers les profondeurs par un effet vidéo élégant.
Quelques réserves
- Peu de réserves, à proprement parler, en dehors d’un peu de longueur au milieu de la pièce, comme un temps suspendu avant un rebond salvateur. Un peu plus de concision et de rapidité dans les enchaînements serait bienvenu à certains moments dans cette pièce qui dure quand même deux heures et demie. Mais à aucun moment l’ennui ne nous gagne.
- Comme parfois aux Bouffes du Nord, la sonorisation pose problème, notamment lors des dialogues avec Katerina. Dommage, car nous étions suspendu à ses lèvres !
Encore un mot...
- La mise en scène et cette adaptation de L’Orage illustrent ou tentent d’illustrer le passage entre le monde d’avant - la Russie des tsars et des moujiks - et celui, contemporain, des oligarques d’une Russie soviétique remise au gout du jour. Ils ont en commun la dictature et le despotisme, les excès en tous genres et un mercantilisme brutal, la tradition et l’asservissement, le tout agrémenté d’une certaine poésie.
- La pièce a été écrite par Alexandre Ostrovski en 1854, mais si Denis Podalydès dit avoir voulu la transposer dans les années 1990, cela ne saute pas aux yeux, et l’on a un peu de mal à le suivre sur ce terrain-là. Reste que cet Orage forme une œuvre magnifique, qui offre des rôles féminins de premier plan. A voir absolument donc.
Une phrase
Kouliguine : « Enfin voyons, de quoi avez-vous peur, dites le moi, par pitié. Alors que le plus petit brin d’herbe, la moindre fleur sont en liesse, nous autres, nous nous cachons craignant je ne sais quelle calamité. L’orage va tuer ?...Non, l’orage n’est pas une menace, c’est un bienfait du ciel. Ah ! Pauvre peuple, moi je n’ai pas peur… »
L'auteur
- Alexandre Nicolaïevich Ostrovski, né en mars1823 et mort en juin 1886, est considéré comme le fondateur du théâtre russe. Il a écrit plus de cinquante pièces. Rejetant les excès en tout genre, le drame et le sensationnel, il s’est attaché à décrire, dit-on, des gens ordinaires dans des situations ordinaires. Il aimait, malgré tout, observer et décrire le déchainement de leur passion. Il était contemporain de l’autre décrypteur de l’âme russe, Ivan Tourgueniev, sans doute plus connu ici parce qu’il vécut un temps en France à Bougival, sur les bords de Seine.
- La Forêt, première pièce d’Alexandre Ostrovski, décrivant une faillite frauduleuse, fut interdite par Nicolas Ier, et lui valut la vindicte de ses contemporains, commerçants et hommes de loi. Sa douzième œuvre, L’Orage, remporta un triomphe, et jusqu’à sa mort, Ostrovski vécut entouré de la plus haute considération, remportant prix et récompenses.
- La Forêt fut porté à l’écran, en 2014 par Arnaud Despléchin avec des acteurs du “Français“. La dernière pièce d’Alexandre Ostrovski, donnée en 1883, s’intitulait Le Bel Homme.
Ajouter un commentaire