Les Personnages de la pensée
Pour en « finir avec la communication »
De
Valère Novarina
Peinture : Valère Novarina
Mise en scène
Valère Novarina
Avec
Valentine Catzéflis, Aurélien Fayet, Manuel Le Lièvre, Sylvain Levitte, Liza Alegria Ndikita, Claire Sermonne, Agnès Sourdillon,Nicolas Struve, René Turquois, Valérie Vinci et les musiciens Mathias Lévy et Christian Paccoud
Notre recommandation
4/5
Infos & réservation
Théâtre La Colline
15 Rue Malte-Brun
75020
Paris
01 44 62 52 52
Jusqu’au 26 novembre. Du mardi au samedi à 19h30 et dimanche à 15h30.
Tournée : du 23 au 27 janvier 2024 au Théâtre national Populaire, Villeurbanne Le 30 janvier 2024 à la Maison des Arts du Léman, Thonon-Evian-Publier
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Thème
- Une femme seule d’abord, hiératique dans sa robe de velours noire et sa collerette d’un autre âge, puis des gens sur un grand plateau gris barré par deux écrans blancs sur lesquels sont projetées des peintures en train de se faire.
- Les répliques fusent au risque d’une hilarante glossolalie. Les mots, inventés, rythmés, balancés, chantés s’échangent ou se téléscopent, rebondissent, se chevauchent. Les images se déploient portées par des corps qui semblent sortir des peintures occupant le fond de la scène et qui plus que des personnages sont peut-être des signes ou des thèmes, bref des personnages de la pensée.
- Il est question de mots, de la possibilité de « rétablir entre les choses et les mots un pacte de réalité », du temps, de la mort, d’animaux, de “Transfongiens“ et de “Viviards Meursatiles“, de production et de marketing, de théorie du bocal et du yaourt et sa date limite, des 652 premières pages d’un roman tout entier tissé de répliques décousues, du mystère de ce qui circule entre les êtres avec les mots ou malgré eux et parfois contre eux.
Points forts
- Comme souvent, Valère Novarina nous convie à une expérience théâtrale exigeante et jubilatoire, dans le tourbillon, la fluidité et la discontinuité de la parole, la mélodie des mots et la diversité des corps et des gestes. « Les langues sont des rivières », le langage est une matière dit Novarina qui peint aussi cette matière. Ses toiles de grands formats, très colorées font partie du tableau d’ensemble et, comme dans sa langue, leurs éléments se percutent et se mélangent produisant et accompagnant l’harmonieuse cacophonie.
- Deux grands écrans progressivement noircis par un dessin-raturage, des peintures, une mobylette, une fontaine de sang, une maison boite, des cadres en bois, ce fouillis savant et épuré circonscrit le périmètre de ce cube blanc qu’est la scène. Dans leurs costumes à la fois foutraques et sophistiqués (tenue de sportive, bleu de travail, pantalon de pêcheur, fourreau en velours, robe courte en lamé éteint) et avec une énergie folle, des tombereaux de fantaisie et beaucoup d’espièglerie et de malice les comédiens dessinent dans l’espace un univers résolument à part mais qui résonne comme un écho du nôtre, en plus drôle. Quel est le vrai ?
- Performance des comédiens, avec mention spéciale à Sylvain Levitte pour la fluidité de son monologue de l’infini romancier, la pétulante Valérie Vinci et les étonnants René Turquois, Nicolas Struve et Manuel Lelièvre.
Quelques réserves
- Des longueurs, particulièrement - mais cela tient davantage sans doute au texte et à la scénographie qu’à la comédienne - quand la maîtresse de cérémonie occupe seule la scène. Le texte profus et baroque de Valère Novarina est assez vertigineux pour ne pas être présenté in extenso.
- Sans doute pourrait-on en dire autant du reste de la scène transformée excessivement en espace d’exposition.
Encore un mot...
- Cette exploration gesticulée et chantée du langage et de la “communication“, cette réflexion sur le drame qu’est le langage relève du spectacle total. La théâtralité et le chant rendent aux mots leur feu et leur chair. La peinture en action, le déplacement des grandes toiles sur la scène font participer l’art pictural au processus même de la pensée qui survient ici dans le flux de la respiration.
- Alors, la langue s’entend autrement, les mots sonnent plus pleinement. On ne comprend pas tout, peut-être même pas grand-chose, mais qu’importe. N’est-ce pas là toute la mission du théâtre quand il se fait “art brut“ ?
Une phrase
- « Quand tu comptes tu remontes du temps, tu croises les chiffres en traversant ! Les chiffres nous protègent de l’effrayante vie : merci les chiffres ! »
- « Dans notre langue – si tu veux bien, comme les Latins, ne pas distinguer le u du v-, il y a une anagramme du mot DIEU, c’est le mot VIDE. Dans toutes nos phrases Dieu est un vide, un mot en silence, un trou d’air, un appel qui permet à l’esprit de retrouver souffle et mouvement. "
L'auteur
- Essayiste, écrivain et peintre originaire du Valais, Valère Novarina, est entré au répertoire de la Comédie française en 2006, avec L'Espace furieux. Jean-Luc Godard et Christine Pascal ont utilisé certains de ses textes pour leurs films.
- Habitué du festival d’Avignon où il est régulièrement invité, il collabore avec le Théâtre de la Colline où il a donné six spectacles depuis plus de vingt ans. Si l’Académie française lui a préféré le sage médiéviste Michel Zink en 2017 pour occuper le fauteuil de René Girard, nul doute que son succès public dépasse et de loin l’espace de la Coupole.
Commentaires
Une "pièce", si l'on peut encore la nommer ainsi, époustouflante ! Comment nommer l'expérience que nous fait faire Valère Novarina ? Les mots manquent précisément pour le faire, mais on sort réjoui (j'ai rarement tant ri) et abasourdi comme un enfant qui ne sait pas exactement "expliquer" pourquoi il a ri mais qui sait que c'était d'un drôle sans pareil. Si l'on est un peu plus adulte, on voit aussi que c'était d'une profondeur inouïe. D'un drôle et d'un génie incontestable ! Les personnages de la pensée et les mots de Novarina sont moins "en quête d'auteur" qu'en quête de sens, d'un sens qui se défait, se brise sur les limites du langage, détourne les slogans pour en montrer l'absurdité, les revendications et les réponses qu'on y fait pour en montrer l'impuissance. C'est une parole brisée au sein de laquelle se récapitule tout le théâtre antérieur. C'est farcesque comme du Molière, absurde comme du Ionesco à la puissance 25 000, profond comme du Kierkegaard, ou du Maître Eckhart. Novarina nous convie à une expérience poétique, spirituelle, et de pensée de haute volée !! Novarina n'a pas été admis sous la coupole ! Dommage pour elle !
Vertigineux
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