Le Tartuffe

La conjonction de tous les talents (ou presque...)
De
Molière
Mise en scène
Peter Stein
Avec
Pierre Arditi, Jacques Weber, Isabelle Gélinas, Manon Combes, Marion Malenfant, Catherine Ferran, Félicien Juttner, Loïc Mobihan, Bernard Gabay, Jean Baptiste Malartre, Luc Tremblais
Notre recommandation
5/5

Infos & réservation

Théâtre de la Porte Saint-Martin
18 Boulevard Saint Martin
75010
Paris
142080032
Du mardi au vendredi 20h - Samedi 20h30 - Dimanche 16h

Thème

Il n'a pas changé depuis les années 1650, malgré quelques alexandrins en moins, un certain rajeunissement style années 20 , un décor art déco du type paquebot, escalier monumental, coursives etc.,  jeux de lumières colorées ambiance disco (au début) ! Il s'agit de la version définitive de la pièce de Jean Baptiste Poquelin qui attendit, interdiction royalo-épiscopale oblige, cinq années avant de pouvoir être montée.

Une famille (très bourgeoise), depuis la grand mère, aïeule et veuve, gardienne du temple en religion hiératique et un rien despote et bigote, à la petite jeune fille qui fait les yeux doux à son futur fiancé, une mère assez sexy, un fils ulcéré er rebelle, un (vieux ) père, Orgon, bougon et autoritaire mais aimé et respecté ... totalement sous influence d'un faux dévot qui projette de faire main basse sur sa fortune  ; et sur son épouse Elmire. Le drame se noue . Orgon, totalement inféodé à l'usurpateur qu'il pare de toutes les qualités, veut  lui accorder la main de sa fille bien aimée, ... qui sombre alors dans le désespoir car on ne badine pas avec la volonté d'un père. Mais la famille veille, Dorine, la servante, et Elmire vont tenter une manœuvre pour déjouer la menace...

Points forts

1 L'interprétation... et l'interprétation

Celle des deux montres sacrés des planches bien sûr, mais, en fait, la bonne surprise nous vient des femmes . Il faut, en effet, saluer d'abord la prestation d'Isabelle Gélinas, dans le rôle d'Elmire, l'épouse d' Orgon, admirable de séduction et d'ambigüité, qui tient la dragée haute à un Tartuffe concupiscent tout en jouant de ses charmes sur le fil du rasoir. Et puis Manon Combes, en Dorine, la soubrette de service chère à  Molière, qui tire les ficelles avec rouerie, intelligence des âmes et des cœurs, et une conviction toute communicative.

Pierre Arditi, champion de la tartufferie, encore plus convaincant dans les mimiques et la gestuelle que dans l' exercice de l'alexandrin et dans la sortie du mouchoir pour "cacher ce (fameux) sein" qu'il feint de ne pas voir,  que dans son rôle de méchant affabulateur. Arditi est bien dans sa peau.... d' infâme manipulateur. On ne sera pas surpris par le réalisme de l'acteur, plus peut être  par sa coiffure, cheveux filasses à la Antoine (le chanteur).

Jacques Weber, quant à lui, tout au plaisir du jeu ( "Le pôvre homme" répété sur tous les registres) est aussi convaincant en maître de maison abusé qu'en époux complice du traquenard tendu à son dévot de Tartuffe.  Il est solide toujours, sanglé dans ses convictions comme dans son gilet haut boutonné, stentor souvent, émouvant parfois. Sourd et aveugle, Orgon est un époux un  petit peu moins crédible en époux enamouré tant le décalage d'âge avec Elmire est patent, son retournement un peu trop spontané et sa gesticulation sous la table un peu empruntée.

Avec Arditi et Weber les mots claquent comme la poudre. La ruse maléfique aura-t-elle raison de la candeur et des beaux sentiments ? Le duo est parfait, mais le génie, c'est encore Molière qui traverse les siècles.

2 Bienvenue à la modernité

Décor art déco, costumes Belle  Epoque façon Guitry, Molière est rajeuni, ses personnages sont presque nos contemporains... Cela est rafraichissant et permet une plus grande implication des spectateurs de la Porte St Martin que de celle des abonnés au Français par exemple. Il faut saluer le travail de Peter Stein, le metteur en scène, pour lequel il y a un Tartuffe ou un Orgon en chacun de nous : "Sans jeu de rôle, sans mensonge pour atteindre nos buts, nous ne pourrions pas vivre en société".

