L’arbre, le maire et la médiathèque
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Thème
A Saint-Juire, petit village de Vendée, un jeune maire socialiste projette de faire construire un centre sportif et culturel d’envergure (médiathèque, théâtre de verdure, piscine) qui paraît à certains, et notamment à l’instituteur, non seulement disproportionné mais inutilement destructeur de la beauté du site.
Dès lors, les ambitions des uns et des autres se percutent. Ainsi le maire, châtelain de gauche et néo-rural a des projets électoraux et est soutenu par une romancière sophistiquée, très parisienne et déterminée, Bérénice, et par un architecte évidemment intéressé à l’affaire… Cependant, il n’est pas exempt de bonnes intentions : il souhaite réellement contribuer à démocratiser la culture. Face à lui, l’instituteur amoureux des arbres, et qui « préfère l’arbre à la bibliothèque. »
Points forts
Les dialogues, malins et savoureux, tissent la trame d’un bavardage loufoque et souvent incroyablement percutant. L’architecte, notamment, est désopilant.
Les costumes et les coiffures sont parfaits et soutiennent une excellente interprétation.
Le décor sobre, simple et ingénieux et la manière dont les protagonistes se font envoyer et réexpédient les accessoires par-dessus les panneaux témoigne de la façon dont Guillaume Gras s’est saisi de cette œuvre cinématographique en tableaux successifs pour en faire un vrai moment de théâtre, sans la trahir ...
Quelques réserves
Rohmer ne voulait pas prendre parti, et la cohérence du propos en souffre quelque peu, mais sans doute est-il vain ou même fautif d’attendre un “propos“ de Rohmer. Cependant, dans le méli-mélo des dialogues et des propositions dont certaines résonnent comme des fake news, l’entendement se perd. On rit comme à la farce, mais certaines réactions du public semblent aussi montrer que tout le monde ne saisit pas l’ironie de certaines répliques.
La scène de sexe frénétique ajoute un burlesque sans doute inutile voire indisposant au dispositif de la mise en scène. Comme du reste l’ampleur des cris poussés par les uns et les autres.
Encore un mot...
Fable et farce politique sur le clivage social et culturel entre la ville « si vivante » et la campagne « où il ne se passe rien », ce spectacle réactive, trente ans après la sortie du film de Rohmer, les questions qu’il posait alors.
La fracture culturelle entre citadins et ruraux est plus béante que jamais, malgré le flux des “néos“ venus se réfugier à la campagne après le covid, ce qui lui donne une actualité saisissante.
Une phrase
L’instituteur : « Respectueux, tu as dit le mot, mais c’est ça qui est grave ! Au nom du respect on peut tout faire, on justifie le pire vandalisme. J’aurais mieux aimé qu’on construise une tour en béton, un hangar en tôle ondulée, là les gens auraient pu se révolter ! Mais voilà, c’est respectueux ! Alors on peut rien faire, on peut rien dire, c’est le moindre mal. Mais pourquoi le mal, pourquoi pas le bien ? Ils oseraient pas approcher leur petit doigt d’un tableau de Ruysdael de peur d’écorcher la peinture, mais ils ont pas peur de venir saccager à coups de bulldozer un paysage qui est digne – et je pèse mes mots- des plus grands chefs d’œuvre des maitres hollandais. (…) Un site est une œuvre d’art. »
- Le maire : « Je ne crois pas à tous ces prophètes de malheur : l’homme s’adaptera au gaz carbonique et peut-être même aux radiations. »
L'auteur
Ancien professeur de lettres et successeur d'André Bazin à la direction des Cahiers du cinéma, cinéaste rigoureux, Éric Rohmer s’est constamment tenu à distance des courants, des écoles et des modes. Il resta un classique soucieux de la clarté du récit et des images, attentif aux mots prononcés, profond parce que ses personnages abordent à l’occasion et sans avoir l’air d’y toucher des questions fondamentales.
Admirable commentateur de son temps, et du nôtre, il fut aussi un moraliste à la perspicacité aigue.…
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