De la Servitude volontaire

Quelle bonne question !
De
LM Formentin (d’après le discours éponyme d’Etienne de la Boétie)
Mise en scène
Jacques Connort
Avec
Jean-Paul Farré
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre de l’Essaïon
6 rue Pierre au Lard
75004
Paris
Jusqu’au 27 avril 2025. Mercredi et jeudi à 19h, vendredi et samedi à 21h, dimanche à 18h.

Thème

  • Les hommes tirent si peu d’enseignement de l’histoire que la tyrannie toujours semble être le destin des peuples. Pourquoi des millions d'hommes se soumettent-ils à un seul ? Consentement ? Lâcheté ? Complicité ? Y aurait-il chez les peuples, c’est-à-dire en chacun de nous, un goût si prononcé pour le confort de chaque jour, un désir si fort de faire ses affaires grandes ou petites, une telle habituation, une telle acceptation de la tyrannie qu’il faut bien l’appeler « servitude volontaire » ?

  • Ayant traversé l’histoire, de Louis XVI à Poutine en passant par Pétain et Goebbels, un homme parle du désir de puissance et d’un pouvoir étouffant toute résistance, des mensonges d’Etat, des manipulations de masse et de l’invention d’un ennemi fantasmé qui affermit la cohésion servile. Il cite Machiavel et son Prince, égrène la litanie des grands criminels d’État, ceux qui ont pris le pouvoir ou l’ont reçu du peuple, et l’ont gardé…

  • Ainsi parlant, il nous rappelle que les tyrans ne tirent leur force que de la faiblesse de peuples qui, dressés par l’éducation et l’école, se sont habitués à obéir. Alors, si la liberté n'est pas un mot mais un acte, une prise de risque, une conquête, un jour vient où il faut répondre à la question : « aurai-je moi seul plus de force qu’un peuple entier ? »

Points forts

  • Le propos est charpenté, malin, spirituel, ironique et cynique, LM Formentin ayant conservé la substantifique moëlle de la pensée de La Boétie en y intégrant des évocations plus contemporaines. Qu’en outre il s’agisse de peuples au pluriel et non d’un introuvable peuple au singulier est d’une indiscutable force.

  • Jean-Paul Farré est un conteur vif et truculent et un pédagogue alerte, à l’aise avec une sobre scénographie baignée de lumières changeantes. Il suffit d’un fauteuil, sorte de trône parfois renversé, d’une redingote rouge très XVIIe siècle et d’un veston plus contemporain, et voilà l’homme qui sautille à pieds joints dans les flaques de l’histoire !

  • Le jeu de miroirs est astucieux : en fond de scène, un panneau réfléchissant offre aux spectateurs leur reflet à peine voilé, faisant d’eux ces peuples ainsi admonestés.

Quelques réserves

  • Il n’en demeure pas moins que le texte peut paraître un peu excessivement didactique et pas complètement adapté à une représentation qui n’est pas une conférence gesticulée et pâtit légèrement d’une sorte de pompe un peu lourde.

  • Et puis évidemment on peut s’interroger : fallait-il vraiment réactualiser le Discours de la Boétie paru en 1576, l’adapter à la fureur désastreuse de l’Histoire ? Pour quoi faire ? le rendre plus accessible ? lui donner plus de force pour affronter le temps présent ? 

Encore un mot...

  • Comme Le Discours de la servitude volontaire de la Boétie, le texte de LM Formentin pose une question simple et qui est au fondement de toute organisation et de tout contrat politique : pourquoi choisit-on d'obéir ? 

  • Aux antipodes de la philosophie politique classique, le pamphlet de La Boétie dénonçait l'absolutisme et interrogeait les rapports de domination, la légitimité de l'autorité sur la population et l’acceptation de cette soumission, toutes choses que LM Formentin reprend et actualise. La force et l’originalité de son réquisitoire tenait à cette idée centrale : c’est le peuple qui s’asservit en se soumettant. Or cette idée est lourde de conséquences. Pour se libérer, nul besoin de se battre et de se révolter, il suffit de cesser de coopérer activement, de choisir de ne plus et obéir et d'arrêter de se soumettre.

  • Comme le J’accuse de Zola et l’essai de Stéphane Hessel Indignez-vous, ce spectacle a valeur de tribune et résonne douloureusement, mais comme un appel salubre à la responsabilité de chacun.e dans l’actualité de ce début d’année 2025On comprend l’intention de l’auteur et on ne peut que saluer cette invite au réveil.

Une phrase

  • « Longtemps j’ai réprimé cette intuition troublante obsédante que toute société loi de subir la tyrannie au contraire la désire. C’est une servitude volontaire. » 

  • « Vous pouvez penser que je suis fou. Après tout je pense bien, moi que les hommes ont leur folie sinon pourquoi tant d’obstination à se choisir cm souverain les hommes les plus vils, les plus cruels, experts incontestés en matière de souffrance et d’avilissement. Naturellement, on pourrait se dire que les peuples n’ont pas de chance ou manquent de discernement si la même aventure tragique ne se répétait chaque fois avec la même ironie. »

  • « Voyez-vous le paradoxe ? Le tyran est seul. C’est lui qui est seul, il n’est qu’un un contre tous. Comment se fait-il que tous devraient se soumettre à un seul quand ce devrait être l’inverse ? »

L'auteur

  • Redécouverte par la Révolution et plus encore par le XIXe siècle, l’œuvre de La Boétie a acquis un statut d'œuvre philosophique intemporelle. Le concept de « servitude volontaire » s’est imposé comme une des questions centrales de la philosophie politique, inspirant de nombreux philosophes : Bergson, Simone Weil, Félix Guattari, Gilles Deleuze s’intéressèrent à cette pensée comme à l’une des toutes premières théories de l’aliénation, sorte d’anticipation intellectuelle de l’anarchisme et de la désobéissance civile.

  • Auteur-réalisateur de films documentaires (Jean Jaurès, vu par ses contemporains en 2015, John Arthur Geall en 2008) et de courts métrages de fictions (Les Vagues, 2018), scénariste et dramaturge, LM Formentin s’est fait une spécialité de l’actualisation et ou de l’adaptation de textes fameux. Ainsi Oblomov, d’après le roman d’Ivan Gontcharov (également au théâtre Essaïon). De la servitude volontaire a été créé à Avignon en 2023.

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