Le Barbier de Séville ou La précaution inutile

Tu m’enfermes ? Je m’enfuis !
D’après l’oeuvre de Beaumarchais (adaptation par Justine Vultaggio)
Durée : 1h15
Mise en scène
Justine Vultaggio
Avec
Michaël Giorno-Cohen ou Mikaêl Fasulo (en alternance), Victor O’Byrne, Justine Vultaggio ou Laura Marin (en alternance), Alexis Rocamora, Oscar Voisin
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre du Lucernaire
53, Rue Notre-Dame des Champs
75006
Paris
01 45 44 57 3
Jusqu’au 30 mars 2025. Du mardi au samedi à 20h et les dimanches à 17h

Thème

  • A Séville, la pupille Rosine est retenue en quasi-captivité chez et par son tuteur, le docteur Bartholo. Ce dernier entend faire de Rosine sa femme dans les plus brefs délais, avec le concours du cupide Don Bazile, son homme-lige, corruptible à souhait.

  • Ses projets sont mis à mal par le coup de foudre entre Rosine et un mystérieux amant, nommé Lindor, lequel est fermement décidé à empêcher ce mariage forcé.

  • Pour cela, Lindor va s’adjoindre le concours du rusé Figaro, ancien domestique à Madrid devenu barbier à Séville, et la complicité de Rosine, qui n’est point si innocente qu’elle en a l’air…

Points forts

  • L’intrigue est certes un peu convenue - un vieux barbon se fait souffler la pupille qu’il convoite par un jeune prince - mais l’essentiel tient plutôt à cette profusion de formules et réparties aussi élégantes que cinglantes (cf. les extraits ci-dessous), qui témoignent de la vivacité du « bel esprit » en vogue dans les salons de la fin de l’Ancien régime, tout empreints de la fameuse “gaieté française” qui allait s’éteindre avec la Révolution du même nom.

  • Le délié des formules de Beaumarchais n’est jamais exempt d’arrière-pensées très critiques vis-à-vis de l’ordre établi au début du règne de Louis XVI, qui monte sur le trône un an avant que la pièce ne se donne. En effet, cette plume acérée est aussi brillante que profonde, qui développe sur l’Ancien régime des vues subversives, comme en témoignent les extraits ci-dessous, et les saillies de ce genre sont légion dans la pièce ! D’ailleurs, comment ne pas voir dans le docteur Bartholo, si âpre à vouloir s’approprier ce qu’il pense lui revenir, cette monarchie absolutiste impotente et bornée (du moins dans ses franges les plus conservatrices), en tout cas à bout de souffle au seuil du dernier tiers du XVIIIe siècle ? 

  • Mais Beaumarchais ne manque pas de brouiller les pistes, puisqu’après tout c’est un “bon bourgeois“ (et donc un “vilain“) qui se fait souffler sa noble pupille Rosine par un grand Prince… Or l’auteur n’en reste pas là, puisqu’il parsème sa pièce de piques envers un Pair, le duc de Chaulnes, dont il avait courtisé la maîtresse, ce qui lui valut des ennuis et la prison. Beaumarchais se vengera par le truchement de Figaro, à la parole libre et frondeuse : “Quand on a rapporté au ministre que je faisais, je puis dire assez joliment, des bouquets [ie. la cour]  à Chloris [ie. la belle convoitée]… il a pris la chose au tragique, et m’a fait ôter mon emploi…” (Acte I, scène 2). La vis comica de Beaumarchais, art virtuose du “double-entendre”, lui permet aussi très prosaïquement d’éviter les fourches caudines du censeur Marin puis du Lieutenant général de police, sans compter ses ennemis placés en embuscade, de Chaulnes bien sûr, mais aussi le duc d’Aiguillon, avec derrière (et au-dessus de) lui, “la du Barry”...

  • L’autre qualité de la pièce, bien négociée ici, tient aux imbroglios mis en place dans l’intrigue, qui sophistiquent considérablement une trame initiale assez sommaire, ainsi dans la fameuse “scène de stupéfaction” (acte III, scène 11) dont le déroulement est proprement virtuose.

  • Dans une mise en scène fluide et des décors simples mais bien pensés et largement suffisants, pareillement  adaptés à l’exiguïté du plateau, les comédien-ne-s déploient leur talentueuse énergie : 

    • un Figaro (Oscar Voisin) virevoltant et dessalé ;

    • Mikaël Giorno-Cohen, qui excelle à camper le vieux barbon, déclenche des rires à chacune de ses apparitions, non sans se départir d’un air vaguement inquiétant…

    •  … tout comme Alexis Rocamora dans le rôle du cupide Don Bazile, si prompt à se placer au service de qui le soudoiera le plus ;

    • sans oublier Justine Vultaggio, qui donne à Rosine charme, grâce, fragilité, et sa fort belle voix de mezzo-soprano dans les airs qu’elle interprète, en hommage à Rossini.
      La comédienne donne un certain relief à son personnage, qui est loin d’être l’oie blanche disputée entre deux “mâles alpha“ : elle lutte avec opiniâtreté pour choisir son sort et s’émanciper du carcan qui la menace. Ce faisant, Le Barbier de Séville, dont la tonalité politique et sociale n’est plus à prouver, possède aussi une dimension “sociétale“ bien mise en valeur ici.

Quelques réserves

• Il y a en a peu, si ce n’est que Lindor donne un peu trop de la voix au premier acte, mais rentre ensuite parfaitement dans le rôle.

Encore un mot...

