LE FILS
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Thème
Elle est là, seule sur scène et maintenant dans la vie, cette femme presque banale, à qui le bonheur dont rêve a priori toutes les femmes était promis ; épouse heureuse, mère de deux enfants, d'un bon milieu social avec une activité professionnelle enviable (elle est pharmacienne, ce qui n'est pas neutre pour la suite de l'histoire), elle a tout ; bien sûr, l'accouchement de son deuxième garçon, Cyril, a été difficile (césarienne puis mis en couveuse). Il est très maigre, elle l'a couverte de son sang. elle culpabilise... d'autant que pour son mari, rigoriste un rien macho, "l'enfantement doit se faire par les voies naturelles"! (rires dans la salle).
Puis, peu à peu, les enfants grandissent. Philippe, le mari, lui aussi pharmacien, est, de congrès en congrès, souvent absent, en tout bien tout honneur bien entendu.. Alors elle se sent délaissée, un peu oubliée, elle aspire à "plus d'existence", elle éprouve le besoin de s'affirmer. Elle est écartelée entre deux grands garçons de 17 ans pour Cyril, si beau si fragile, et de 20 ans, style skin head et blouson de cuir pour Anthony, Ils sont si différents et lui échappent, elle se sent dépérir. Rien que de très banal, tout cela.
Tiens, tiens... on est à Chateaugiron, gros bourg près de Rennes, en 2011/2013 (ce n'est pas un hasard). Alors, à la messe, on fait des rencontres, on parle avec des notables très bcbg, très catho intégristes, si vous voyez ce que je veux dire. Et là elle plonge. La loi Taubira s'annonce, les marches contre le mariage pour tous s'organisent. Notre maman modèle s'investit avec violence, avec rage, elle participe à toutes les manifestations, monte à Paris,: "Nous sommes tous des enfants d'hétéros", "Taubira ne passera pas"... Elle se bat, elle s'élève, du moins en a-t-elle le sentiment. Hélas, la chute sera dure, très dure, mortelle ! 17 mai 2013, la loi Taubira est adoptée. La France est le 14ème pays à autoriser le mariage gay. Trop tard !. Le drame est consommé. Il est inspiré de faits réels qui se sont déroulés à Rennes, qui ont interpelé le metteur en scène et l'ont incité à solliciter l'auteure.
Points forts
- Le sujet et son traitement. On est tous concerné, de quelque bord que l'on soit, croyant ou non ; c'est un problème de société qui affecte nos structures, touche notre sensibilité, concerne les fondements de la famille. Traité sans pathos ni prétention, sans parti pris ni sensiblerie, juste avec le ton et l'émotion qu'il faut
- La force et le dépouillement du texte. L'uppercut, le "direct" du droit que l'on prend en pleine figure lors du dénouement
- L'interprétation, et le "off ". Emmanuelle Hiron, seule en scène. Elle est remarquable de sobriété et de crédibilité. C'est bien une mère dévastée, mais avant tout une femme fragile, aimante jusqu'à la folie, ébranlée dans ses convictions intimes allant jusqu'à l'autodestruction. Un moment particulièrement pathétique, quand elle essaye paradoxalement, avec la foi du charbonnier, de rallier Cyril à sa propre cause, malgré tout. Et Cyril qu'on ne voit pas, mais qu'on entend à quelques occasions, appelle sa maman à son secours, sans espoir, il le sait. Elle implorera son pardon. En vain. A ce niveau là de talent il ne s'agit plus de "jeu" ni de performance d'actrice mais tout simplement, je crois, d'un des exercices les plus abouti du théâtre vérité. Bouleversant.
Quelques réserves
Y a- t-il une morale à cette triste histoire? Non. Des pistes de réflexion sur la radicalisation d'un côté et la théorie du genre de l'autre ? Pas davantage. On se retrouve un peu démuni, livré à notre conscience, effrayé par cette fracture de notre société, par la haine et la violence qu'elle suscite. Et les autres, Philippe, Anthony, Thomas... coupables, non coupables ? On aurait aimé les entendre, même en "off"
Encore un mot...
Nous atteignons avec "le Fils" les sommets de l'émotion partagée. Certains pleureront à l'unisson de cette mère aveuglée, au bord des larmes, et beaucoup se lèveront dix fois pour bisser Emmanuelle Hiron en communion avec une salle comble.
Le credo de Jean Michel Ribes : "On ne vous empêche pas de croire, vous ne nous empêcherez pas de penser", prend tout son sens, ces jours ci, salle Tardieu. Personne n'est obligé de rejoindre Médiapart qui salue "Le Fils" comme "une pièce de progrès" mais nous suivons Gauchard lorsqu'il parle d'un texte de "réparation".
Une phrase
Ou plutôt quatre:
"On parle toujours du bonheur d'être mère, on parle rarement de l’amertume”
(Interpellant le public)
"Et vous, vous parlez sexualité avec vos enfants ?"
"J'ai engendré un fils anormal, ça ne vous arrive jamais, vous, de craquer ?"
"Et vous, vous avez des amis ? Et si je vous invitais chez moi, vous viendriez ? (finale)
L'auteur
Marine Bachelot Nguyen est une auteure engagée, doublement engagée.
Pour la cause des femmes d'abord. Après des études de lettres et d'arts du spectacle, elle enseigne au lycée - option théâtre - et s'investit dans la recherche universitaire sur le théâtre politique. Ses travaux se concrétisent avec son œuvre majeure qui la caractérise bien : le projet "féministes", cycle de recherches et de création consacré aux féminismes. Par exemple "Histoires de femmes et de lessives", spectacle déambulatoire en plein air, puis "La femme, ce continent noir" en solo , des lectures débats comme "Cheval de batailles/Combats féministes".
Deuxième engagement : son combat en faveur des minorités, ethniques et surtout sexuelles : pour "La Place du chien" et son projet "Les Ombres et les Lèvres" (sur la communauté LGBT au Vietnam), elle obtient aides, bourses et palmes, notamment de la SACD Beaumarchais et du Centre National du Livre.
La Bretagne et Rennes en particulier sont les réceptacles de ses créations : Théâtre National de Bretagne, Maison du théâtre de Brest, Centre culturel de Cession Sévigné dont elle est artiste associée ; "Le Fils" est une pièce de commande initiée par David Gauchard, le metteur en scène, témoin des faits réels. Où ? A Rennes! Quand ? En 2011. Départ de la manif pour tous !
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