L'Interlope
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Thème
Une évocation de ces cabarets de l'entre-deux guerres où homosexuels et lesbiennes pouvaient exprimer sans réserves leur marginalité "interlope".
Points forts
- Une très astucieuse utilisation de la loge comme élément essentiel de décor, dans la première partie.La loge, instrument de passage, quasi sacré pour le comédien,de sa réalité individuelle au personnage qu'il va incarner, mais aussi lieu de réflexion et de dialogue où tout peut être évoqué, joies, souffrances, petites ficelles du métier, embrouilles, querelles d'ego.
D'entrée de jeu, l'intonation de Michel Favory, dans les premières phrases qu'il prononce, donne à penser que même si le spectateur est invité à une partie de plaisir, si j'ose dire, le propos est, pour l'essentiel, grave.
- Car, effectivement, on s'amuse, on rit souvent, mais derrière tout cela il y a l'évocation intelligente, profonde, sensible de tout ce que la vie de ces artistes homosexuels avait de sombre, voir de pathétique.
- La liberté de ton de la Deuxième partie du spectacle, la Revue, à travers laquelle les artistes s'adressent très directement au public, suscitant une véritable complicité avec les spectateurs.
- Toute la troupe- ils méritent d'être cités une deuxième fois: Véronique Vella, Michel Favory, Serge Bagdessarian, Benjamin Lavernhe- est remarquable.
- Question répertoire, la chanson qui m'a personnellement le plus touché est celle de Suzy Solidor, "Ouvre", superbe évocation de la découvert du corps de la femme par une autre femme, et que Véronique Vella interprète avec autant de mesure que d'intensité.
- Sur un autre registre, musical celui-là, j'ai été particulièrement sensible à trois très bons moments de swing: swing rapide avec "Cherchez la femme" et "Je ne suis pas ce que l'on pense"; swing lent, avec un admirable détournement musical de l'illustrissime "Avoir un bon copain".
- Dernier point fort, la modestie, la prudence et l'habileté de la Comédie-Française, qui s'est adressée au Moulin Rouge, temple féérique de la plume et du strass, pour les costumes et les accessoires.
Une collaboration qui permet à ce spectacle de donner au déguisement et au travestissement une dimension créative exceptionnelle.
Quelques réserves
Le choix de certaines mélodies, en elles-mêmes ou dans la manière de les interpréter, très intello, très France-Culture...
Résultat, malgré la qualité des textes- je pense à l'admirable poème de Jean Genet, "Le condamné à mort", on s'ennuie parfois.
Et, tel qu'il est, ce spectacle pourrait être raccourci d'1/4 d'heure.
Encore un mot...
- Ici, donc, pas de plaidoyer victimaliste pour défendre l'homosexualité, mais un partage de vie, autrement plus porteur, plus efficace.
Ce spectacle rend particulièrement sensible le contraste vécu à cette époque entre une vie sociale où l'homosexualité n'avait pas bonne presse et ces spectacles où tout un monde "interlope" trouvait à s'exprimer avec une liberté d'autant plus provocante que ces moments étaient perçus comme des parenthèses sévèrement contingentées.
On comprend là à quel point, en 80-100 ans, notre société a changé...
J'avoue avoir découvert avec surprise mais intérêt que l'expression artistique des lesbiennes était, à cette époque de l'entre-deux guerres, le plus souvent, d'un niveau très exigeant alors que celui des homosexuels s'enlisait parfois dans la grivoiserie, la gauloiserie et la trivialité.
- L'attention profonde que ce spectacle suscite nous laisse, à la sortie, avec cette grande question: pourquoi sommes-nous si souvent fascinés par les transformistes?
J'avoue que je n'ai pas trouvé vraiment la réponse.Je vous laisse le soin d'y réfléchir...
Une phrase
- Axel, la femme lesbienne, racontant son premier amour avec une autre femme: "Je suis tombée amoureuse, infiniment amoureuse, pour la première fois.Son corps, ses gestes, son sourire, sa douceur. Tout était nouveau, révélé, cohérent.Une pièce de puzzle qui trouve enfin sa place".
- Un des artistes: "Quand on est comme moi, on peut se dire qu'on n'est pas vraiment majoritaire..."
- Un extrait du poème de Jean Genet, "Le condamné à mort", évoquant "...un assassin si beau qui fait pâlir le jour".
L'auteur
Ce spectacle, conçu et mis en scène par Serge Bagdassarian, prend place dans une remarquable série-cabaret réalisée par la troupe de la Comédie-Française; évocations, entre autres, de Vian, Brassens, Ferré et Barbara; sans oublier, un peu en marge de cela, un spectacle qui a constitué, à mon avis, un petit chef d'oeuvre, celui consacré à Bob Dylan.
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