LE GRAND THEATRE DE L’EPIDEMIE
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Thème
Frappé par la présence récurrente du thème de l’épidémie dans les grands textes de théâtre à toutes les époques, Christophe Barbier a mis le confinement à profit pour écrire une chronique hebdomadaire sur le sujet, diffusée par Radio J. Dans Le Grand théâtre de l’épidémie, il développe aujourd’hui la version scénique de ce travail, avec ses comédiens, couturant ainsi ses chroniques par le biais d’un récit et jouant des extraits d’œuvres.
Points forts
Pourquoi l’épidémie revient-elle si souvent au théâtre depuis la Grèce antique ? A quoi servent ces bubons, ces microbes, ces virus dans les textes qui ont marqué la scène et la littérature ? Pas à faire parler d’eux juste pour eux-mêmes – ça, c’est ce que font aujourd’hui nos medias. Le spectacle monté par Christophe Barbier à partir d’extraits forts et éclairants s’efforce de proposer des réponses à cette question aussi littéraire que politique. Il use pour cela de sa double culture d’homme de théâtre et d’essayiste. Incarnant le narrateur, il nous guide d’extrait en extrait pour dérouler son fil rouge : au théâtre comme dans la vie, l’épidémie met l’homme à vif et à nu, elle révèle ses forces héroïques et ses faiblesses minables, le fait douter et, parfois, réfléchir.
Pour revisiter tous les grands qu’il rappelle à nous (Sophocle, Saint Augustin, Shakespeare, Molière, Claudel, Capek, Artaud, Ionesco, Camus et Copi), Christophe Barbier choisit de ne pas être sombre, en dépit du sujet et de l’actualité covid qui lui fait écho. C’est un parti pris qu’on apprécie, même s’il y en avait de plus profonds pour faire résonner ces textes exceptionnels. On doit beaucoup aux comédiens qui déploient une énergie et un humour considérables pour apporter de la joie au spectateur sur ce thème pas joyeux du tout. Ils ont un talent fou de mime, de comedia dell’ arte, de fantaisistes, et savent aussi bien sûr jouer de tous les registres. Un vrai bonheur.
Nos hommes politiques paraissent tout petits, par contraste avec les auteurs visionnaires qui sont convoqués. On rit beaucoup en écoutant, alternant avec les extraits, la reprise de discours de Didier Raoult, Agnès Buzyn, Olivier Véran, Edouard Philippe et Emmanuel Macron à peine caricaturés par les acteurs. Les grands voyants de la littérature ont parlé avant eux, dans des termes incroyablement approchants, et cela fait de nos dirigeants des balbutiants qui semblent n’avoir tiré aucune leçon de leurs propres lectures et chères études. A moins que, justement, leurs silences et leurs approximations ne soient une manière de discipliner le troupeau que nous sommes par la peur et la désinformation – comme le suggèrent aussi certaines œuvres. La question reste en suspens à la fin de la pièce…
Le spectacle est mené tambour battant, et même si, conséquemment, on n’a pas toujours le temps de savourer les extraits auxquels les comédiens donnent vie – mais plutôt l’impression, parfois, de regarder défiler un film en accéléré –, on est agréablement embarqué dans cette dynamique tourbillonnante très plaisante.
Quelques réserves
Christophe Barbier découvre un peu l’eau tiède : la métaphore de l’épidémie au théâtre, et pas seulement au théâtre, est un grand classique que les enseignants chérissent.
Il n’est pas non plus le premier à convoquer des textes majeurs sur le sujet à l’occasion d’une actualité. Par exemple, en septembre 2009, alors que la grippe A se propageait, Mathilde Gérard écrivait déjà dans le journal Le Monde un article intitulé « Epidémie et littérature, une inspiration contagieuse ». On aurait été content de voir revisiter le thème sous un autre angle.
Par ailleurs, à force de pédagogie et de volonté démonstrative, ce Grand théâtre est un peu répétitif et lourdaud. Mais le talent et la cocasserie des comédiens rattrapent vraiment tout.
Encore un mot...
On ne boude pas son plaisir devant ce spectacle très divertissant bien qu’un peu didactique qui articule textes passés et actualité du coronavirus. Le jeu des comédiens est excellent et l’ambiance est bon enfant. Atout de taille, la pièce devrait plaire aux ados comme aux adultes. Et puis, ce Grand Théâtre donne l’occasion d’entendre jouer un extrait d’un texte critique puissant : l’extraordinaire Le Théâtre et la peste du visionnaire Antonin Artaud.
Une phrase
Le narrateur : Ecoutons bien, et nous entendrons le coronavirus se réjouir comme le fait la Peste dans L’État de siège (1):
Acteur 1 : J’aime le bruit qu’on fait autour de mon nom et je sais maintenant que vous ne m’oublierez pas.
Le narrateur : Sera-t-il facile d’embrasser à nouveau, de serrer des mains, de tomber le masque, de faire confiance?[…] La réconciliation sera le véritable déconfinement.
(1) Albert Camus, L’État de siège.
L'auteur
Christophe Barbier, concilie depuis toujours ses deux passions : théâtre et politique. Directeur de la rédaction de L’Express de 2006 à 2016, il est essayiste et dramaturge, comédien et metteur en scène. Il est entouré de Sylvain Katan, comédien formé à l’Ecole nationale du Cirque d’Annie Fratellini puis chez Jean Périmony, de Pierre Val, comédien qui a travaillé sous la direction de prestigieux metteurs en scène et réalisateurs de cinéma, et de Frédéric Lecat, ancien international de rugby moins de 17 ans, formé au théâtre, comédien et intervenant en entreprise.
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