Le Gardien
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Thème
"Le Gardien", c'est la dissection des rapports très complexes entre deux frères, mis à l'épreuve par l'arrivée, dans leur vie, d'un clochard qui va se révéler raciste, vaniteux, affabulateur, exigeant, calculateur, méchant et sadique.
Variations sur les thèmes de la solitude, du pouvoir, de la violence mais, aussi, du lien viscéral qui peut exister entre les êtres. Il y a, en crapuleux, dans l'univers du "Gardien", quelque chose de ce qu'il y a, en si pitoyablement noble, dans le chef d'oeuvre de Steinbeck, "Des Souris et des Hommes".
Cette version a été créée en 2012 ; elle a obtenu un vif succès au Festival Off d'Avignon, cette année-là; puis a été reprise en 2013, à Paris, au Théâtre les Déchargeurs, avant de l'être, cette fois, dans ce minuscule et charmant théâtre de l'Aktéon.
Points forts
1. Le texte: Il y a bien quelques passages où les petits riens pintériens confinent la vacuité (au total, dix minutes, un quart d'heure peut-être), mais le reste du temps, on est saisi par le langage de la vie, un langage presque plus vrai que la vie, parce qu'aucun mot ne fait scorie. Un langage d'âme, au fond. Un travail de grand écrivain.
2. La Mise en Scène d'Anne Voutey: Tout y est: humilité dans l'approche du texte, sincérité dans la direction d'acteurs, simplicité dans le choix des décors, utilisation fulgurante des lumières et des jeux d'ombre, poésie des bandes vidéos. Avec elle, ce qu'il peut y avoir de cérébral chez Pinter s'efface devant tout ce qu'il y a d'humain: mystère, profondeur, solitude; mais aussi, élans vers l'autre et volonté de survivre.
Sans toujours comprendre pourquoi, j'ai eu plusieurs fois l'impression qu'Anne Voutey nous faisait partager quelque chose d'essentiel.
3. L'Interprétation: Dans le rôle de Davies, Jacques Roussy est fantastique de sobriété, de vérité. Patrick Alaguératéguy est bouleversant dans celui d'Aston, le frère aîné, souffrant de troubles mentaux. Et Philippe Marie, très habilement équivoque dans le personnage de Mick, le frère plus jeune, manipulateur, sujet à des accès de violence difficilement réprimés, mais également très attaché au frère qu'il cherche pourtant régulièrement à dominer.
Quelques réserves
Ces quelques "pintériades" que j'ai évoquées plus haut: très-trop longs silences, accumulation de mots qui ne servent à rien et qui traînent, redites sans portée...
Encore un mot...
1 Trois moments de grand théâtre dans ce spectacle: les cinq premières minutes-vérité, de l'arrivée du clochard; le récit par le frère aîné de l'électrochoc qu'il a subi à l'hôpital psychiatrique quand il était encore mineur; et l'escapade-video, en rollier, du plus jeune, partant- la séquence a été inventée par Anne Voutey- vers une double rencontre, qui bouclera la boucle, dans un élan de générosité et de fraternité.
2 Vous comprendrez que je vous dise que depuis Claude Régy, c'est la plus belle mise en scène d'une pièce de Pinter qu'il m'ait été donné de voir. Même avec le souvenir d'un fantastique duo Dufhilo-Wilson. C'est pas peu dire !
L'auteur
"Le Gardien", c'est, à mon avis, avec "L'Amant", "La Collection" et "Le Retour", l'une des quatre meilleures pièces d'Harold Pinter, qui fut, dans les années 55-70, le principal initiateur d'un théâtre minimaliste, exprimant par des petits riens, des silences, des attitudes, tout ce que les relations intimes entre les êtres peuvent révéler de solitude, d'angoisse, de malentendus, de frustrations, d'égoïsme, d'agressivité et de méchanceté; mais aussi d'élans, contrariés ou non, de fraternité.
Les résonances que connût ce théâtre valurent, sur le tard, à Pinter- en 2005; il avait 75 ans-, l'obtention d'un Prix Nobel. Mais je ne suis pas certain qu'une bonne partie de son oeuvre résiste à l'épreuve du temps. Car ce qui nous a surpris, estomaqué même, parfois, lorsque quelqu'un comme Claude Régy nous fit découvrir ces pièces dans les années 65-68, nous impressionne d'autant moins aujourd'hui qu'une kyrielle d'auteurs s'est enfoncée, depuis, dans la brèche ouverte par Pinter.
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