Les soeurs Hilton
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Thème
Tout le monde, ou presque, connaît l’histoire, les pérégrinations folles, et la destinée émouvantes des sœurs Hilton. Nous découvrirons Daisy et Violet dès leur naissance, lorsqu’elles poussent des cris et leurs premiers vagissements dans la salle d’accouchement, cachées derrière un simple drap blanc. • Elles sont mises au monde par celle qui deviendra leur mère adoptive, Mary Hilton. Elles ne se quitteront plus, et nous ne quitterons plus les petites sœurs siamoises, plongées petit à petit dans ce nouvel univers qui prend alors son essor : le spectacle de cirque, du cabaret et de la comédie musicale, au gré des numéros organisés par leur mère adoptive à des fins mercantiles.
Elles sont très jolies et très mignonnes avec leurs petits catogans et leurs robes à fleurs. On va découvrir aussi qu’elles savent joliment chanter et danser, sans se quitter, naturellement. Elles ont eu un succès fou, d’abord dans des cirques itinérants en Angleterre vers 1910, puis sur les scènes de Broadway, avant que Ted Browning ne les fasse tourner dans son célèbre film Freaks. De bêtes de foire et de « monstres de la nature », leur statut va évoluer très vite vers celui de véritables stars.
Plus de 60 ans de la vie commune - et non commune à la fois - des sœurs Hilton vont nous être présentés, en couleurs, en rythme, en gaieté, en aventures de toutes sortes, et mêmes amoureuses. Les rencontres prometteuses surviennent, les amitiés se nouent. Les drames ne sont pas absents, les déceptions non plus. Tout a une fin, mais jusqu’au dernier moment, les petites sœurs devenues grandes ne seront jamais seules.
Avant le tombé final du rideau rouge, et pendant plus d’une heure trente, le talent et l’imagination de Christian Hecq et de Valérie Lesort nous font voyager, sous les lumières de cirque ou de cabaret, introduites par deux Messieurs Loyal - frère jumeaux également - qui installent le thème du double tout au long du spectacle : théâtre d’ombres, objets animés, strip-tease « seniors », numéros de magie, lanceur de couteaux, homme tronc, clowneries diverses, pétomane, tout s’enchaine, se mélange et nous transporte dans un univers réjouissant, hélas un peu oublié.
Points forts
La mise en scène est endiablée et précise, renforcée par un stylisme d’enfer et une chorégraphie enthousiaste, sous des effets de lumière magiques.
L’interprétation : le charme de l’une n’a d’égal que la séduction de l’autre. Valérie Lesort et son inséparable Céline Milliat Baumgartner forment un duo unique dans son genre.
Le numéro de duettiste entre Christian Hecq, véritable clown-acteur - il joue aussi une Mary Hilton accoucheuse inénarrable dans un grotesque volontaire - et Yann Frisch, le clown magicien, qui entretient la confusion est très drôle.
Un beau message subliminal au monde du Handicap, car Valérie Lesort et Céline Milliat-Baumgartner ne sont pas les monstres attendus : elles jouent sur un autre registre subtil et sensible, celui des petites filles, et plus tard, adultes, elles vont pouvoir vivre normalement grâce aux artifices du cinéma, du cirque et du théâtre.
Toutes deux rêvent d’un monde normal, d’être amoureuses, de se marier, d’avoir une vie de femmes. La question de la “monstruosité“ ne se pose pas, sauf celui du « deux en un », indissociable mais associé. Mais après, lorsque, ni le statut de monstre ni celui de star ne feront plus recette, elles seront renvoyées à la dure réalité de la vie : caissière de supermarché ou vendeuse de sandwiches, elles ne se plaindront jamais…
Quelques réserves
Plus dure sera la chute. Les notes finales sont émouvantes, certes, mais autant l’adieu à la vie des deux inséparables est serein, digne et bouleversant à la fois, autant la chute des deux messieurs Loyal, partenaires ou amoureux déçus, de retour dans la “monstruosité“, apportent au tableau une ombre néfaste et désagréable. Il y a peut- être autre chose que l’alcoolisme pour démontrer la déshérence et la déchéance. C’est la scène de trop sans doute.
Le mieux est (peut-être ici) l’ennemi du bien. La répétition à l’envie des trucages, maquillages, postiches et autres tours de magie au fur et à mesure du déroulement de l’histoire font sans doute perdre au spectacle sa fraicheur, sa spontanéité et son inventivité, mais même ceux qui ont eu la chance d’apprécier l’œuvre de Christian Hecq et de Valérie Lesort précédemment en redemandent.
Encore un mot...
Tout ceci fut vrai et plus encore. Si nos sœurs siamoises ont pu avoir pendant quelques années une vraie vie au début du siècle dernier, c’est parce qu’elles firent la connaissance du célèbre magicien Houdini. Ce roi de l’évasion est devenu leur grand ami et leur apprit à se séparer mentalement, préfigurant le personnage actuellement à la mode du “mentalist“. La méthode leur permit d’obtenir des rares moments d’intimité, par exemple lors d’ébats amoureux.
Encore plus éloquent peut-être, soudées littéralement par le bas de leur colonne vertébrale, elles deviennent partenaires de Bob Hope, jeune acteur débutant qui deviendra plus tard une star hollywoodienne.
Véritables poules aux œufs d’or pour la famille Myers, elles lui rapportèrent beaucoup d’argent qu’elles ne virent jamais. Vers 1930, à l’aube du cinéma parlant et musical (The Jazz singer), leur étoile pâlit. Malgré deux films (La monstrueuse parade, L’amour parmi les monstres), elles vieilliront très pauvres et nous quitteront à soixante ans dans un dénuement complet, à trois jours d’intervalle, atteintes par la grippe de Hong Kong.
Une phrase
« Le monstre nous fascine, nous effraie, nous touche, nous dégoûte, nous fait rire puis nous rend honteux d’avoir ri. Il n’a parfois plus rien à perdre, libéré du regard de l’autre, au-dessus des conventions sociales, il nous arrive même de l’envier. » [Valérie Lesort]
L'auteur
Valérie Lesort débute par un programme court pour Canal +, puis en 2016, elle signe la mise en scène et l’adaptation de 20 000 lieues sous les mers à la Comédie Française, obtenant pour l’occasion le Molière de la création visuelle et le prix de la Critique. En collaboration avec Christian Hecq, elle poursuit avec la mise en scène de La Mouche, une pièce qui remporte trois Molières. V. Lesort poursuit avec Le Bourgeois Gentilhomme pour la Comédie Française, toujours avec Chr. Hecq ; là encore, trois Molières ! Valérie Lesort est chevalier de la Légion d’honneur.
- Metteur en scène et interprète, Christian Hecq entre dès 2008 à la Comédie Française. Sociétaire en 2013, il reçoit le Molière du meilleur comédien (théâtre public) pour Le Fil à la patte, puis le prix de la mise en scène pour Le voyage de Gulliver en 2022. Hecq a beaucoup tourné au cinéma, avec Albert Dupontel et Danièle Thompson. A l’Opéra Comique, il a mis en scène avec Valérie Lesort Le Domino Noir et Ercole Amante, récompensés par le Grand prix de la Critique.
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