L’autre fille

Du très bon Ernaux, du grand Basler
De
Annie Ernaux
Mise en scène
Jean-Philippe Puymartin et Marianne Basler
Avec
Marianne Basler
Notre recommandation
5/5

Infos & réservation

Théâtre Les Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs
75001
Paris
0142360050
Jusqu’au 1er décembre: Du mardi au samedi à 21h30

Thème

L’autre fille, celle à laquelle s’adresse Annie Ernaux par lettre, c’est sa sœur disparue deux ans avant sa naissance, emportée à 6 ans par la diphtérie. Cette sœur dont elle découvre par hasard l’existence lors d’une conversation entre sa mère et une cliente. Elle entend également sa mère dire de sa soeur que « elle était plus gentille que celle-là ».

Annie Ernaux interroge les raisons de ce silence et son propre désir d’adresser cette lettre à sa sœur morte.

Points forts

Annie Ernaux est à l’honneur. Après « l’occupation » pièce également tirée d’un de ses livres et toujours à l’affiche au théâtre de l'Oeuvre, avec Romane Bohringer, c’est « l’autre fille », parue en 2011 qui est donc adaptée aux Déchargeurs.

L’histoire relatée dans la pièce, comme toute l’œuvre d’Annie Ernaux, est directement tirée de sa vie. Peut-être plus encore que dans ses autres livres, elle parvient à trouver les mots qui nous obligent à rentrer dans cette histoire rare pour s’en approprier la douleur et l’incompréhension, le ressentiment et le besoin de comprendre et de dire.

Marianne Basler dit que « ce récit fait pour moi écho à un autre récit enfoui lui aussi, de mon histoire familiale. J’éprouve une forme de reconnaissance  envers l’auteur d’avoir pu mettre en mots, si justes, si décapés, son histoire pour nous permettre d’aller à la rencontre de la nôtre ». Mais nul besoin d’avoir partagé ces histoires pour en ressentir l’intensité dramatique.

Marianne Basler porte cette voix douloureuse, attentive et consolante. Avec une économie de moyens, elle exprime tout en retenue des sentiments aussi complexes à « jouer »: la perte, l’absence, le ressentiment … Co-signant la mise en scène avec Jean-Philippe Puymartin, elle occupe la scène, meublée d’un simple bureau, avec une présence d’une rare intensité qui génère une émotion palpable dans un public conquis.

Quelques réserves

Je n'en vois pas. Tout me semble réussi, du début à la fin.

Encore un mot...

Je vais me permettre une confidence, en forme d'interrogation: qu’est-ce qui fait que je me sens si proche de chaque texte d’Annie Ernaux ? Il me semble que chaque histoire, chaque livre, chaque dévoilement, résonne en moi comme si j’avais vécu moi-même quelque chose de similaire. A moins que je m’approprie son récit de telle sorte que je le reçoive comme si j’en étais moi aussi l’acteur...

Une phrase

"Peut-être que j’ai voulu m’acquitter d’une dette imaginaire en te donnant à mon tour l’existence que ta mort m’a donnée.

Ou bien te faire revivre et remourir pour être quitte de toi, de ton ombre. T’échapper. Lutter contre la longue vie des remords.

Evidemment, cette lettre ne t’est pas destinée et tu ne la liras pas. Ce sont les autres, des lecteurs aussi invisibles que toi quand j’écris, qui la recevront. Portant un fond de pensée magique en moi voudrait que, de façon inconcevable, analogique, elle te parvienne comme m’est parvenue jadis, un dimanche d’été, la nouvelle de ton existence par un récit dont je n’étais pas le destinataire".

L'auteur

Annie Ernaux est une autrice à part (elle tient à ce féminin). Autrice, donc, d’une quinzaine de livres en un peu plus de 30 ans, elle livre au compte-goutte les épisodes marquants de sa vie sous une forme romanesque, se servant d’un matériau autobiographique comme terrain de questionnement social.

Son oeuvre, qualifiée d’auto-socio-biographique, se caractérise par son style épuré où chaque mot est choisi, pesé, au service de récits courts, compacts, qui ne s’éloignent jamais de leurs sujets mais le creusent, le tordent, l’auscultent jusqu’à en extirper la complexité, sans retenue ni pudeur.

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