3 Un moment très fort : le genou d'Elmire

S'il n'y en avait qu'un ce serait certainement celui là, lorsque, joignant le geste à la parole, Tartuffe fait sa cour (très rapprochée), à Elmire qui écarte doucement une main jouant insidieusement avec les plis d'une magnifique robe rouge... cachant un genou délicat. Sublime !                             

Quelques réserves

1 Le mieux est l'ennemi du bien. Une mise en scène maitrisée certes mais trop contrôlée, trop sage peut être... Du sérieux, du grave, une construction toute germanique. On ne rit pas souvent, même si certaines scènes prêtent à sourire, on est dans la réflexion, dans le réalisme de bout en bout, au profit de la clarté du langage et de l'actualité du propos mais au détriment de l'émotion.

2 Dernier tableau, acte V. Le  roi soleil  tombant du ciel, au propre (un gigantesque soleil d'or) et au figuré. On retombe durement sur terre ; succédant à la saisie par huissier, Monsieur Loyal, rondement menée, une sorte de pantomime royale, raide comme la justice, vient nous expliquer que le roi Louis XIV ayant démasqué le faux dévot, a décidé, dans sa grande mansuétude, qu'Orgon devait rentrer dans tous ses biens et sauver son honneur. Risible et grandiloquent ! Dénouement sans doute respectueux du texte définitif et politiquement correct en 1659 mais absent de la version originelle de Molière. Le charme et la contemporanéité qui nous avaient tant séduits sont rompus. Le moins que l'on puisse dire c'est que l'unité de lieu, règle d'or gouvernant nos classiques, n'est plus ici observée. Dommage.

Encore un mot...

Pour réviser nos classiques de la plus belle manière : charme, élégance, mots d'esprit, plus la petite musique de notre belle langue française, ce Tartuffe là s'impose à nous.

Avec le duo Arditi/Weber, les vrais chefs d'œuvre ne sont pas en péril. Avec Madame Gélinas et Mademoiselle Manon Combes (en Dorine), l'avenir de la verve Moliéresque est assurée pour longtemps.

Une phrase

Le fameux dialogue:

Tartuffe : "Ah mon Dieu, avant que de parler prenez-moi ce mouchoir"                         

Dorine : "Comment" ?                                                                                                                          

Tartuffe : " Couvrez ce sein que je ne saurais voir : par de pareils objets les âmes sont blessées et cela fait venir de coupables pensées                                                                                     

Dorine :  "Vous êtes donc bien tendre à la tentation, et la chair sur vos sens fait grande impression ? (....) Je vous verrais nu du haut jusques en bas que toute votre peau ne me tenterait pas !"

L'auteur

On ne présente plus Jean Baptiste Poquelin, auto surnommé Molière. Quelques précisions ou rectifications seulement:

Né à Paris rue St Honoré en 1622, il meurt en 1673 rue de Richelieu, mais pas dans la salle éponyme du Français ni sur scène, mais dans son lit quelques heures seulement après sa quatrième représentation du "Malade imaginaire".

15 ans de galère, 15 ans de gloire, encensé alors tant par la cour que par le petit peuple, soutenu avec force livres tounois par Louis XIV dés le jeune âge du futur roi qui s'esbaudit longtemps des satires du fondateur de "l'Illustre théâtre".

En butte, sur le tard, à la vindicte ecclésiastique qui craignait la fronde janséniste et, peut être, souffrant d'une certaine panne d'inspiration ... et de reconnaissance, il dut très certainement faire appel discrètement à la plume de son vieil ami Corneille qui lui survécut 10 ans. 

Son credo : "Le devoir de la comédie est de corriger les hommes en les divertissant". A nos yeux, ses tableaux féroces des travers de la société du siècle de Louis XIV nous renseignent autant sur les mœurs et coutumes de l'époque que des témoins aussi brillants soient ils, tel Saint Simon. Molière c'est bien "ce grand peintre des hommes tels qu'ils sont" décrit par Stendhal.

Ses œuvres et ses rôles majeurs (car il était avant tout un acteur) : L'Avare , le Misanthrope, Le Bourgeois Gentilhomme, Le Tartuffe, dédié à Louis XIV, "le roi le plus glorieux de tous les rois" et, bien sûr, les Fourberies de Scapin et les Femmes Savantes, qui l'ont "lancé".

Notre langue française, c'est la sienne et notre grand théâtre, du côté du Palais Royal, c'est sa maison.

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