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Le Bourgeois gentilhomme
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Thème
Monsieur Jourdain est issu d’une “bonne bourgeoisie“ qui, de génération en génération, a fait fortune dans le négoce, et il a conclu un beau mariage avec Nicole, issue du même milieu que lui.
Mais Jourdain n’entend pas en rester là, ni à sa place : il entreprend de se familiariser avec les usages de la noblesse – un maître d’armes pour l’estoc, un philosophe, une danseuse et un musicien pour la culture, sans oublier une maîtresse pour faire bonne mesure – afin, espère-t-il, d’intégrer ce qui se donne pour l’élite de la société de son temps.
Au grand dam de sa femme, qui garde les pieds sur terre et la tête près du bonnet, et de sa fille Lucile, qui s’est éprise de Cléonte, rôturier comme elle, Monsieur Jourdain devient vite la dupe d’une petite société précieuse et empressée d’exploiter sa balourdise.
Points forts
Le parti-pris de nous offrir ce Bourgeois gentilhomme avec la prononciation (« touteS les lettreS sonT faiteS pour êtrE prononcéeS » disait mon grand-père) et dans les conceptions de l’époque (en mêlant jeu des comédiens, danses et morceaux de musique) est bien maîtrisé et, sans gêner ni déstabiliser le public, il engendre un effet de réel et de surprise des plus plaisants.
Sous la férule de Bastien Ossart et de Iana Serena de Freitas, la troupe déploie l’allant, le talent et les qualités requises pour relever ce défi, en montrant tout son savoir-faire sur les différents registres exigés par l’interprétation (parole, danse, chant). Le travail sur la gestuelle des comédiens est ici tout à fait remarquable et doit être souligné.
Pas de décor dans ce Bourgeois gentilhomme, si ce n’est des porte-perruques en fond de plateau. Mais cette absence est plus que largement compensée par l’intelligence des maquillages et surtout par la profusion de magnifiques costumes chamarrés - grâce en soit rendue à la troupe des Pieds nus qui les a tous conçus - et à Florian Derval aux lumières pour leur mise en valeur. Cette épatante garde-robe n’est pas seulement inventive et éblouissante, elle vient épouser au plus près les caractères des protagonistes de la comédie, et c’est bien là l’essentiel.
Ce n’est pas le seul atout de ce spectacle, qui nous souhaite la bienvenue et nous fait ses adieux comme il est d’usage dans un cabaret, et qui n’hésite pas, en plein milieu de la comédie, à s’interrompre pour engager un débat assez cocasse, mais non sans rapport avec les grands enjeux de la pièce depuis le « salon du Vert-Galant »…
Quelques réserves
Elle tient peut-être aux difficultés que l’une des comédiennes, dont la langue maternelle est le chinois, rencontre pour se faire entendre et comprendre aussi bien que le reste de la troupe.
A son crédit, il faut bien convenir qu’il n’est pas simple de respecter les intonations et le phrasé de la langue française de la fin du XVIIe siècle, et surtout que ladite comédienne compense ce handicap par une gestuelle, des expressions du visage et une grâce dans la danse tout à fait remarquables.
Encore un mot...
L’affiche du spectacle, déjà très fantaisiste et chromatiquement appuyée, ne donne qu’une petite idée du chatoiement et de la richesse des costumes endossés par les personnages, c’est dire… Cette folie reflète celle de la comédie, mais peut-être aussi celle du projet de Monsieur Jourdain, qui veut atteindre cette haute noblesse de cour, qui “donne le La“ au reste de la société en matière de raffinement, de culture.
Mais en montrant une noblesse pas toujours à son avantage, on peut se demander si Molière - raillant ceux qui, venus de plus bas et, se haussant du col, prétendent à la haute société - ne jette pas un regard fort critique sur cette dernière, pas si reluisante que cela, en la personne d’un Dorante dispendieux, désargenté, et à la limite de l’aigrefin, par contraste avec la solide morale domestique de madame Jourdain.
Relevons enfin cette conception de la bourgeoisie – arriviste, mal dégrossie et peu cultivée – véhiculée par les milieux artistiques et littéraires (ainsi plus tard, chez Labiche pour le théâtre ou Flaubert pour la littérature), qui “collera à la peau“ de ce groupe social jusqu’à nos jours… Ainsi, quand la troupe entonne un suave et ironique « Ami bourgeois, tu veux voir de la comédie… », nul doute que les comédien-ne-s s’adressent plus à nous, public contemporain, qu’aux “messieurs Jourdain“ de l’époque…
Une phrase
• MONSIEUR JOURDAIN [à sa femme] : « Taisez-vous, impertinente. Vous vous fourrez toujours dans la conversation. J'ai du bien assez pour ma fille, je n'ai besoin que d'honneur, et je la veux faire marquise.
- MADAME JOURDAIN : Marquise ?
- MONSIEUR JOURDAIN : Oui, marquise.
- MADAME JOURDAIN : Hélas ! Dieu m'en garde !
- MONSIEUR JOURDAIN : C'est une chose que j'ai résolue.
- MADAME JOURDAIN : C'est une chose, moi, où je ne consentirai point. Les alliances avec plus grand que soi sont sujettes toujours à de fâcheux inconvénients. Je ne veux point qu'un gendre puisse à ma fille reprocher ses parents, et qu'elle ait des enfants qui aient honte de m'appeler leur grand-maman. S'il fallait qu'elle me vînt visiter en équipage de grand-Dame, et qu'elle manquât par mégarde à saluer quelqu'un du quartier, on ne manquerait pas aussitôt de dire cent sottises. "Voyez-vous, dirait-on, cette Madame la Marquise qui fait tant la glorieuse ? C'est la fille de Monsieur Jourdain, qui était trop heureuse, étant petite, de jouer à la Madame avec nous. Elle n'a pas toujours été si relevée que la voilà, et ses deux grands-pères vendaient du drap auprès de la porte Saint-Innocent. Ils ont amassé du bien à leurs enfants, qu'ils payent maintenant peut-être bien cher en l'autre monde, et l'on ne devient guère si riches à être honnêtes gens." Je ne veux point tous ces caquets, et je veux un homme, en un mot, qui m'ait obligation de ma fille, et, à qui je puisse dire : "Mettez-vous là, mon gendre, et dînez avec moi."
- MONSIEUR JOURDAIN : Voilà bien les sentiments d'un petit esprit, de vouloir demeurer toujours dans la bassesse. Ne me répliquez pas davantage : ma fille sera marquise en dépit de tout le monde ; et si vous me mettez en colère, je la ferai duchesse ! »
L'auteur
Molière (1622-1673) est un auteur majeur de comédies et de farces. D’abord en province, puis à Paris, il a monté et joué ses pièces avec le soutien de Louis XIV, en particulier quand il s’est attaqué aux faux dévots, comme dans Dom Juan et surtout Tartuffe. On lui doit également des farces comme Les Fourberies de Scapin ou Les Amants magnifiques. Le Bourgeois Gentilhomme, à l’instar des Femmes savantes ou du Malade Imaginaire, fait partie de son répertoire satirique, qui cible les travers de son époque.
La compagnie du Théâtre des pieds nus a été fondée en 2017 par Bastien Ossart (ici metteur en scène et interprète de monsieur Jourdain) et Iana Serena de Freitas (qui tient le rôle de Nicole). La compagnie a conçu les costumes.
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