LE SYNDROME DE L’OISEAU
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Thème
Eve, enlevée et séquestrée depuis l’âge de dix ans par Franck, vit dans la cave qu’il lui a aménagée et dont elle ne peut s’échapper, pas plus qu’Axel, l’enfant qu’elle a eu avec son ravisseur.
Tout est clos dans cette cave, sorte de cage dont Franck est le seul à avoir le code de sortie. Il la possède, elle est à lui, il peut donner libre cours à sa volonté de puissance. Maître des horloges, Franck a détruit tous les repères temporels, et il se prétend bientôt celui des destinations, évoquant un « Eden » aux contours bien inquiétants...
Eve, de son côté, rêve de s’échapper, de voler de ses propres ailes, mais elle oscille entre velléités d’évasion, soumission, abattement et folie.
Or un événement imprévu va bouleverser ce rapport et la situation.
Points forts
Ce huis clos, inspiré par de retentissants faits divers – dont la fameuse affaire Kampusch (du nom de la jeune Natascha, enlevée à dix ans sur le chemin de l’école et séquestrée durant huit années) - est remarquablement écrit et composé.
Dans cette pièce “d’atmosphère“, on assiste au déploiement d’un individu profondément pervers, usant de toutes les ressources de l’emprise et de la domination : par le langage, la menace et la force physique, l’humiliation, l’affabulation, les injonctions en tout genre, et non des moindres (« Arrête de réfléchir ! »).
Dans cette violence permanente, où l’instinct de survie le dispute à la volonté de domination, l’auteur et les deux co-metteurs en scène arrivent à instiller une poésie qui empêche la pièce de virer au sordide, et en font une fable à l’équilibre fragile.
L’interprétation habitée de Sara Giraudeau - toute en fragilité, en permanence sur le fil du rasoir - lui a valu le Molière 2023 de la meilleure comédienne. De son côté, Patrick D’Assunçao excelle à passer en un clin d’oeil du registre débonnaire à celui bien plus inquiétant du dominateur sans limite ni scrupule :
dans le premier cas, il convoque toutes les bonnes raisons du monde pour agir comme il le fait, avec la rhétorique bien rodée des persécuteurs se présentant en victimes ;
dans l’autre, Franck impose un nouveau prénom à sa jeune captive tout en exigeant qu’Eve l’appelle désormais “Adam“, et il s’accorde toutes les libertés, d’aller et venir à sa guise bien sûr, mais aussi de violer la jeune femme dans son sommeil.
- Les éclairages sont des points d’appui précieux et très bien pensés au service de ce Syndrome de l’oiseau très réussi.
Quelques réserves
On n’en aperçoit guère.
Encore un mot...
Nous sommes souvent partagés entre empathie et malaise à l’égard des personnages - un tortionnaire et sa victime, une mère aimante de l’enfant qu’elle a eu avec son bourreau-kidnappeur. Cependant, la pièce a le mérite de démonter “l’amour” dont se prévaut Franck-Adam, et qui repose sur “la confusion entre le lien amoureux et la possession, la confusion entre aimer quelqu’un et le contrôler”, comme le rappelait encore récemment l’universitaire Geneviève Sellier à propos justement de ces jeunes filles victimes de cinéastes-pygmalion (voir M Le magazine du Monde n°649, p. 32).
Cette pièce audacieuse questionne donc les dérives du rapport humain à travers une relation de couple profondément toxique, car orientée vers le “dressage“ du protagoniste.
De ce moment saisissant, on ne ressort pas indemne, mais avec la certitude qu’on ne bâtit pas un jardin d’Eden dans une cage ni en imposant de se rebaptiser “Adam“ et “Eve“, car son “Eden“ à lui, c’est son enfer à elle.
Une phrase
Franck :
- « Je ne cherche qu’à te protéger […] J’suis là et j’m’occupe de tout ! […] »
- « [hurlant] Pas de questions ! […] Je te préviens... Ne commence pas ! Tu le sais, que si tu commences, c’est moi qui termine ? Hein, tu le sais ? »
[…]
Ève : « Je voudrais en parler. S’il te plait.
Franck : Nous venons de le faire [un temps]. Oh, et puis elle est froide cette bouffe de merde ! Tu n’es même pas foutue de réussir une simple purée. [lançant l’assiette et son contenu par terre]… Tiens, démerde-toi, nettoie, et si c’est sale, tu lècheras le sol ! »
L'auteur
L’enfance de Pierre Tré-Hardy s’est déroulée en Polynésie, aux îles Marquises, où il a eu la chance de vivre chez Jacques Brel et Maddly Bamy Brel, à Hiva Oa. C’est là qu’il fait ses débuts en écriture, nourri de conversations, d’échanges, et de lectures guidées par Jacques Brel. Il partage à présent sa vie entre la Polynésie, où il vit sur un voilier, et les Alpes-Maritimes.
Depuis l’âge de vingt ans, Tré-Hardy n’écrit que pour le théâtre, qui est pour lui « le cœur vibrant de l’humanité », il reçut le soutien de Jean Anouilh qui lui écrit « Vous avez le sens du dialogue et des situations théâtrales... ».
Ses textes, joués en France et à l’étranger, ont été portés par des comédiens aussi prestigieux que Philippe Caubère, Michel Galabru, Marie-Christine Barrault, Michel Vuillermoz, Robin Renucci, Niels Arestrup, Jean-Claude Dreyfus, Sarah Biasini, Alice Belaïdi, Martin Lamotte ou Sam Karmann...
Deux nouvelles pièces de Pierre Tré-Hardy sont créées en 2020.Son œuvre est toujours traversée par les mêmes thèmes : les hommes, la vie, la mort, l’amour... « Parce qu’il n’y a que cela qui compte ! »
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