L’occupation
Musique originale de Christophe « Disc » Minck
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Thème
"L’Occupation" est un court roman publié en 2002 chez Gallimard. Annie Ernaux y dresse dans son style épuré et puissant le portrait d’une femme de 40 ans, à travers un épisode de sa vie amoureuse. Après s’être séparée de l’homme qui occupait sa vie depuis 6 ans, elle apprend que celui-ci vient d’emménager avec une autre femme, dont il ne veut pas lui révéler l’identité. Tout connaître de sa « remplaçante » devient alors une obsession et fait naître une jalousie féroce, irraisonnée, qui occupe ses jours et envahit ses nuits.
Points forts
1/ Le texte est dans sa quasi intégralité celui du roman de 2002, seul un court passage a été enlevé; mais il n’a pas été modifié. On y retrouve talent d’Annie Ernaux, de puiser dans sa vie des éléments d’autobiographie, puis de transformer le personnel en universel. Son récit est tour à tour d’une grande crudité, à la lisière du fantasme ou attentif aux petits détails du quotidien. Au-delà d’une description « clinique » de la jalousie, c’est le portrait d’une femme contemporaine, qui se débat pour ne pas perdre pied.
2/ Romane Bohringer est seule en scène mais se l’approprie comme un terrain de jeu. « Désirée » par son metteur en scène qui a monté le projet autour d’elle, elle trouve la bonne distance pour poser des larmes sur sa douleur, de la violence sur sa fureur et de la poésie sur son désarroi.
Elle dit de « son » auteur : « Je vous aime trop. Sans vous connaître. Je suis trop impressionnée par votre humanité, par votre esprit. Par votre intelligence. Par votre écriture flamboyante qui dit « Je » mais qui parle de nous tous ».
3/ Romane Bohringer n’est pas exactement seule en scène. Elle la partage avec un musicien entouré d’une batterie d’instruments et avec un écran.
La musique a été conçue pour être une vraie partenaire du texte et du jeu : elle l’accompagne, comme une musique de film, dessinant une ambiance, relevant une phrase ou se fondant dans le monologue de Romane.
Loin des usages jusqu’auboutistes, exagérés, de la vidéo qui a envahi les scènes de théâtre, l’usage de l’image est ici parcimonieux, au meilleur sens du terme. En contrepoint de la musique, elle illustre le texte avec grâce et légèreté.
Quelques réserves
1h05, c’est court. Mais d’une grande intensité, on n’en fera pas le reproche à l’auteur …
Encore un mot...
Il faut lire Annie Ernaux, ou l’entendre, tant l’interprétation et la mise en scène évitent l’écueil d’une littérature théâtralisée qui rendrait le texte fade et artificiel. L’interprétation de Romane Bohringer et la scénographie de Pierre Pradinas en font au contraire un vrai spectacle de théâtre total, vivant et intense.
Une phrase
Ainsi commence la pièce : « J'avais quitté W. Quelques mois après, il m'a annoncé qu'il allait vivre avec une femme, dont il a refusé de me dire le nom. À partir de ce moment, je suis tombée dans la jalousie. L'image et l'existence de l'autre femme n'ont cessé de m'obséder, comme si elle était entrée en moi. C'est cette occupation que je décris ».
L'auteur
Annie Ernaux est une autrice à part (elle tient à ce féminin). Autrice, donc, d’une quinzaine de livres en un peu plus de 30 ans, elle livre au compte-goutte les épisodes marquants de sa vie, sous une forme romanesque, se servant d’un matériau autobiographique comme terrain de questionnement social.
Son oeuvre, qualifiée d’auto-socio-biographique, se caractérise par son style épuré où chaque mot est choisi, pesé, au service de récits courts, compacts, qui ne s’éloignent jamais de leurs sujets mais le creusent, le tordent, l’auscultent jusqu’à en extirper la complexité, sans retenue ni pudeur.
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