Les idoles

Tombeau aux limites du « versatile »
De
Christophe Honoré
Mise en scène
Christophe Honoré
Avec
Harrison Arévalo, Jean-Charles Clichet, Marina Foïs, Julien Honoré, Paul Kircher, Marlène Saldana
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Théâtre de la Porte Saint-Martin
18, bld St-Martin
75010
Paris
01 42 08 00 32
Jusqu'au 6 avril. Du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 20h30, le dimanche à 15h.

Thème

  • Dans un décor tout en béton et poutres d’acier, avec en fond de plateau un arrêt de bus (ayant sans doute La mort pour terminus) - l’ensemble évoquant un de ces « lieux de drague homo » comme il y en avait dans le Paris des années SIDA - diverses célébrités nous reviennent : le critique de cinéma Serge Daney, les dramaturges Bernard-Marie Koltès et J.Luc Lagarce, les cinéastes Jacques Demy et Cyril Collard, et l’écrivain Hervé Guibert. 

  • Tous fauchés par le « cancer gay », ils furent les « idoles » de Christophe Honoré, ce jeune homme qui débarqua de sa Bretagne natale en 1993 et fut saisi, du côté de Beaubourg, par une représentation de danse donnée en l’honneur du chorégraphe Dominique Bagouet, victime du SIDA.

  • Le dramaturge rend vie et la parole à ces personnages, qui expriment chacun leur relation à la maladie et par là, à la vie qui les quitte et à la mort qui s’annonce. 

  • La pièce est découpée en diverses séquences - « Strange days », « Mon sida », « Michel Foucault », « Nos corps », « Jour d’été », etc.. - indiquées sur un écran de télévision suspendu sur le côté de la scène. 

Points forts

  • Des comédiens tirent leur épingle du jeu,  tels Julien Honoré (frère de Christophe) en Lagarce, Harrison Arévalo qui campe un Cyril Collard éruptif et plein de vie, ou encore Marina Foïs, crédible en Hervé Guibert, dans un monologue déchirant sur l’agonie de Michel Foucault. 

  • Le spectacle questionne – de manière parfois vertigineuse - l’attitude d’artistes-créateurs en quête de vérité, revendiquant franchise et sincérité, et brutalement confrontés à la révélation problématique du mal qui les touche : 

    • faut-il, comme Rock Hudson (décédé en 1985) se taire par crainte d’une fin précipitée de leur carrière ?

    • peut-on instrumenter la maladie a des fins artistiques et porter son Sida en bandoulière ?

    • quelle solidarité avec les victimes du virus ? Au début, rares furent les personnalités aussi courageuses que Liz Taylor aux Etats-Unis ou Line Renaud en France, qui s’engagèrent sans réserve au prix de leur carrière ou de leur image, alors qu’un vent de panique soufflait sur les scènes et les lieux de tournage.

Quelques réserves

Ces Idoles suscitent des impressions partagées. On ne peut nier ses qualités, mais pour autant, il est affecté de réelles faiblesses, et ce n’est manquer de respect ni à la cause ni à ses prestigieux et défunts protagonistes que de les évoquer. 

  • Le spectacle dure un peu plus de deux heures, ce qui n’est pas critiquable en soi, sauf quand des longueurs viennent couper le rythme d’un récit à flux tendu :

    • la lourde séquence avec support vidéo (passage obligé) de la drague imaginaire entre John Travolta-Koltès et Daney veut introduire une note comique qui tombe un peu à plat ;

    • il en va de même quand le petit groupe glose à l’envi sur le sens du mot « versatile », ou entreprend de composer le personnage d’une sorte d’amant idéal, « Bambi-Love », occasionnant des échanges qui provoquent des rires assez forcés.

  • Ces moments, plus d’autres - Koltès et Collard s’en vont dans un backroom – ramènent souvent à un regard qui, en dépit de la sincérité et de l’empathie de Christophe Honoré envers cette communauté, saisit et enferme le « milieu gay » dans une sexualité débridée, imprudente et compulsive. Bien des homophobes s’empareront pour stigmatiser une communauté considérée comme inconséquente et irresponsable devant la diffusion du virus. De la même manière, la tirade extraite de Guibert, dans ses attaques assez virulentes contre le personnel hospitalier, méritait un traitement plus subtil : à l’époque où l’on savait peu sur ce virus, les précautions drastiques prises par ledit personnel - lui-même exposé (et payé des queues de cerise pour l’être) - afin d’écarter tout risque envers des malades quasi-dépourvus de défense immunitaire n’avaient rien d’inhumain, bien au contraire. 

