L’Avare

Pas touche au grisbi !
De
Molière
Durée : 2h15
Mise en scène
Jérôme Deschamps
Avec
Jérôme Deschamps, Flore Babled ou Bénédicte Choisnet, Lorella Cravotta, Louise Legendre, Geert van Herwijnen ou Bastien Chavrot, Stanislas Roquette
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre des Abbesses
31, rue des Abbesses
75018
Paris
Jusqu’au 29 avril, du lundi au samedi à 20 h, sauf le samedi 29 avril à15h. Les dim. 16 et 23 avril à 15h (relâches les 9, 10, 17 et 24 avril)
Chartres les 10 et 11 mai, Caen les 28 et 31 décembre 2023

Thème

  • Une fois que les trois coups « à l’ancienne » ont retenti, nous découvrons Valère, amoureux d’Elise, la propre fille d’Harpagon, tyran familial rongé par une avarice sans frein. Le pingre a un fils, le bouillant Cléante, amoureux, lui, de la toute jeune Marianne.
  • Problème : Harpagon envisage également d’épouser Marianne. De plus, il entend placer Elise auprès d’Anselme, un riche seigneur qui tire sur la cinquantaine, mais présente l’inestimable avantage aux yeux d’Harpagon de ne pas réclamer de dot pour sa future femme ...

Points forts

  • Le décor, d’une grande sobriété, se compose de trois rangées de volets latéraux de chaque côté de la scène, ce qui en démultiplie la profondeur (et métaphorise celle de l’âme humaine ?), alors qu’un soleil pâle se distingue à l’arrière-plan sous des éclairages principalement bleutés.
  • C’est dans cet ensemble dépouillé que Jérôme Deschamps inscrit sa remarquable interprétation d’Harpagon, habité par ses peurs tout autant que madré, autoritaire, faussement affectueux, et souvent dupé. Ses intonations, sa voix, ses postures et son allure en font un avare des plus convaincants.
  • La proposition de Deschamps insiste évidemment sur les côtés sombres de la pièce : outre l’avarice (cf. rubrique “Encore un mot“), il y a aussi le rapport compliqué et parfois conflictuel entre les générations, sur fond de soumission - au nom du respect et de la  considération dues à l’époque (même s’il en subsiste de nos jours quelques vestiges…) - des enfants envers leurs parents, et les contradictions / situations tragiques que cela occasionne, lorsque lesdits parents sont pétris de graves défauts et/ou quand il est question d’amour...
  • Mais le côté farce de cette comédie grinçante de Molière est aussi pleinement exploité. On voit en effet évoluer de beaux spécimens de “ladres“ et autres « fesse-Matthieu », ce dont joue à merveille Vincent Debost en Maître Jacques, à la fois cuisinier et cocher d’Harpagon (il n’y a pas de petites économies…) et, sur un registre plus affecté, Hervé Lassïnce (qui campe La Flèche).

Quelques réserves

  • Le début de la pièce tend un petit peu à la récitation scandée, mais dès que le “boss“ Deschamps apparaît sur scène, les comédien-ne-s se mettent au diapason et tout rentre vite dans l’ordre…
  • On peut être irrité par certaines saillies un peu trop “farce“, comme ce Tri Martolod (jadis popularisé par Alan Stivell, repris ensuite par Nolwenn Leroy) entonné ad libitum par Elise et Frosine. L’Avare, ce n’est pas non plus le bagad de Lann-Bihoué ...

Encore un mot...

  • L’avarice dont il est ici question ouvre sur des perspectives vertigineuses, car il n’est pas simplement question de ne pas dépenser, il s’agit d’une obsession de la prédation possible virant à la paranoïa. 
  • En effet, si Harpagon mégote jusqu’à l’absurde et au ridicule pour les moindres frais, c’est qu’il est animé d’une peur panique de la prédation, dont la dépense n’est qu’une modalité au même titre que le vol de la fameuse cassette. 
  • Ladite cassette est à l’image des dépenses auxquelles il se refuse, et de son cœur, qu’il a verrouillé et enterré.

Une phrase

Harpagon : « Au voleur! au voleur! à l'assassin! au meurtrier! Justice, juste Ciel! Je suis perdu, je suis assassiné, on m'a coupé la gorge, on m'a dérobé mon argent. Qui peut-ce être? Qu'est-il devenu? Où est-il? Où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver? Où courir ? Où ne pas courir ? N'est il point là ? N'est-il point ici? Qui est-ce? Arrête. Rends-moi mon argent, coquin... 

[Il se prend lui-même le bras]. Ah… c'est moi ! Mon esprit est troublé et j'ignore où je suis, et ce que je fais. Hélas ! Mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami ! On m'a privé de toi ; et puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie; tout est fini pour moi, et je n'ai plus que faire au monde ! Sans toi, il m'est impossible de vivre. C'en est fait, je n'en puis plus ; je me meurs, je suis mort, je suis enterré. 

N'y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui l'a pris ? Euh? que dites-vous? Ce n'est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin on ait épié l'heure; l'on a choisi justement le temps que je parlais à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice et faire donner la question à toute ma maison: à servantes, à valets, à fils, à fille, et à moi aussi. 

[Regardant le public] Que de gens assemblés ! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. Eh! de quoi est-ce qu'on parle là ? De celui qui m'a dérobé ? Quel bruit fait-on là-haut? Est-ce mon voleur qui y est ? De grâce, si l'on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il point caché là parmi vous? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez qu'ils ont part, sans doute, au vol que l'on m'a fait. Allons vite ! Des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences et des bourreaux ! Je veux faire pendre tout le monde, et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après. »

Acte IV, scène 7.

L'auteur

  • Tout a été dit ou presque sur Molière, né Jean-Baptiste Poquelin (1622-1673). Acteur et dramaturge favori du “Roi soleil“. Héritier d’une charge à la cour, rival un temps de Lully, prenant pour cible gentilshommes, dames superficielles et faux dévots, il fut en butte aux interdits et autres cabales de l’Église (les « dévôts ») et de la bien-pensance  de l’époque (les courtisans). 
  • En 1668, son Avare fit beaucoup rire la cour, comme du reste Les Fourberies de Scapin, les rodomontades du Bourgeois Gentilhomme, ou encore les simagrées des Précieuses Ridicules. C’est la quatrième représentation du Malade Imaginaire qui aura raison de la vie (dans son lit et pas sur scène) de l’immense directeur des divertissements à Versailles.
  • Fondée en 2016, la Compagnie Jérôme Deschamps - après avoir présenté Le Bourgeois gentilhomme à l’Opéra comique jusqu’en mars 2023 - continue de rendre hommage au 400eme anniversaire de la naissance de Molière, en proposant L’Avare et Monsieur de Pourceaugnac.

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