  • On ne se rase pas un seul instant chez ce Barbier-là, et nombre de traits décochés par Beaumarchais pourraient s’appliquer à notre temps, de sorte que l’on pourrait se croire à la veille d’une nouvelle Révolution française…

  • Cette pièce a des origines complexes et donc des ingrédients variés : elle emprunte à la tradition des “intermèdes” comiques prisés dans l’Espagne que Beaumarchais visita en 1764, mais aussi aux “parades”, ces spectacles très divertissants, en vogue dans les foires puis dans les soirées privées de la haute société. A quoi vient bien sûr s’ajouter l’influence de Molière, dont les clins d’oeil assassins de Beaumarchais envers l’ordre  médical ne sont pas la seule trace dans son Barbier

  • Initialement conçue en 1772 comme un opéra-comique, la pièce allait évoluer vers la comédie, sans renoncer aux “ariettes” propres au genre initial. [pour en savoir plus, lire l’excellente préface donnée par Pierre Franz au Barbier de Séville publié dans Le Livre de Poche, coll. “Théâtre de Poche“, 1985]

Une phrase

  • Figaro [expliquant au comte, son ancien maître déguisé en Lindor,les raisons de son départ de Madrid pour Séville] : « Voyant à Madrid que la république des lettres [ie. les gens de lettres] était celle des loups, toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les maringouins, les envieux, les feuillistes, les libraires, les censeurs, et tout ce qui s'attache à la peau des malheureux gens de lettres, achevait de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait ; fatigué d'écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abîmé de dettes et léger d'argent ; à la fin convaincu que l'utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j'ai quitté Madrid (…) accueilli dans une ville, emprisonné dans l'autre, et partout supérieur aux événements ; loué par ceux-ci, blâmé par ceux-là ; aidant au bon temps, supportant le mauvais ; me moquant des sots, bravant les méchants, riant de ma misère et faisant la barbe à tout le monde ; vous me voyez enfin établi dans Séville, et prêt à servir de nouveau Votre Excellence en tout ce qu'il lui plaira m'ordonner
    - Le comte : Qui t'a donné une philosophie aussi gaie ? 
    - Figaro : L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. »

    [Acte I, scène 2]

  • Figaro : “... un Grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal.
    - Le comte [déguisé en Lindor] : Tu ne dis pas tout. Je me souviens qu'à mon service tu étais un assez mauvais sujet. 
    - Figaro : Eh ! Mon Dieu, Monseigneur, c'est qu'on veut que le pauvre soit sans défaut.
    - Le comte : … paresseux, dérangé... 
    - Figaro : Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets ? 
    - Le comte (riant) : pas mal…»

    [Acte I, scène 2]

  • Bartholo : “Quel papier tenez-vous là ?
    - Rosine : Ce sont les couplets de La Précaution inutile, que mon maître à chanter [Don Bazile] m’a donnés hier.
    - Bartholo : Qu’est-ce que La Précaution inutile ?
    - Rosine  C’est une comédie nouvelle.
    - Bartholo : Quelque drame encore ! Quelque sottise d’un nouveau genre !
    - Rosine : Je n’en sais rien.
    - Bartholo : Euh ! Euh ! Les journaux et l’autorité nous en feront raison. Siècle barbare !
    - Rosine : Vous injuriez toujours notre pauvre siècle.
    - Bartholo : Pardon de la liberté, qu’a-t-il produit pour qu’on le loue ? Sottises de toute espèce : la liberté de penser, l’attraction, l’électricité, le tolérantisme, l’inoculation, la quinquina, l’Encyclopédie et les drames…” (Acte I, scène 3)

L'auteur

  • Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799) présente pour la première fois Le Barbier de Séville ou la précaution inutile, une comédie en cinq actes, au théâtre de la Comédie Française (des Tuileries), le 23 février 1775. La pièce est mal accueillie, ce qui conduit Beaumarchais à la remanier sur quatre actes, et c’est le triomphe dès le 26 février 1775, soit trois jours après l’échec initial ! Le succès est tel que Marie-Antoinette campera  Rosine (ce qui en dit long sur ses relations avec son roi de mari) et le comte d'Artois (frère du roi) incarnera Figaro (un comble pour le futur Charles X, apôtre de la réaction !) dans le petit théâtre de la reine à Trianon en 1785, bravant l’interdiction de Louis XVI (on comprend facilement pourquoi)... sans parler des deux livrets d’opéra qui en résulteront, l’un pour Paesiello en 1782, l’autre pour Rossini en 1816.
    Entretemps, Beaumarchais allait continuer dans la même veine avec, en 1778, La Folle Journée, ou le Mariage de Figaro, comédie en cinq actes, dont la première représentation officielle eut lieu le 24 avril 1784, après plusieurs années de censure. Vint enfin La mère coupable, qui acheva une trilogie des plus fameuses.

  • Justine Vultaggio adapte, met en scène la pièce et interprète Rosine (en alternance). Chanteuse lyrique (diplômée du Conservatoire de musique de Paris et de Mc Gill / Montréal), elle se produit en tant que soliste et dans divers opéras à Paris, Nice ou Montréal. Elle se forme ensuite à la comédie dans les cours du Foyer et, depuis 2018, monte sur scène dans de multiples spectacles. Elle en vient à la mise en scène (L’affaire de la rue de Lourcine de Labiche, lancée au Lucernaire en 2019, un beau succès à Paris comme à Avignon, puis Milady) en compagnie des Modits, la troupe qu’elle a fondée en 2018 avec Oscar Voisin (qui interprète ici Figaro).

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