  • Une assez lourde comparaison entre Sida et xénophobie, dont l’écrivain Renaud Camus, admiré jadis par Jean-Luc Lagarce, fait les frais. On en reste au topos de la « peste brune », de la « fécondité du ventre de la bête », ce qui est un peu court – mais bien pratique - pour expliquer le revirement et le phénomène. 

  • Il y a des choix d’interprètes un peu curieux : que Marina Foïs incarne Hervé Guibert (avec un talent certain : voir plus haut), passe encore ; mais quel besoin de camper Jacques Demy en opulente jeune femme nue sous sa fourrure, s’activant tantôt à préparer des crêpes, tantôt à produire une (médiocre) séquence de claquettes ? On se perd alors en conjectures : s’agit-il d’un clin d’œil à « Lulu la Nantaise » (chère aux Tontons flingueurs de Jacques Audiard), qui partage avec Demy sa ville d’origine. 

Encore un mot...

  • Quelle peut être en effet la responsabilité de « l’homo artiste sidaïque » par rapport à l’aveu ? Le spectacle a l’intelligence, l’honnêteté et la lucidité de présenter via chaque personnage une variante de la réponse pouvant être apportée à cette question.

  • Les Idoles n’en reste pas moins un spectacle ambivalent, parfois profond, d’autres fois complaisant et agaçant, comme c’est souvent le cas quand l’entre-soi s’invite.

Une phrase

  • Quelques formules dramatiquement percutantes : 

    • « Par qui sommes-nous souvenus ? »

    • « Hein, vous êtes de la promo Freddie Mercury ? »

  • Serge Daney : « La première fois que j’ai entendu parler du Sida, j’ai su que c’était pour moi… »

  • « Je n’ai plus vingt ans. Aujourd’hui, j’aimerais évoquer ces jours étranges... Comment durant quelques années, ceux que j’avais choisis comme modèles pour ma vie, mes amours, mes idées se rangèrent tous du côté de la mort. Comment le sida brûla mes idoles. Je n’ai plus vingt ans et j’aimerais faire un spectacle qui raconte le manque mais qui espère aussi transmettre. Un spectacle pour répondre à la question : comment danse-t-on après ? » (Christophe Honoré) 

L'auteur

  • Christophe Honoré est un cinéaste français né en 1970 à Carhaix. Après avoir été tour à tour critique, scénariste, écrivain, et réalisateur, il se fait remarquer en 2002 avec la sortie de son premier film, 17 Fois Cécile Cassard

  • Il écrit ensuite Ma mère (2004) et Dans Paris (2006). À travers Les Chansons d’amour (2007), il revendique l’héritage de Jacques Demy. Suivront La Belle Personne (2008), Non ma fille tu n’iras pas danser (2009), L’Homme au bain (2010), Les Bien-Aimés (2011) et Métamorphoses (2014). 

  • Au théâtre, il est d’abord auteur avec Les Débutantes (1998), Le Pire du troupeau (2001), Beautiful Guys (2004) et Dionysos impuissant, présenté en 2005 dans le cadre de la Vingt-cinquième heure au Festival d’Avignon. Il y revient en 2009 pour mettre en scène le drame romantique de Victor Hugo : Angelo, tyran de Padoue, puis en 2012 pour y créer Nouveau Roman. En 2015, il écrit et met en scène Fin de l’Histoire d’après Witold Gombrowicz. À partir de 2013, il se tourne également vers la mise en scène lyrique avec les Dialogues des Carmélites et Pelléas et Mélisande à l’Opéra de Lyon, et Cosi fan tutte en 2016 au Festival d’Aix-en-Provence. En septembre 2016, il fonde sa compagnie, Comité dans Paris

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.

Toujours à l'affiche

Théâtre
De la Servitude volontaire
De
LM Formentin (d’après le discours éponyme d’Etienne de la Boétie)